Cartes sur table. Avec la présentation, mardi, des programmes de Manuel Valls et de Vincent Peillon, et celui, ce mercredi, d'Arnaud Montebourg - les pistes de Benoît Hamon sont déjà en ligne -, les orientations des principaux candidats à la primaire de la gauche sont connues. A moins de trois semaines du premier tour, le 22 janvier, chacun a planté les contours de son positionnement politique (lire page 3). Et notamment ses propositions sociales. Ce sont sur elles que les impétrants se démarquent le plus. Sans surprise, Valls est dans la lignée de son sillon social-libéral tracé durant ses années passées à Matignon. A l'opposé, Hamon s'affiche comme le plus en rupture, avec son revenu universel à 300 milliards d'euros par an. Entre les deux, Montebourg et Peillon. Le premier, dans ses habits de «gaulliste social», défend son traditionnel souverainisme économique. Le second a choisi une voie médiane, entre Valls et Hamon, héritier d'un hollandisme raboté de ses aspérités les plus libérales. Les positions dévoilées, charge désormais aux candidats de les défendre lors d'une campagne express avec, en points d'orgue, les trois grands débats - les 12, 15 et 19 janvier.
Pouvoir d’achat
Valls fait du Sarkozy, Hamon veut doper le Smic
Dix ans après leur mise en place par Sarkozy, et cinq ans après leur suppression par Hollande, Valls propose de ressusciter les heures sup défiscalisées. Un dispositif qui exonérait de cotisations sociales et d'impôt sur le revenu les heures supplémentaires effectuées par les salariés, quels que soient leurs revenus. Un système controversé en raison de son coût (5 milliards d'euros par an) et du risque potentiel qu'il fait peser sur les embauches en période de chômage. Il promet aussi d'augmenter de 10 % les plus petites retraites. Peillon, lui, suggère de rendre progressive la CSG (moins importante pour les revenus les plus faibles, plus forte pour les plus élevés) et d'instaurer un bouclier fiscal pour les personnes modestes (plafonner à 20 % du revenu mensuel le montant de la taxe d'habitation, pour tout revenu inférieur à 1 636 euros par mois). Problème, cette fois-ci : la CSG progressive risque d'encourir la censure du Conseil constitutionnel (si l'ensemble des revenus du foyer ne sont pas pris en compte), tandis que la seconde mesure coûterait quelque 3 milliards d'euros. Abaisser la CSG (pour les salaires jusqu'à 1,5 Smic) tout en la rendant progressive, c'est aussi la proposition de Montebourg, qui chiffre le gain pour un smicard à 102 euros par mois, pour un coût de 7,5 milliards. Avec les mêmes risques d'inconstitutionnalité. Il propose aussi d'indexer les évolutions de salaires sur la productivité de l'entreprise et de développer le système d'intéressement. Hamon, pour sa part, est le seul à vouloir augmenter «immédiatement» le Smic et les minima sociaux de 10 %, et revaloriser le point d'indice de la fonction publique. Quitte, pour le Smic, à rehausser le coût du travail que Hollande s'était évertué à faire baisser.
Revenu universel
Allocation pour tous ou simple fusion des minima ?
C'est Hamon qui, sur ce sujet, avance la proposition la plus audacieuse : un «revenu universel d'existence», donc accordé à tout le monde, quel que soit son revenu (lire aussi page 25). La mesure, destinée à «définir un nouveau rapport au travail et au temps libre», serait mise en place de façon progressive. Dans un premier temps, Hamon veut augmenter de 10 % le RSA (à 600 euros) et le verser «automatiquement à tous les ayants droit ainsi qu'à tous les jeunes de 18 à 25 ans quelles que soient leurs ressources». Avant, dans un second temps, de l'étendre à l'ensemble de la population, et de relever son montant à 750 euros. (Gros) souci : le dispositif final coûterait près de 300 milliards d'euros par an, soit près de 15 % du PIB. Et pour l'instant, Hamon n'a pas de piste pour boucler son financement.
Valls, lui, se contente de fusionner la plupart des prestations existantes (RSA socle, allocation handicapé, parent isolé…) pour créer un «revenu décent», accordé dès 18 ans - au lieu de 25 ans aujourd'hui pour la plupart d'entre elles. Mais le versement serait toujours conditionné au niveau de revenu et à la situation personnelle (parent isolé, handicap…), pour un montant moyen évalué à 850 euros. Surcoût par rapport aux dispositifs existants : 8 milliards d'euros. Peillon, de son côté, veut «simplifier» le recours aux prestations sociales, en généralisant les démarches en ligne et en étendant à 200 000 bénéficiaires d'ici à 2020 l'actuelle «garantie jeunes», un parcours d'accompagnement dans la formation et la recherche d'emploi pour les 16-25 ans étendu à tous les départements depuis le 1er janvier.
Vincent Peillon, mardi. (Photo Boris Allin. Hans Lucas)
Montebourg est dans une autre logique, préférant «généraliser» les «contrats d'activité à l'attention des chômeurs de longue durée» (depuis plus d'un an) en prolongeant l'expérimentation lancée par ATD-Quart Monde. L'idée étant d'utiliser l'argent des minima sociaux pour financer des emplois jugés «non solvables» dans le secteur associatif ou l'économie sociale et solidaire.
Loi travail
A supprimer, à ajuster ou «à renforcer» ?
Que faire de la loi travail qui a déchaîné les passions à gauche pendant plusieurs mois au printemps 2016 ? Pour Valls, Premier ministre à l'époque, il ne faut évidemment pas y toucher. Tout juste propose-t-il d'instaurer le «chèque syndical» afin de renforcer les partenaires sociaux et le dialogue social, qui sont au cœur de cette loi. Autrement dit de faire financer, par les entreprises, la cotisation syndicale des salariés. Pour Hamon et Montebourg, en revanche, il faut mettre la loi travail à la poubelle. Montebourg envisage cependant de conserver l'idée du compte personnel d'activité (CPA) pour construire une «sécurité sociale professionnelle». Entre ces deux positionnements, Peillon propose une troisième voie : conserver la loi tout en y apportant d'importantes modifications. Notamment sur les points les plus contestés par les syndicats opposés au texte. Il souhaite ainsi restaurer la hiérarchie des normes (la loi s'impose aux accords de branche, qui eux-mêmes s'imposent aux accords d'entreprise), qui constituait le point central de la réforme. Mais aussi revoir la définition du licenciement économique (qui, dans la loi, laisse peu de marge d'appréciation au juge), le référendum d'entreprise et le barème indicatif d'indemnisation par les prud'hommes - en fait dans la loi Macron. En revanche, pas touche au CPA qui permet au salarié d'accumuler des droits (notamment à la formation professionnelle) et qu'il souhaite «approfondir», en intégrant le compte épargne temps, et en le rebaptisant «banque des temps». Conservé également, le droit à la déconnexion en dehors des heures de travail.
Santé
Tous pour la Sécu, un pour la légalisation du cannabis
Bien sûr, d'abord et avant tout défendre la Sécu et les assurés sociaux. Ils sont tous d'accord sur ce point. Comme ils sont tous d'accord sur le maintien du tiers payant généralisé qui doit entrer en vigueur pour tous en novembre. «Je refuse que l'on renonce à l'ambition d'assurer à tous l'égal accès à une santé de qualité», insiste Peillon. Plusieurs des candidats de la primaire de gauche sont favorables à la création d'une complémentaire santé d'Etat, voire d'une mutuelle de la Sécurité sociale à prix modéré, comme le propose Montebourg. Tous défendent l'hôpital, évoquant des mesures pour lui donner plus de marges financières. La médecine de ville ? Elle n'est prise en compte qu'à travers la question des déserts médicaux, «une lutte prioritaire», pour Valls qui insiste aussi sur la lutte contre les dépassements d'honoraires en généralisant les tarifs opposables. De fait, sur ces questions de santé, ce sont des nuances qui différencient les candidats. En revanche, sur les questions sociétales, les différences semblent plus sensibles. Seul Hamon parle de la légalisation du cannabis et veut confier sa distribution à l'Etat pour «tarir l'économie souterraine et les violences». Peillon, lui, évoque la possibilité de «légaliser l'aide médicale à mourir». Plus original, ce dernier parle aussi d'un nouveau «service public des maisons de retraites» pour faire face aux prix souvent démesurés de ces dernières. Bonne idée, même si toutes les études montrent que les personnes âgées veulent avant tout… rester chez elles.
Statut du travailleur
Protéger les indépendants
Accompagner le développement de l'emploi indépendant et les transformations liées au numérique tout en garantissant les droits des travailleurs : voilà un objectif partagé par l'ensemble des candidats. Mais les moyens proposés divergent. Pour «lutter contre l'ubérisation du travail»,Montebourg veut «amener les plateformes à assumer la protection sociale» des personnes qu'elles font travailler et qui «sont aujourd'hui faussement indépendantes». D'où sa proposition de «revoir [leurs] statuts». Pour l'heure, le candidat évoque deux options : requalifier leur contrat de prestataires en salariat ou «chercher des financements du côté des entreprises qui les exploitent pour couvrir leur protection sociale», explique Christian Paul, coordinateur de la campagne. La question est, en revanche, tranchée par Hamon qui promet de requalifier les «collaborateurs» des «entreprises ubérisées» en salariés. A la clé : des cotisations sociales pour les comptes publics et plus de droits pour ces travailleurs. Et surtout, un statut unique pour tous les actifs «afin de dépasser la distinction entre salariat et travail indépendant». Le tout couplé à un rééquilibrage des prélèvements sociaux «afin qu'à revenus égaux, un indépendant et un salarié cotisent du même montant». Dans une approche plus souple, «au cas par cas»,Peillon propose d'étendre les contrôles des conditions de travail dans ces nouveaux secteurs. A charge ensuite, pour le juge, de requalifier la relation en salariat lorsque le lien de subordination est manifeste. Quant à Valls, il opte pour la seconde option : si un travailleur est dans une situation de dépendance économique par rapport à un donneur d'ordre, celui-ci devra contribuer à sa protection sociale. Favorable à un alignement des droits des indépendants (en matière de retraite, de maternité, d'accidents du travail et de chômage) sur ceux des salariés, l'ex-Premier ministre propose aussi de créer un «vrai droit à la création d'entreprise», incluant un accès plus facile au crédit.
Conditions de travail
Burn-out, télé-travail…
C'est son cheval de bataille depuis plus de deux ans : s'il est élu président de la République, Hamon fera reconnaître le syndrome d'épuisement professionnel, dit burn-out, comme une maladie professionnelle. Une reconnaissance aujourd'hui très difficile à obtenir, alors que le «burn-out» représente, selon le cabinet d'expertise des risques professionnels Technologia, une menace sévère pour 12 % de la population active. En pointant la responsabilité des entreprises en matière de souffrance au travail, la mesure devrait les inciter à «modifier en profondeur leurs méthodes de management» ou, à défaut, d'en assumer le coût, explique le candidat. Parce que le «mal-être au travail peut gagner le domicile», Hamon propose aussi de renforcer le droit à la déconnexion, tout juste créé par le gouvernement, en imposant de nouvelles règles de régulation de l'usage des outils numériques. La reconnaissance du burn-out est aussi proposée par Montebourg. Mais le candidat insiste aussi sur le télé-travail pour rendre les salariés «plus heureux au travail et moins fatigués par les temps de transport». D'où sa proposition jusqu'ici de le défiscaliser, afin d'inciter les entreprises à favoriser le travail à distance. Dénonçant une «forte pression sur les salariés, leurs rémunérations et leurs conditions de travail»,Peillon envisage, lui, dans une même logique incitative, de conditionner le versement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) à la signature d'accords d'entreprise ou de branche portant notamment sur la qualité de l'emploi et des conditions de travail. «Garantie d'une meilleure productivité», le bien-être au travail est aussi évoqué par Valls. Selon lui, en matière de protection de la santé des travailleurs, seuls le temps de travail et la compensation de la pénibilité doivent rester encadrés par la loi. Pour l'ex-Premier ministre, qui reste fidèle à la philosophie de la loi travail, les autres sujets, en revanche, «ne peuvent se traiter d'en haut» et doivent être renvoyés à la négociation entre partenaires sociaux «au plus près du terrain».
Discriminations
Egalité salariale, testing…
Valls y consacre tout un chapitre de son programme. Pour lutter contre les discriminations dans l'emploi, notamment celles liées à l'origine des personnes, le candidat veut généraliser la méthode du «testing» (envoi de CV fictifs), expérimentée en 2016, et sanctionner les entreprises qui auraient des pratiques non vertueuses. Valls promet aussi de diviser par deux, en cinq ans, l'écart de salaires femmes-hommes (aujourd'hui de 19 %), pour le faire disparaître en dix ans. Mais aussi de soutenir le développement des modes d'accueil des enfants. Un point aussi mis en avant par Peillon, qui promet par ailleurs de «poursuivre le combat pour le droit des femmes», en renforçant notamment «l'autonomie des salariés dans l'organisation des différents temps de leur vie», notamment grâce au CPA. Ou encore par Hamon, qui s'engage pour «un réel service public de la petite enfance» et propose, par ailleurs, de renforcer les peines encourues pour discriminations au travail. Plus vague, Montebourg veut faire de l'égalité salariale entre femmes et hommes une «réalité».