Pendant la campagne, Libération va sonder, chaque jour de la semaine, six lieux différents de la «France invisible». Aujourd'hui, un club de handball à Marseille.
Le vestiaire sent déjà le renfermé, mais l’entraînement n’a pas encore commencé. Ce mardi soir, dans le groupe d’amateurs en lice pour la Coupe de France de handball, il y a beaucoup d’absents. Le week-end précédent, ces joueurs ont largement battu leurs adversaires en 32
es
de finale, alors cette semaine, on se repose un peu. Entre deux enfilages de chaussettes, les présents n’ont qu’un sujet en bouche : le tirage au sort du prochain tour de Coupe, qui leur est plutôt favorable. Le match de la présidentielle, il est encore loin pour la plupart d’entre eux.
«Et puis je suis un peu désenchanté,
confesse Gilles, 52 ans.
J’ai l’âge d’avoir connu des gens comme Mitterrand, qui était plus un monarque qu’un président. Ça m’a déçu de la gauche, mais aussi de la droite. Surtout sur l’aspect judiciaire : quand on voit tous ceux qui sont mis en examen…»
Gilles ira tout de même faire son devoir citoyen le 23 avril, mais probablement pour
«voter blanc»
.
«Ça sert à quoi ?»
le tacle Jean-Claude. Le quinquagénaire l’avoue, il ne va plus voter depuis la victoire de Hollande en 2012.
«J’ai été trop déçu»
, souffle-t-il. Il ne se déplacera pas plus pour la primaire de la gauche.
«C’est un cirque, c’est dévoyer les institutions,
évacue-t-il.
On se retrouve avec une élection à six tours. Normalement, on dit qu’au premier tour, on élimine et au second, on choisit. Là, on veut nous pousser au bipartisme, comme aux Etats-Unis !»
Unanimité dans l'équipe, personne n'ira voter le 22 janvier. Pas même Nicolas, 43 ans, le plus à gauche de l'équipe. «Pour l'instant, je penche plutôt pour Mélenchon, confie l'instituteur pourtant abonné au vote utile ces dernières années. Si Hamon gagne la primaire, je réfléchirai. Mais quelles sont ses chances ? Les gens de droite sont capables de se mobiliser pour faire émerger un Fillon, mais la même surprise à gauche, ça m'étonnerait.» Gilles reprend la balle au vol : «Ces primaires, ça reste quand même dans le giron des énarques, il n'y a personne de la société civile, personne qui connaisse la vie de tous les jours ! Quand tu les entends, tu sens la structure des phrases, ils parlent tous de la même façon !» Dans un coin du vestiaire, Clément, 22 ans, n'ose pas trop intervenir. «Je n'ai encore jamais voté, avoue le jeune étudiant. Pour l'instant, je m'y intéresse, je m'informe. Mais de là à voter à la primaire…» Jean-Claude tranche pour lui : «De toute façon, ce jour-là, y a match !»