C'est une chose de coucher un programme sur le papier. C'en est une autre quand vient le moment de la défendre, de l'expliquer et de le préciser. François Fillon, qui vient d'ouvrir mercredi à Nice une séquence immigration qui – espère-t-il, va relancer sa campagne –, va devoir lever quelques interrogations. Alors que la faisabilité (pratique et juridique) de la politique des quotas pose de nombreux problèmes, un flou certain demeure quant à la volonté -et la possibilité- du candidat d'appliquer les propositions qui figurent dans son programme.
Au moment même où Fillon promettait dans son discours, mercredi soir à Nice, de réduire l'immigration au «strict minimum» via des quotas, sa porte-parole, Florence Portelli, s'exprimait elle au micro d'Europe 1 dans le club de la Presse, pour rassurer en annonçant que les étudiants ne seraient pas concernés par le contingentement : «Je précise que ça ne concernera pas les étudiants. On est attaché à la circulation des étudiants, aux programmes Erasmus, qui sont une richesse dans notre pays.» La précision est utile (quand on se souvient que Claude Guéant, ministre de l'Intérieur du gouvernement Fillon, avait lui ciblé l'immigration étudiante) mais elle flingue l'objectif chiffré que François Fillon avait évoqué, lors de la primaire LR. En octobre, sur RTL, François Fillon avait assuré que le nombre de titres de séjours annuels (200 000 en moyenne ces dernières années) était beaucoup trop élevé et qu'il fallait le placer à un niveau «très inférieur à 100 000». Et de donner comme exemple un quota global de «50 000, 60 000 ou 80 000».
Problème : sur les 200 000 titres de séjour, 65 000 concernent des étudiants. Si on ajoute la grosse dizaine de milliers de personnes bénéficiant de l’asile, que François Fillon ne pourra guère limiter, on est déjà à 80 000… soit la fourchette haute du quota global qu’il entendait fixer! Pour tenir son objectif, il faudrait à Fillon limiter à zéro l’immigration économique et surtout l’immigration familiale (80 000 entrées dont une moitié de conjoints de Français qui rejoigne le territoire). Infaisable. Lors de son discours à Nice, mercredi, Fillon s’est gardé de donner un objectif chiffré. C’est plus prudent.
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Par ailleurs, le candidat prend semble-t-il quelque distance avec l'idée la plus transgressive de son programme : celle du choix des immigrés par zones d'origine. Depuis fin 2014, Fillon a fait de cette idée un des axes de son projet, expliquant qu'il fallait tenir compte de la «réalité du peuplement» de la France pour choisir les régions vers lesquelles «se tourner». On retrouve toujours aujourd'hui cette proposition en bonne place dans les grandes lignes du projet (ainsi que dans les propositions détaillées). Mais à Nice mercredi, Fillon n'a pas pipé mot à ce sujet. Patrick Stefanini, directeur de campagne de Fillon, et grand connaisseur de l'immigration (il fut secrétaire général du ministère de l'Immigration en 2008 au moment où Brice Hortefeux tentait de mettre en place des… quotas) n'a pas non plus mentionné ce point lors des debriefings qu'il a faits ces derniers jours avec les journalistes.
Rupture totale
Même discrétion sur les statistiques ethniques que le projet de Fillon propose de mettre en place afin, donc, de servir de cadre à la politique en matière d’immigration. Ces mesures sont-elles passées à la trappe ? De fait, comme nous l’écrivions, si elles peuvent flatter l’électorat le plus à droite, elles cumulent les problèmes : violant aussi bien les traités européens que la Constitution, elle marque qui plus est une rupture totale par rapport à la politique de l’immigration depuis 1945, qui a toujours respecté le principe d’égalité des immigrés. Mercredi, l’équipe de Fillon ne nous a pas donné de réponse sur le sujet.
Preuve que tout n'est pas clair, les propositions de Fillon ont été accueillies de manière contrastée et parfois dans un amusant front renversé. Ainsi, Henri Guaino, ex-conseiller de Nicolas Sarkozy, a pourfendu une politique «inapplicable»… alors que François Fillon a reçu le soutien inattendu de Patrick Weil, historien de l'immigration reconnu, qui avait croisé le fer avec Nicolas Sarkozy sur cette même question des quotas en 2008. Patrick Weil a jugé le discours de Fillon à Nice «de droite» mais «républicain»… en donnant plusieurs arguments : «Il [François Fillon] prévoit des quotas pour quelle catégorie d'immigrés ? Les travailleurs. Il a le droit de la proposer», s'est félicité Patrick Weil, pour qui la proposition épargne donc l'immigration familiale. Sauf que François Fillon avait précisément expliqué en octobre qu'il entendait appliquer les quotas à l'immigration familiale. Y a-t-il plus encombrant hommage que celui qui vous félicite de ne pas faire quelque chose que vous faites… Même confusion quand Patrick Weil, opposant François Fillon à Nicolas Sarkozy, affirme : «François Fillon ne dit pas qu'il veut sélectionner par l'origine nationale, comme Sarkozy.» Certes, il ne l'a donc pas dit à Nice. Mais ça figure donc toujours dans son projet. L'heure de lever les ambiguïtés ?