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Libération
À l'épreuve du droit

Rétention de demandeurs d'asile : pourquoi la proposition Fillon heurte le droit

Le placement en rétention administrative est une mesure d'éloignement. Or, juridiquement, le demandeur d'asile a le droit de résider sur le territoire. Première d'une série d'interventions dans «Libé» du collectif d’universitaires spécialistes du droit Les Surligneurs.
François Fillon visite le poste-frontière de Menton, le 11 janvier. (Photo Laurent Carré pour «Libération»)
par Les Surligneurs
publié le 12 janvier 2017 à 10h48

Pendant la durée de la campagne présidentielle, Libération s'associe avec Les Surligneurs  (1), collectif d'universitaires spécialistes du droit qui examinent les propositions des candidats d'un point de vue juridique. Aujourd'hui, une des propositions de Fillon sur l'immigration.

«Les demandeurs d’asile dont la demande apparaîtra manifestement infondée ou qui sont originaires de pays réputés sûrs seront placés en rétention administrative pendant l’examen de leur demande, de manière que leur éloignement soit garanti en cas de rejet de leur demande.»

François Fillon vise ici «les demandeurs d'asile dont la demande apparaîtra manifestement infondée ou qui sont originaires de pays réputés sûrs». Le placement en rétention est juridiquement une mesure d'éloignement. Or, la loi du 29 juillet 2015 sur le droit d'asile, transposant la directive dite «Procédures», a consacré le droit au maintien sur le territoire du demandeur d'asile le temps de l'instruction de sa demande.

Même pour les étrangers qui présenteraient une demande d'asile alors qu'ils sont déjà en rétention, la loi a supprimé (en réaction à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) et pour se mettre en conformité avec la directive dite «Accueil») tout caractère automatique du maintien en rétention.

Il n'est pas possible de placer de manière systématique un demandeur d'asile en rétention sur le fondement d'une demande qui apparaîtrait «infondée» (et la loi a retiré la compétence d'appréciation qu'avaient les préfets sur ce point pour la confier à l'Ofpra − Office français de protection des réfugiés et apatrides − qui décide de la procédure applicable) ou de ce qu'il vient d'un pays dit «sûr». La directive «Accueil», sous le contrôle étroit de la CJUE, ne l'envisage qu'en dernier ressort, par exemple lorsque l'étranger représenterait une menace grave pour la sécurité nationale ou l'ordre public (CJUE, 15 février 2016, C‑601/15 PPU).

Donc : sauf à réformer la loi et à «détransposer» (décidément !) plusieurs directives de l'Union européenne, ce projet est juridiquement très infaisable.

Caroline Lantero, maître de conférences, université Clermont-Auvergne