J’arrive à l’heure pile pour voir Valls. Il y a beaucoup de monde car l’individu clive. On aime ou on déteste. A
Libé,
on aime peu, au vu du bilan qu’il laisse derrière lui. Beaucoup de questions pour l’ex-Premier ministre. L’arène de
Libé
a converti en taureau celui qui se prenait pour un toréador. Le taureau fonce sur les questions les unes après les autres. Il a réponse à tout car
lui, il a «un bilan».
Je vous évite les réponses techniques - comme le rappelle le grand Coluche :
«Technocrates, c’est les mecs que, quand tu leur poses une question, une fois qu’ils ont fini de répondre, tu comprends plus la question que t’as posée !»
Nous y voilà donc et tout y passe : social, logement, écologie, Adama Traoré, même la dépénalisation du cannabis. Valls confirme sa bipolarité. Quand un journaliste lui rappelle que le pragmatisme dont il se targue n’a rien à voir avec sa politique, il contourne la question comme un taureau.
Vient mon tour, on me donne la parole, je m'exécute : «Peut-on être de gauche et raciste ?» Valls aime le mano a mano, dire qu'il a raison, que l'autorité, c'est lui. Je ne vous cache pas que Valls a déjà assez de détracteurs pour rajouter mon nom à la liste. Moi qui suis français depuis toujours, je regarde ce Français naturalisé, ce migrant en confiance, et je me dis : «Mais qu'a-t-il fait du socialisme ?» J'ai l'impression de vivre un moment historique en étant en présence d'un candidat qui n'a de socialiste que la carte. Comme un taureau qui voudrait qu'on l'aime, Valls a, pendant le quinquennat, essayé de mettre à mort plusieurs leaders de son parti.
Aujourd'hui, certains se vengent et lui enfoncent un par un des piques dans le dos. Pris entre Macron et Mélenchon, le bon sens et la rancœur, Valls a, a priori, peu de chance de s'en sortir. Valls ne m'a jamais autant permis de me sentir français. Je me croyais français tout court et lui m'a fait croire que j'étais français en sursis. Nous avons vécu dans une tension dont je ne pensais pas la gauche capable. Valls me demande «si c'est [moi] qui décide qui est de gauche et qui ne l'est pas». Dans l'absolu non, pas de manière sommaire, mais quand j'ai ma carte d'électeur oui. Valls a oublié que la politique est faite par une élite pour une majorité. Il y a des cicatrices qui ne se refermeront jamais, de la déchéance de nationalité à la loi travail. Un taureau peut-il utiliser le 49.3 pour ne pas mourir ? Réponse fin janvier.
[ Manuel Valls répond aux questions des lecteurs ]
par liberation