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DESINTOX

Primaire : Mélenchon dénonce une fraude massive à Paris (sans l'ombre d'une preuve)

Surfant sur le couac des résultats de la primaire de la gauche, les proches de Mélenchon accusent explicitement le PS d'avoir bourré les urnes.
Ambiance bureaux de votes à Bellevile, dimanche 22 janvier 2017 (Photo Boris Allin. Hans Lucas pour Libération)
publié le 24 janvier 2017 à 15h12

INTOX. Il est avéré que les résultats de la primaire publiés lundi à 10 heures étaient faux, victimes d'un grossier tripatouillage. Il est avéré qu'à au moins deux reprises, une petite main est venue ajouter des voix à Sylvia Pinel, puis une voix au total des votants. Tout ceci est grave, jette un sérieux discrédit sur l'organisation de la primaire et peut nourrir des soupçons. De là à affirmer qu'il y a eu des fraudes massives et des urnes bourrées, il y a tout de même un pas. Que les partisans de Jean-Luc Mélenchon ont allégrement franchi, lundi. Oubliant tout conditionnel.

C'est ainsi que le hashtag #Primairedelatriche, qui était dans les top tendance lundi, a bénéficié d'un relais actif des proches de Mélenchon.

Sur quoi se base cette accusation ? Notamment sur un élément que Mélenchon et ses proches font tourner en boucle : le nombre de votants communiqué pour Paris serait improbable voire impossible, puisqu'il impliquerait une mobilisation de deux tiers de l'électorat socialiste.

L'argument est repris tel quel par Alexis Corbière dans la soirée au micro d'Europe 1. «La politique c'est une question d'éthique. Quand on fait des primaires, il faut que ce soit propre. Je vais dire à ce micro quelque chose de précis parce que je n'ai pu récupérer, moi, à l'heure où je parle, que les chiffres de la fédération de Paris. Le PS affirme qu'il y aurait eu hier 126 000 votants à l'occasion de cette primaire. J'ai reporté ces chiffres à ceux de Claude Bartolone. Monsieur Bartolone avait obtenu aux élections 2015 190 000 voix. Si on croit les chiffres de la participation d'hier, ça veut dire que 66% des électeurs socialistes sont venus voter. Avec trois fois moins de bureaux de vote. Moi j'ai vu des bureaux de vote vides toute la journée. C'est donc matériellement impossible. Je suis conscient de faire une accusation grave, mais je le fais sur le base de faits.»

Mardi matin, c'est Jean-Luc Mélenchon qui a enfoncé le clou sur France 2. Dénonçant un «trucage de masse», il a lui aussi insisté sur le vote parisien. «A Paris, les chiffres montrent que le PS prétend avoir eu dans cette primaire 60% des vrais électeurs de la vraie élection régionale.Tout ça est absolument un trucage, de masse, de masse», a répété Mélenchon avant d'aller jusqu'à remettre en cause le fait que Hamon soit en tête du suffrage, avec un argument un peu «post-vérité» : «C'est ce qui est annoncé [la victoire de Hamon, ndlr]. Sans doute, vous avez raison. Je ne sais pas. Comment faire pour ne croire qu'à une partie de la fraude ? Qu'est ce que vous en savez ? Vous décidez que ça c'est vrai, et que ça c'est pas vrai ?» Autant donc décider que tout est faux, si l'on en croit la logique de Jean-Luc Mélenchon.

DESINTOX. Comme le dit Alexis Corbière, l'accusation est «grave». Examinons maintenant les faits qui «prouvent» la fraude… pour voir qu'ils ne prouvent rien.

Le nombre de votants dans la capitale a été de 126 000 (que Corbière n'a pas «réussi à récupérer», comme il le dit, mais qui étaient en accès libre depuis lundi après-midi). Ce qui représenterait donc l'exploit (inimaginable selon les mélenchoniens) de mobiliser 66% de l'électorat socialiste en se basant sur les élections régionales. Première petite malhonnêteté, il est curieux de se baser sur le scrutin régional de décembre 2015 (Bartolone avait emporté 192 000 voix au premier tour) pour prétendre mesurer le réservoir électoral socialiste, sachant que le premier tour avait été marqué par une abstention de 50%…  En fait, la mobilisation de 126 000 électeurs en valeur absolue n'apparaît pas du tout délirante si on se réfère à la primaire de 2011. Au premier tour, c'est 164 000 votants qui s'étaient alors déplacés. Soit 40 000 de plus que dimanche.

Pour autant, il est exact que la participation à Paris a été forte. Doublement. Elle l'est en pourcentage des inscrits : 10% environ des incrits sur les listes ont voté dans la capitale dimanche. Au niveau national (Paris mis à part, donc), on arrive péniblement à 3,5%. En 2011, lors de la primaire, on avait assisté à un décalage important également, même si moins marqué (près de 13% à Paris contre 5,8 au niveau national sans Paris).

De fait, le décrochage par rapport à la primaire a donc été moins important dans la capitale (-24% par rapport aux votants de 2011) que dans l'ensemble du pays (-38%) – en partant de l'hypothèse que le total des votants de cette primaire est 1,65 million.

Il n'en faut donc pas plus à Mélenchon pour parler de fraude caractérisée. L'accusation est jugée «insupportable» par Emmanuel Grégoire, premier secrétaire de la fédération PS de Paris, qui envisage de porter plainte : «Il n'y a rien de pire que de délégitimer un vote en démocratie. On a tous les éléments matériels, listes d'émargements et PV sous scellés à la fédération, pour le montrer. Il est facile de voir qu'aucun bureau de vote ne détone : que ce soit au niveau de la participation ou au niveau des résultats des candidats, bref, c'est de la pure et simple diffamation.»

Les résultats pour Paris sont donc accessibles en open data depuis hier après midi. Ici.