Opération décrédibilisation. Distancé par Benoît Hamon lors du premier tour de la primaire à gauche, Manuel Valls ne retient aucun coup contre son adversaire, qu'il accuse de vouloir «ruiner» le pays et de cautionner le communautarisme. Après avoir joué les rassembleurs pendant toute sa campagne de premier tour, au prix de quelques zigzags sur le fond, c'est le retour d'un Valls si offensif qu'il flirte avec la ligne jaune. Autorité, présidentialité, laïcité : «Cette fois, il veut imposer ses thèmes, analyse un proche de Vincent Peillon. Avant le premier tour, en tant que candidat de gauche, il ne pouvait pas esquiver le débat sur "quelle société du travail" mais là il veut que l'attention se porte sur lui.» Vu la teneur des attaques relayées par les proches de l'ex-Premier ministre pendant toute la journée de mardi, cette stratégie de tension pourrait lui coûter cher, alimentant le «Tout sauf Valls».
«Brutalité» Pour l'ex-chef de la majorité, l'idée d'instaurer un revenu universel d'existence, qui figure au cœur du programme de Benoît Hamon, est une proposition de «marchand de sable, [de] marchand d'illusions, parce que ça va créer des désillusions». Mais c'est sur le terrain de l'islam que Manuel Valls frappe le plus fort. A ses yeux, si Benoît Hamon, député des Yvelines, était choisi comme candidat à la présidentielle, il y aurait «des risques d'accommodements» avec la laïcité. Or, «il ne peut pas y avoir le moindre compromis avec le communautarisme», a-t-il martelé sur France Info. Dans la bouche de Malek Boutih, député de l'Essonne et membre du premier cercle vallsiste, les accusations vont encore plus loin. «Benoît Hamon est en résonance avec une frange islamo-gauchiste et fait un appel du pied électoral. C'est une stratégie d'attrape-tout», dénonce Boutih dans 20 Minutes. Pour les proches de Valls, c'est parce qu'il est élu d'une circonscription comptant de nombreux quartiers populaires à Trappes que Benoît Hamon défend la reconnaissance de la Palestine ou la légalisation du cannabis. L'équipe de l'ancien Premier ministre a dégoté un ultime angle d'attaque sur l'état d'urgence, dont Benoît Hamon n'a pas voté le renouvellement.
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Un procès en laxisme sur la sécurité, dont Manuel Valls est le procureur au Parti socialiste depuis vingt ans. Pour un membre du gouvernement, «la position de Benoît sur l'état d'urgence va être compliquée à défendre alors que les gens vivent sous la pression de nouveaux attentats».
Le dilemme stratégique de Valls - jouer l'identité ou le social - n'est pas sans rappeler celui qui avait dominé la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2012. Comme un remake de la bataille entre la ligne Buisson et la ligne Guaino. Cela n'a pas échappé aux proches de Hamon qui appuient sur les ressemblances avec l'ancien chef de l'Etat. «Manuel Valls est atteint du syndrome de Nicolas Sarkozy : agressivité, brutalité, manque total de sérénité. Un triste spectacle», lâche le député hamoniste Pascal Cherki. «Nous sommes prêts à discuter sur le fond, ajoute le directeur de campagne de Hamon, Mathieu Hanotin. Mais on ne s'abaissera pas à des débats dignes du Front national.»
Mardi matin, Manuel Valls a petit-déjeuné avec son équipe de campagne et ses soutiens politiques, des ministres, Pascale Boistard, Jean-Jacques Urvoas et Laurence Rossignol, au président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone. «C'est difficile mais il faut qu'on se bouge, a intimé le candidat. Le vote de dimanche dépend de l'engagement des élus locaux sur le terrain. Mobilisez-vous.»
«Planqués» Au sortir de la réunion, certains s'étonnent du procès en brutalité fait à Valls. «Il ne tape pas : il clive. Il n'est pas brutal : il est clair, relativise une ministre. Je ne comprends pas cette injonction à la douceur, sauf à ne pas organiser de débats entre nous.» Malgré l'arithmétique électorale du premier tour, le camp Valls pense disposer encore de quelques ressorts pour le deuxième. Chez les abstentionnistes de dimanche dernier, les légitimistes qui ne veulent pas d'un candidat à la présidentielle estampillé «frondeur» ou une partie de la gauche laïque épousant les positions «exigeantes» de Valls mais restée à la maison jusque-là.
Dans l'entre-deux-tours, Valls espère aussi des signaux de ministres qui se sont jusqu'alors «bien planqués», dixit un député, visant Marisol Touraine et Stéphane Le Foll. Mardi, Bernard Cazeneuve pensait assurer le service minimum en appelant les électeurs à se mobiliser en masse pour ce «grand moment démocratique» lors d'une déclaration à l'Assemblée. Puisque le Premier ministre a brodé sur la «fierté du bilan» du quinquennat et «la revendication de ce que nous avons fait» pendant cinq ans, les vallsistes y ont vu un appui implicite à leur candidat. «Mais il l'a déjà dit dix fois», s'agace un proche de Cazeneuve. Face à la mécanique du rassemblement qui s'enclenche côté Hamon, d'Arnaud Montebourg à Martine Aubry, ce soutien, même tardif, même du bout des lèvres, fait l'affaire de Manuel Valls.