«Là, ça devient compliqué.» Lâché à 11 500 kilomètres de Paris, quelque part entre Santiago du Chili et le désert d'Atacama, c'est le dernier commentaire en date de François Hollande sur la primaire de gauche, après la qualification de Benoît Hamon nettement devant Manuel Valls dimanche. Depuis qu'il a renoncé à une nouvelle candidature, Hollande vit par procuration mais intensément la compétition entre les candidats à sa succession, livrant analyses et piques à son premier cercle au fil de l'hiver. Après les trois débats télévisés du premier tour, le chef de l'Etat avait ainsi regretté auprès de ses proches que la ligne sociale-démocrate de son quinquennat ne soit pas plus défendue. A part par Sylvia Pinel et Jean-Luc Bennahmias «qui sont majoritaires à gauche comme chacun sait», cingle un conseiller de Hollande. La tournure prise par la campagne entre les deux tours inquiète le président.
Lui qui a toujours dit que la primaire ne suffirait pas pour faire gagner la gauche constate que le rassemblement s'éloigne vu les attaques allant crescendo. «Il n'est pas dans une logique d'être peiné mais il est inquiet, commente un visiteur du soir. Tout ce qui se passe n'est pas une surprise pour autant. Le candidat du PS à 5% en mai, pour lui malheureusement c'est écrit.» Une pierre dans le jardin de Benoît Hamon. «Il se demande ce qui va rester ensuite», abonde un autre proche. Sans la pression d'une candidature, François Hollande met une main toute personnelle à son agenda. Il y a eu la pièce de théâtre pendant le deuxième débat de la primaire. «Drucker c'était de la provoc totalement évitable mais il faut se rappeler que personne ne lui veut du bien dans cette campagne», relativise un proche de Benoît Hamon. Continuant ce petit jeu de cache-cache avec les socialistes, Hollande doit assister dimanche à la finale du Mondial de handball à Paris si la France est qualifiée mais il n'a pas l'intention de participer au scrutin du deuxième tour.
«Sa campagne à lui»
Son téléphone sonne moins, mais Hollande accepte toutes les invitations et sort de l'Elysée dès qu'il peut. Enfin libre. Jeudi, il se rend à Poitiers pour un déplacement sur le thème de la santé. «Il est dans sa campagne à lui. Il veut lever le brouillard sur son bilan», explique un conseiller de l'Elysée. Hollande estime que ses choix ont été caricaturés pendant cinq ans et veut prendre sa part dans la bataille contre la droite. Et la santé c'est «l'incarnation de la double méprise de François Fillon: un service public comme l'hôpital ne peut pas fonctionner sans les fonctionnaires et nous avons besoin de la Sécu», poursuit le conseiller présidentiel. Cette visite de terrain à Poitiers a des faux airs de sommet des non-alignés: pour l'occasion, Hollande sera flanqué de Marisol Touraine et de Thierry Mandon, les deux derniers membres du gouvernement à ne pas avoir exprimé de préférence pour la primaire.
Que Hollande mette ses petits bâtons personnels dans les roues de la primaire exaspère le camp Valls, qui le rend responsable de la faible participation et du score de l'ancien Premier ministre. «On paie ses cinq ans à l'Elysée, ses dix ans à Solférino, son renoncement tardif, son désintérêt officiel de la primaire et les déclarations pro-Macron de ses proches», lâche un membre de l'équipe de campagne de l'ex-ministre de l'Intérieur. Que les hollandais regimbent à soutenir leur candidat parce qu'ils l'accusent d'avoir participé au sabordage présidentiel cet automne leur semble au mieux puéril ou pire suicidaire. Les hollandais n'en ont cure. «Ils mettent le dernier coup d'épaule à Hollande et maintenant ils faudraient qu'on leur file un coup de main», s'agace un dirigeant socialiste proche de Hollande.
«Sortir de la culpabilité du passé»
Le premier cercle a le nez sur le calendrier pour retrouver une vie politique normale - notamment pour reprendre leur place au sein des instances du Parti socialiste - sans être harcelés en permanence pour soutenir Manuel Valls. «Plus que cinq jours», a soufflé lundi François Rebsamen lors d'un apéro au ministère de l'Agriculture, l'épicentre de la Hollandie depuis cinq ans. Autour du petit buffet, Stéphane Le Foll avait convié Bruno Le Roux, les secrétaires d'Etat Clotilde Valter et Martine Pinville ou encore le patron des députés socialistes Olivier Faure.
Certains envisagent un vote blanc dimanche mais la majeure partie de ce petit monde vote pour Manuel Valls. A minima. Et pour cause de différends multiples sur la laïcité ou l'identité, ils auraient bien aimé ne pas avoir à le dire publiquement comme le prouvent les contorsions de Le Foll mercredi. Invité sur France Info, le chef des troupes hollandaises s'est borné à dire qu'il ne pouvait pas choisir Benoît Hamon. Après trente années à voter Hollande, tous s'interrogent sur la suite de l'aventure mais le deuil est loin d'être terminé. «Il faut porter un projet et sortir de la culpabilité du passé. Se tourner vers l'avenir. explique le maire de Tulle, Bernard Combes. Un peu comme trouver un père de substitution.»