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Libération
Au fil de la journée

«Il est temps de changer le paradigme de la société»

Hamon candidatdossier
Certaines personnes qui ne s'étaient pas déplacées la semaine dernière sont venues voter aujourd'hui. (Photo Cyril Zannettacci pour Libération)
par Haydée Sabéran, François Carrel, à Grenoble et Fontaine (Isère) et Stéphanie Harounyan, à Marseille
publié le 29 janvier 2017 à 15h40

En Isère, dans le Nord et les Bouches-du-Rhône, les électeurs se réjouissent d’avoir à trancher entre deux lignes claires.

Marseille : «Je trouve que la campagne a fait remonter un débat de fond»

C'est presque la routine au siège local du PS, dans le centre-ville de Marseille. «La semaine dernière, on est arrivés à 8 heures et on était prêts dix minutes avant. Là, on a eu une demi-heure, calcule le président du point de vote qui comptabilise quatre bureaux. La semaine dernière, ça votait par à-coups. Là, c'est plus un flot continu.» Dimanche dernier, c'est ici qu'on a le plus voté à Marseille, plaçant Benoît Hamon en tête. Aujourd'hui, l'enjeu n'est plus le même pour Paule, militante PS de la première heure. D'ailleurs, elle est venue glisser son bulletin dans l'urne alors qu'elle ne s'était pas déplacée pour le premier tour : «Je savais que ce serait ces deux-là, justifie-t-elle. Cette fois-ci, je suis venue parce que je trouve que la campagne a fait remonter un débat de fond. Que le PS gagne la présidentielle ou pas, il faut que l'on entende nos idées.»

D'ailleurs, à la mi-journée, la participation semblait à la hausse dans le département des Bouches-du-Rhône par rapport au premier tour. «On remarque que beaucoup de gens qui ne se sont pas déplacés au premier tour sont venus voter cette fois-ci», confirme le président du bureau marseillais. Christine, fervente militante de gauche, en fait partie. «La semaine dernière, je n'étais pas là, explique-t-elle. Mais là, c'est une nécessité. D'abord parce que je suis une femme et qu'on a eu le droit de vote fort tard, alors je prends ce que l'on me donne. Ensuite parce que ça me plaît que l'on sache que le PS aujourd'hui n'est plus à gauche et qu'il y a des gens qui, eux, le sont.» Si rien n'est joué pour l'instant, Marion Pigamo, représentante de Benoît Hamon à Marseille, veut croire que son candidat en a motivé plus d'un. «On a croisé beaucoup de gens cette semaine qui nous ont dit que pour une fois, ils avaient le sentiment qu'un projet politique leur donnait envie de revenir aux urnes, assure-t-elle. On a eu aussi beaucoup de gens qui votaient pour la première fois.» Un second souffle que ce militant, préposé à l'un des bureaux, voit aussi dans les détails : «Par exemple, on arrive à avoir pas mal de gens qui nous laissent leur mail pour recevoir des informations. Il y en a plus que ce que l'on pensait. Et ça, c'est encourageant.»

Jean-Luc Bennahmias est à peine arrivé dans son bureau de vote, dans le Ve arrondissement de Marseille, qu'un enseignant l'interpelle : «J'ai mes deux enfants qui votent pour la première fois et je ne sais pas quoi leur dire ! Je suis effaré par les propositions, c'est du réchauffé !» Bernard n'a pas voté au premier tour, même si les idées de Bennahmias l'ont séduit. «Encore un électeur de perdu», sourit l'ex-candidat. «Pourquoi je n'ai pas voté au premier tour, je ne sais pas, s'excuse Bernard. Mais là, je suis venu pour éliminer un candidat. Mon ancien ministre de l'Education.» Bennahmias l'a dit, lui non plus ne votera pas Hamon, sans toutefois donner de consignes à ses quelque 17 000 électeurs. «Ce sont de grandes personnes, évacue-t-il. Quant à moi, je ne suis pas un frondeur, j'ai soutenu le gouvernement. Et quel que soit le résultat, je soutiendrai le vainqueur de la primaire.»

Bernard s'éloigne, en promettant, lui, qu'il votera blanc pour les deux tours de la présidentielle. Jean-Luc Bennahmias s'interroge : «Les citoyens progressistes vont s'apercevoir qu'en l'état actuel des troupes, personne n'atteint le second tour. Je vois mal, vu les ego surdimensionnés, Mélenchon, Macron ou le vainqueur de la primaire se retirer… Mais il y aura peut-être une pression citoyenne. Il existe des outils, comme des pétitions en ligne, qui peuvent faire qu'à un moment, les candidats se posent des questions. Mais est-ce que ça suffira de se poser des questions ?» Lui veut continuer à creuser son sillon de l'«arc progressiste», en attendant que les sondages éclaircissent les choses. Avec, désormais, une toute nouvelle notoriété nationale. «Elle a été multipliée par dix, confirme-t-il. Je croise un paquet de gens qui sont contents de ce que j'ai fait et qui ont trouvé mes prestations fort sympathiques. Mais qui n'ont pas voté pour moi.»

Grenoble : «Les révélations sur Fillon représentent une déflagration»

A Grenoble, le bureau de vote du quartier Berriat n'a pas désempli de la matinée. Hakima, militante de service derrière l'urne, affiche un large sourire : «30% de votants en plus, c'est une belle surprise ! Nous voyons beaucoup de jeunes et de personnes âgées que nous n'avions pas vus au premier tour.» A midi, ici, ils étaient 190 à être venus voter, contre 130 à la même heure la semaine dernière. Cette progression serait d'environ 30% dans tout le département, selon Thibaud Pikorki, permanent fédéral du PS en Isère, qui vient à son tour faire la queue pour glisser son bulletin dans l'urne. Il se dit moins surpris, même s'il est ravi : «Les révélations sur Fillon représentent une déflagration. Tout le monde nous en parle. L'ampleur de cette montée de participation remet tous les pronostics à zéro sur le résultat de la primaire, d'autant que l'électeur de gauche a maintenant un choix clair.»

Parmi les nouveaux votants, plusieurs expliquent leur absence au premier tour par un manque d'informations pratiques. Quentin, 31 ans, est content d'avoir pu voter cette fois et affiche un bel optimisme : «Les perspectives sont moins sombres qu'il y a quelques semaines : le spectre d'un second tour Fillon-Le Pen s'écarte un peu !» Il a voté Hamon. Chloé, 39 ans, n'avait pas du tout eu envie de voter au premier tour… Elle se demandait encore il y a peu si elle allait même voter à la présidentielle, victime «d'une grosse désillusion vis-à-vis des politiques». Le résultat de la semaine dernière, ce duel Hamon-Valls, l'a remotivée : «Ça a été une surprise ! J'ai le sentiment qu'il peut se passer pleins de choses d'où ma participation aujourd'hui. D'une part je n'ai pas envie de voir Valls au second tour de la présidentielle, d'autre part j'ai apprécié qu'Hamon s'intéresse à l'économie sociale et solidaire. C'est le seul !» Emmanuel, 47 ans, a voté Valls pour la deuxième fois. Comme la majorité des votants ce matin, il veut croire que la présidentielle n'est pas encore perdue : «Il ne faut pas baisser les bras, tout reste ouvert, surtout après les rebondissements concernant Fillon, et s'il y a une grosse participation aujourd'hui.»

Fontaine (Isère) : «On doit valoriser le travail et privilégier les entreprises françaises»

A Fontaine, commune de l’agglomération grenobloise historiquement ouvrière et toujours administrée par le PCF, on a plus voté pour ce second tour : dès 16 heures, le nombre de votants égalait le total de dimanche dernier. Derrière cette dynamique transparait pourtant une division profonde entre partisans de Valls et de Hamon.

Camille, 26 ans, est venue voter Hamon alors qu'elle n'avait pas participé au premier tour : «C'est bien la découverte des idées qu'il porte qui m'a motivée : le revenu universel, une économie plus écologique… Je reste méfiante pourtant, étant donné son cursus, mais il est intéressant de voir ces idées nouvelles avancer. Par ailleurs, je rejette Valls, au vu du quinquennat écoulé : si c'était lui qui l'emportait dans cette primaire, je voterai blanc ou autre chose.» Même rejet de Valls chez Alain, 61 ans, électeur régulier du PS : «Au premier tour, je n'ai pas voté, j'hésitais… Là, les choses sont plus claires : les mêmes recettes appliquées depuis des années n'ont rien fait évoluer, il est temps de changer le paradigme de la société. Ceux qui se disent responsables, comme Valls, sont en fait irresponsables, englués dans une vision politique dont on ne se dépêtre pas. Son revirement sur le 49.3, par exemple, ce n'est pas sérieux ! Si Hamon ne passe pas, je voterai sans doute Mélenchon.»

Du côté d'une partie des supporteurs de Valls, la perspective d'une candidature du PS portée par Hamon laisse dubitatif. Edmond, 75 ans, fustige les «idées farfelues» de Hamon : «Je ne peux accepter son projet de revenu universel, on doit valoriser le travail et privilégier les entreprises françaises ! Je ne suis pas sûr de voter pour Hamon au premier tour de la présidentielle s'il devait l'emporter aujourd'hui.» Hélène, la soixantaine, consciente de cette déchirure au sein de l'électorat de gauche, se dit «effondrée, aujourd'hui autant que dimanche dernier» : «Les candidats n'ont pas fait l'effort de se rapprocher.» Elle est pourtant venue voter une seconde fois pour cette primaire, «pas par adhésion à l'un ou à l'autre» mais portée par l'espoir «d'éviter une catastrophe». Elle n'arrive pourtant pas vraiment à y croire : « Je pense que celui qui remportera cette primaire ne sera de toute façon pas au second tour de la présidentielle… et ça me désole.»

Lille : «Avoir du désir, c’est trop agréable»

A Lille, ça fait «dring» à chaque fois que quelqu'un pousse la porte à la salle Alain-Colas de Fives, quartier ouvrier qui se «boboïse». C'est dring sur dring. La semaine dernière, le taux de participation a atteint 5,3%, au-dessus de la moyenne nationale, et il y a peu d'ouvriers parmi les votants. Ici, au premier tour, Hamon a dépassé 57%. Voilà Cyril Viallon, chorégraphe : «J'ai voté Hamon, ça faisait très longtemps que je n'avais pas voté avec un vrai désir.» Il a un élan des épaules, comme s'il allait danser : «Il a une autre façon de nous parler. J'ai l'impression de discuter au café avec ma copine Corinne. Il ne pratique pas la petite phrase assassine. D'habitude, je vote plus écolo au premier tour. Là, s'il gagne la primaire, je voterai pour lui.» Sur le revenu universel ? «Je ne sais pas quoi penser, je m'informe.» Et si Hamon échoue à passer le second tour ? «Je ne pense pas à ça. Avoir du désir, c'est trop agréable.»

Christophe, maître de conférences en biologie, a voté Valls : «A cause de ce qui s'est passé cette semaine avec Fillon, il a une petite chance d'être au second tour. C'est un vote plus de calcul que sentimental. Sinon, j'aurais voté Hamon.» Chloé, étudiante en urbanisme, ne se pose pas ce genre de question : «Hamon me représente plus, le revenu universel fait ses preuves en Finlande. Je préfère des idées qui donnent de l'espoir plutôt qu'un discours de répression.» Barbara, responsable de magasin, a voté Hamon aussi, parce qu'«il a l'air honnête, et parce que je crois que Valls n'est pas plus capable que lui d'être au second tour». Stéphanie, ingénieure, aurait bien voté Valls, mais elle n'a pas apprécié qu'il n'assume plus son 49.3. «J'ai eu l'impression qu'il retournait sa veste. J'aimais son côté affirmatif, qui tranchait avec la mollesse de Hollande.» Elle a voté Hamon mais avoue qu'elle choisira… Macron à la présidentielle. On croise aussi une ex-communiste, qui vote Hamon, mais votera Mélenchon en avril. Elle glisse : «Au second tour, s'il fallait choisir entre Le Pen et Fillon, je n'hésiterai pas à voter Fillon.»

Roubaix : «Quand on a une carte d’identité, il faut l’utiliser !»

A Roubaix, sous les plafonds à moulures de la grande salle du conseil municipal, le parquet en point de Hongrie grince sous les pas. Dans le bureau de l'hôtel de ville, on a voté presque comme dimanche dernier, quasiment dans les mêmes proportions, mais la participation est faible : même pas 1% à midi. Dans la queue qui mène à l'isoloir, Jean-Claude, 50 ans, conseiller de vente d'origine ivoirienne, parle à son smartphone, en direct sur Facebook Live : «Quand on a une carte d'identité, il faut l'utiliser ! Ivoiriens, n'ayez pas peur ! Mon candidat, c'était Montebourg, il a été éliminé. Je vote Hamon, le plus doux des deux !» Et puis, portable fermé : «Je connais trop de Français d'origine ivoirienne qui se plaignent des politiques mais qui ne vont pas voter.» Voilà un vieux couple de 81 ans et 85 ans, elle ancienne commerçante, lui ancien responsable des achats dans le textile, socialistes «depuis toujours». Ils ont voté Valls, «celui qui a le plus d'expérience».

Alain, 53 ans, cuisinier, ne veut surtout pas de Valls, et Hamon lui redonne «de l'espoir» «J'étais prêt à voter Mélenchon, mais là, si Hamon gagne la primaire, ce sera un vote PS parce qu'il propose une politique de gauche. Il faut que Mélenchon face alliance avec lui, et lui laisse la première place.» Sa fille Romane, 22 ans, étudiante en lettres : «Mélenchon ne me plaît plus des masses, il est un peu mégalo sur les bords.» Son père : «Hamon au second tour, ce serait magnifique. Dans le pire des cas, je prie pour que ce soit Macron.» Foudil Bensalem, militant socialiste et assesseur, a voté Hamon, «parce qu'on a oublié les valeurs de la gauche», mais il est inquiet : «Pour gagner, il faut 51%.» Pierre Dubois, l'ancien maire socialiste, arrive avec sa femme. Il a perdu la mairie au profit de la droite dans une triangulaire aux dernières municipales en raison de la présence de trois listes socialistes ou apparentées. Il était pour Montebourg, il vote contre Valls. «Il a fait quatre erreurs : le 49.3, la déchéance de nationalité, sa définition outrancière de la laïcité et son style, trop clivant.»