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Mal-logement

La Fondation Abbé-Pierre fait irruption dans la campagne présidentielle

Cinq candidats lancés dans la course à l'Elysée ont répondu à l'invitation de la FAP pour plancher sur les questions relatives au mal-logement et décliner leurs propositions.
Le long du périphérique Nord, là où l ' association "Les Enfants du canal" organise des maraudes pour faire de l'accompagnement sociale auprès des sans abris, en décembre 2016 (Photo Martin Colombet. Hans Lucas pour Libération)
publié le 31 janvier 2017 à 7h16

Journée «Grand oral» pour les candidats à l’élection présidentielle. Ce mardi, Benoît Hamon, Yannick Jadot, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon ont rendez-vous à la Grande Arche, dans le quartier de la Défense, près de Paris. Un moment rare dans cette campagne électorale puisque quatre des six principaux candidats (Marine Le Pen n’a pas été conviée et François Fillon se fera finalement représenter par la députée LR Isabelle Le Callennec) vont se retrouver en un même lieu au même moment.

Ils vont plancher sur les questions relatives à l'habitat et décliner leurs propositions, devant un parterre de 2 000 à 3 000 personnes réunies par la Fondation Abbé-Pierre (FAP), qui présente son rapport annuel (1) sur «L'état du mal-logement en France». Un document dans lequel la FAP dresse un constat sans concession : la France «compte de plus en plus de personnes pauvres, sans domicile, expulsées [de leur logement, ndlr], ou qui souffrent de précarité énergétique».

Il y a cinq ans jour pour jour, le candidat Hollande s'était livré à un exercice similaire, promettant à l'époque plusieurs mesures contre le mal-logement. Mais le rapport pointe un quinquennat «en demi-teinte» sur ce plan. S'il salue certaines mesures telles que la mise à disposition de terrains publics pour construire davantage de HLM, la TVA à taux réduit appliquée au secteur du bâtiment ou l'encadrement des loyers, force est de constater que «le nombre de personnes confrontées à la crise du logement continue à augmenter», observe la Fondation.

Outre les 143 000 SDF recensés par l'Insee, pas moins de 643 000 personnes n'ont pas de logement personnel : elles évitent les affres de la rue grâce à la solidarité de leurs familles ou d'amis qui les hébergent. D'un quinquennat qui s'achève à un autre qui s'annonce, la FAP propose aux candidats lancés dans la course à l'Elysée, un grand plan «plus personne sans logement», impulsé par l'Etat. «L'objectif est de mettre fin, dans les cinq à dix ans, au scandale des personnes contraintes de vivre dehors», souligne Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre. On en est loin.

Logement : lutte des classes ou «lutte des places» ?

Quand ils se frottent au marché du logement, les ménages à la recherche d'un toit «font face à une véritable lutte des places» fondée sur des critères de revenus. En moins de vingt ans, les prix de l'immobilier ont doublé, et depuis l'an 2000 «les loyers des grandes agglomérations ont augmenté de 55% en moyenne […], deux fois plus vite que l'inflation», note la Fondation. Dans les territoires économiquement dynamiques, où la demande de logement est la plus forte, «la dégradation de la situation des catégories intermédiaires est manifeste». Dans ces bassins d'habitat, les ménages moyens consacrent une part toujours plus importante de leurs revenus à se loger, alors que les personnes modestes ou démunies peinent de plus en plus à trouver un toit, jusqu'à être frappées par des «phénomènes d'exclusion» qualifiés de «violents» par le rapport.

Parmi les SDF accueillis dans les centres d'hébergement d'urgence figurent aussi des personnes qui travaillent. Des salariés pauvres qui vivent dans des baraques, des voitures, des caves, des campings, à l'hôtel, dans des chambres de bonnes de quelques mètres carrés, ou sont accueillis par des proches. Selon une enquête de l'Insee de 2013 citée par le rapport, 5 millions de personnes ont «connu un épisode de privation de logement personnel […] à un moment de leur vie», avant de rebondir. Le grand plan «plus personne sans logement» proposé aux candidats à la présidentielle repose sur une série de réformes, concernant tout à la fois le logement HLM, le parc locatif privé, l'accueil des migrants, ou la prévention des expulsions locatives qui alimentent la précarité.

Comment mettre davantage à contribution les HLM en faveur des personnes modestes ou démunies ?

Le parc social compte 5,3 millions de logements, et chaque année près de 10% de ce parc (soit 500 000 logements) est libéré par ses occupants après des décès, des séparations, des déménagements, ou par des familles qui accèdent à la propriété ou s'en vont habiter dans le parc locatif privé. Le rapport considère que les attributions de ces HLM libérés constituent chaque année «la marge de manœuvre la plus simple […] pour résoudre les situations de mal-logement les plus graves». Pour la FAP, un quart de ces attributions (soit 125 000 par an) doit aller aux personnes sans domicile et aux 25% de ménages les plus modestes, pour faire baisser le nombre de mal logés et lutter contre l'exclusion.

La Fondation juge en outre nécessaire de porter le nombre de logements HLM construits à 150 000 par (contre 109 000 en 2015), en mettant le cap sur les logements sociaux aux loyers les plus abordables pour les personnes modestes. Car même dans le parc social, il existe toute une gamme de logements (PLAI, PLUS, PLS) qui vont du loyer minoré au loyer moyen. Autre levier : créer 40 000 places supplémentaires en CADA (Centre d’accueil des demandeurs d’asile) pour les migrants qui se retrouvent souvent dans les structures d’hébergement d’urgence ou à dormir dans la rue faute d’offre suffisante.

Comment mobiliser le parc locatif privé à des fins sociales ?

La mobilisation d'une partie des 6,8 millions de logements du parc locatif privé à des fins sociales «est déterminante pour compenser les défaillances du marché et les limites du parc social» qui ne peut pas répondre à lui seul à toutes les demandes de logement des personnes modestes ou en difficulté, estime le rapport. Pour la FAP, il convient de développer dans le privé une offre de logements aux «loyers maîtrisés».

En échange de tarifs semblables aux loyers pratiqués par les HLM, les propriétaires privés qui adhéreraient au dispositif recevraient un crédit d'impôt et bénéficieraient d'une exonération de la taxe foncière, pour compenser la différence entre le loyer de marché et le loyer maîtrisé. Ces bailleurs bénéficieraient en outre d'un système de garantie couvrant les risques d'impayés de loyers ou de dégradation du logement loué. Selon Christophe Robert, «40 000 logements locatifs privés à vocation sociale» pourraient être mobilisés chaque année, «dont la moitié avec des loyers très sociaux ciblés vers des ménages en difficulté».

Comment prévenir au lieu d’expulser ?

En 2015, près de 169 000 ménages locataires ont été visés par des procédures d'expulsion engagées devant les tribunaux par les bailleurs, le plus souvent pour impayés de loyers : pas moins de 127 000 de ces recours ont abouti à une décision d'expulsion. Des locataires ont ensuite obtenu des délais devant le juge de l'exécution, d'autres sont partis d'eux-mêmes, d'autres situations on pu être réglées à l'amiable. Au final, «les forces de l'ordre ont procédé à près de 14 400 expulsions» à l'encontre de locataires qui restaient en place.

Face aux impayés, la FAP propose une politique de prévention très en amont, consistant à aller à la rencontre du locataire en difficulté dès les premiers loyers non réglés. «Les chances de régulariser la situation diminuent à mesure qu'augmente le montant de la dette», pointe le rapport. La Fondation appelle les candidats à la présidentielle à «inventer une sécurité sociale du logement universelle», qui viendrait au secours des locataires en cas de problèmes (baisse de ressources soudaines, maladie, séparation…). C'est ce qu'avait tenté de faire Cécile Duflot, dans le cadre de sa loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur), mais elle avait subi un tir de barrage au sein même de la majorité de gauche au Parlement et avait dû renoncer à sa mesure.