La tâche s'annonce rude. Benoît Hamon a beau s'atteler au chantier du rassemblement, la théorie des gauches irréconciliables, avancée par le perdant de la primaire, est aujourd'hui très concrète. Dans une tribune publiée par le Monde, les députés socialistes Christophe Caresche et Gilles Savary revendiquent ainsi leur droit à se soustraire de la campagne, ne se reconnaissant pas dans la gauche de Benoît Hamon.
«Socialistes nous sommes, socialistes nous entendons rester. Mais comment le nier : à l'issue de cette primaire qui n'a rien résolu, nous sommes confrontés à un cas de conscience inédit : comment porter un projet présidentiel conçu comme l'antithèse d'une action de mandature que nous avons soutenue et dont nous revendiquons les avancées ?», s'interrogent les deux élus, classés à l'aile droite du parti, sous l'étiquette du groupe des «réformateurs». «Le rassemblement, c'est le respect de tous associé à des actes, ce ne peut être l'obligation, pour chaque socialiste, de se convertir à la "fronde"», poursuivent-ils, avant de brandir le droit du travail. «Nous revendiquons haut et fort un droit de retrait de la campagne présidentielle car les conditions de notre soutien à la candidature de Benoît Hamon ne sont pas réunies», écrivent-ils.
Concernant le soutien d'un candidat à la présidentielle, ce recours à l'article L4132-5 du Code du travail est pour le moins aventureux. En effet, ce droit, destiné aux salariés, s'applique «dans toute situation de travail où il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent (risque pouvant se réaliser brusquement et dans un délai rapproché) pour sa vie ou sa santé», ou «s'il constate une défectuosité dans les systèmes de protection». Or à ce qu'on sache, et quand bien même les signataires affirment que «le projet du candidat PS relève d'une gauche radicalisée», Benoît Hamon n'a pas prévu de demander aux élus socialistes de prendre l'autoroute en sens inverse pour rentrer dans leur circonscription ou de laisser se balader des lézards venimeux pendant les congrès du parti.
A titre d'exemple, et de comparaison, des conducteurs de RER avaient fait valoir leur droit de retrait en janvier 2015, après l'agression d'un de leur collègue. Plus récemment, on a évoqué cet article du Code du travail pendant la vague de froid, au sujet des salariés qui travaillent à l'extérieur. Le droit de retrait, à moins qu'il ne se révèle injustifié après examen par un juge, n'entraîne, contrairement à la grève, pas de retenue de salaire. Le salarié n'est par ailleurs «pas tenu de reprendre son activité tant que la situation de danger persiste».
L’argument de la clause de conscience
Quelques jours avant la publication de cette tribune, pendant l'entre-deux tours, Gilles Savary expliquait déjà : «Les députés qui ont été légitimistes et loyalistes comme nous seraient piégés par une victoire de Hamon». Il évoquait alors, déjà, «un droit de retrait» mais précisait qu'il s'agirait d'«une sorte de clause de conscience». Là encore, le député convoque le droit du travail. Cette disposition a d'abord été créée pour les journalistes. Elle permet «de quitter de sa propre initiative une entreprise de presse, tout en bénéficiant des indemnités de licenciement», lorsqu'un changement notable a lieu concernant l'orientation du journal. En octobre dernier d'ailleurs, Vincent Bolloré, avait d'ailleurs détourné cette clause de conscience pour pousser ses salariés vers la sortie. Cette disposition a ensuite été étendue à d'autres métiers, notamment au sein du corps médical, pour les avocats et les cadres dirigeants. «Désormais, lorsqu'il y a un changement de contrôle non souhaité dans une entreprise, les employés ont la possibilité de décider de leur départ dans des conditions favorables et en obtenant des indemnités», explique ainsi l'avocate Joan Dray. Encore une fois, cette disposition n'est donc pas vraiment transposable au cas des élus PS qui ne demandent pas à quitter le PS.
Que disent les règles du PS ?
Pour participer à la primaire, les candidats devaient signer une «déclaration d'engagement» très claire :«Je m'engage à soutenir publiquement le-la candidat-e qui sera désigné-e à l'issue des élections des Primaires citoyennes et à m'engager dans sa campagne». Sur les non-candidats en revanche, aucune règle n'est formellement édictée, ni dans la charte, ni dans les statuts du parti. Il n'empêche, en décembre, alors que plusieurs députés revendiquaient une double appartenance PS/ En Marche!, Christophe Borgel, secrétaire national chargé des élections, avait lancé un avertissement : les candidats socialistes aux législatives qui soutiennent Emmanuel Macron pour l'élection présidentielle n'auront plus l'investiture du PS.
«Tous les candidats ont reçu […] copie d'un courrier du président de la commission nationale des conflits qui est un rappel statutaire et qui dit quelque chose de simple : être candidat socialiste aux législatives, c'est soutenir le candidat socialiste à l'élection présidentielle», précisait-il, sans aller jusqu'à mentionner l'exclusion. Si Christophe Caresche, qui évoque une quinzaine de parlementaires engagés dans sa démarche, a expliqué ne pas envisager «à ce stade» de rallier Macron, le message reste le même : les élus doivent soutenir le vainqueur de la primaire.
Sauf que la règle semble avoir du mal à imprimer. Interrogé ce matin par FranceInfo, le secrétaire d'Etat au développement Jean-Marie Le Guen déclarait : «Le Parti socialiste, depuis notamment que Benoît Hamon et un certain nombre de ses amis ont introduit l'idée de la fronde, (ça) laisse ouvert beaucoup de possibilités. Le maire de Lyon (Gérard Collomb, ndlr) qui est un des principaux élus, a pris depuis des mois et des mois des positions différentes (il soutient Emmanuel Macron, ndlr) et il est toujours au PS. On est dans une période politique où il faut accepter des éléments de diversités». «Il y a longtemps que ces règles-là ne fonctionnent pas au sein du PS», a-t-il poursuivi. En 2007 d'ailleurs, sans appeler à voter pour un autre candidat que Ségolène Royal, plusieurs «poids lourds» du parti s'était astreint au service minimum niveau soutien. Certains, dont François Hollande, lui avaient même mis des bâtons dans les roues. Quelques jours avant la publication de la tribune, un membre de l'équipe de Benoît Hamon expliquait à l'AFP que «la seule exigence, c'est la loyauté […] ne pas nuire à un candidat, cela peut suffire».