Historien, Christian Delporte est un spécialiste de l'histoire de la communication politique en France (1). Pour lui, beaucoup de ceux qui se revendiquent comme des candidats «hors système» sont «à la fois dedans tout en se présentant dehors».
La plupart des candidats à la présidentielle, et pas des moindres, se revendiquent hors système. Est-ce nouveau ?
Traditionnellement, ceux qui se prétendent comme tels sont les extrêmes. Pendant longtemps, celui qui se présentait ainsi, c’était le Parti communiste, qui rejetait la démocratie libérale. Mais Pierre Poujade, quand il est candidat en 1956 aux élections législatives, se dit aussi hors système. On peut ajouter à cette liste les hommes providentiels qui arrivent au pouvoir. C’est d’une certaine façon le cas de Charles de Gaulle. D’ailleurs, dans son premier gouvernement, il y a des hommes de droite et de gauche.
Quelle est la principale différence entre ces époques et la période actuelle ?
Le Parti communiste et Pierre Poujade disaient clairement ce que cela signifiait pour eux d’être hors système. Aujourd’hui, ceux qui se disent ainsi n’expliquent pas de quoi il s’agit, ils ne décrivent pas précisément ce fameux système. Se voient-ils en dehors du système politique ? Economique ? Médiatique ? Et puisqu’aujourd’hui, tout le monde ou presque se dit hors système, l’affirmer ne veut plus dire grand-chose. L’autre grande différence, c’est qu’autrefois, quand on était hors système, on l’était vraiment. On n’était pas à la fois dedans tout en se prétendant dehors.
Qu’est-ce que cela dit du monde politique actuel ?
Qu’il caresse les électeurs dans le sens du poil. Il y a un rejet du politique, des médias, de l’économie, et il surfe là-dessus. Il faut bien voir que la revendication du «hors système» se fait toujours dans un moment de crise. Cela a été le cas de l’extrême droite dans les années 30. Il y a souvent une dimension morale à l’affaire, ou identitaire, comme on dirait aujourd’hui.
Benoît Hamon, qui vient de remporter la primaire organisée par le Parti socialiste, est à sa façon aussi hors système…
Carrément hors système, puisqu’il apparaît comme un frondeur. Il se situe hors du système socialiste tel qu’il fonctionne depuis près de quarante ans. Et il a fait sa campagne là-dessus. C’est en partie ce qui explique sa popularité, même s’il navigue depuis plusieurs décennies au sein de l’appareil.
Qu’est-ce qui peut affaiblir l’argument antisystème ?
La limite de l’exercice, c’est qu’au-delà du slogan, il faut du concret. C’est quoi ce fameux «système» ? Et comment ces candidat(e)s comptent-ils le détruire ? Bien souvent, ceux qui se revendiquent hors système se gardent bien de répondre à cette question.
La tentation de l’antisystème n’est pas purement française…
Non, bien sûr. Donald Trump a fait sa campagne sur ce thème. Il est devenu président des Etats-Unis en brandissant cet étendard. La montée des populismes peut être interprétée comme un rejet des systèmes en place. D’où la tentation de se revendiquer hors système.
(1) Il publie ce mois-ci avec Terreur graphique la Petite Bédéthèque des savoirs tome XIV : la communication politique, l'art de séduire pour convaincre, 72 pp., 10 €.