Cet élu socialiste ne peut s'empêcher de chambrer: «Vous nous donniez pour mort il y a quinze jours et regardez, c'est l'armée des ombres qui se relève un dimanche matin!» D'un mouvement de tête il fait signe en direction des quelque 3 000 personnes, selon les organisateurs, venues acclamer Benoît Hamon à la maison de la Mutualité à Paris pour son investiture officielle en tant que candidat socialiste à l'élection présidentielle après sa large victoire (58,69%) sur Manuel Valls il y a une semaine. Il fait signe aussi en direction de la poignée de soutiens de l'ex-Premier ministre, venus, en retrait, expliquer à la presse pourquoi le député des Yvelines est désormais leur «candidat».
Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur du monde socialiste. Ce qui tient cet édifice ce sont les (bons) sondages qui ont suivi la désignation de Hamon, l'ont remis en selle pour le second tour et font taire – pour l'instant – les demandes «d'inflexions» de son programme. «Rassembler. Rassembler les socialistes et rassembler la gauche», répète le candidat socialiste dès l'introduction de son discours. Et pour cela, dans cet exercice il ne faut pas commettre d'oubli. Hamon cite tout de suite François Hollande sur la laïcité et le fait applaudir pour son action contre le terrorisme. «Il a sauvé des vies», lance-t-il sous les acclamations. Il remercie ensuite Manuel Valls – pourtant grand absent du jour – et ses soutiens: «C'est très important pour moi. Ça me donne de l'élan, ça me propulse.» Mais il en faut plus pour contenter l'appareil.
«La ligne gouvernementale a été battue dans la primaire»
«A ce qu'il paraît, je suis très attendu sur le bilan», ironise Hamon devant un parterre qui comptait – quand même – une demi-douzaine de membres du gouvernement, dont Najat Vallaud-Belkacem (Education nationale), Emmanuelle Cosse (Logement), Laurence Rossignol (Familles) ou encore Matthias Fekl (Commerce extérieur), Axelle Lemaire (Numérique) et Harlem Désir (Affaires européennes). Il pioche quelques réformes mais rappelle très vite que «ce bilan ne peut pas être l'axe autour duquel nous devons faire cette campagne». «La ligne gouvernementale a été battue dans la primaire», répète le camp Hamon.
Sans se cacher, la ligne mise en avant ce dimanche est donc celle de ceux qui ont rompu avec ce quinquennat. Pour preuve : la mise en scène de l'entrée commune de Christiane Taubira, Arnaud Montebourg, Aurélie Filippetti et Vincent Peillon, tous partis, pour différentes raisons, en cours de route entre 2014 et 2016. «Dans cette campagne, nous vous dirons nous-même le sens de l'action accomplie. Le sens aussi de nos refus, avait annoncé l'ex-ministre de la Justice chargée de chauffer la salle pour Hamon. Avec toi Benoît, nous repartons à la conquête des cœurs et des esprits. Nous allons redevenir une gauche de combat et non une gauche de constat.»
«Une gauche horizontale»
Fin de la production de véhicules diesel en 2025, revenu universel d'existence et sa «première étape» pour les 18-25 ans dès 2018, légalisation du cannabis, nouveau traité budgétaire européen, 49.3 citoyen… Hamon ne change rien à son programme. Et pour mettre un pansement sur les plaies de ce quinquennat, il propose aux socialistes, plutôt que d'en rester au bilan, de se projeter :«Où voulons nous aller?», interroge Hamon.
La question vaut pour Jean-Luc Mélenchon. Sans citer le nom du candidat de la France insoumise qui l'intime de «choisir» entre Valls et lui, Hamon lui demande de «ne pas (lui) demander des têtes parce que cela n'a aucun sens» et explique qu'il existe «une gauche horizontale», «une gauche féconde», «une gauche collaborative», «qui ne rejette pas les partis politiques mais qui n'y adhère pas forcément». «C'est elle qui montre la voie», insiste Hamon avant de préciser: «Je ne conçois pas que le rassemblement se réduise demain à un accord d'appareil.» «On n'est pas là pour dire tel ou tel candidat n'est pas légitime, précise son directeur de campagne, Mathieu Hanotin. On construit un projet avec ceux qui le souhaitent et, à la fin les électeurs de gauche trancheront.»
Son entourage craignait qu’il ne se «solférinise»
Quant à Emmanuel Macron, il n'entre toujours pas dans ce champ de ce «rassemblement». Hamon moque l'ex-ministre de l'Economie en «créature du système qu'une habile manipulation transforme, par la grâce peut-être, en grand transformateur» et le trouve «à côté de la plaque» sur la réalité du travail des jeunes d'aujourd'hui lorsqu'il propose que ces derniers puissent déroger aux 35 heures.
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Ce dimanche, son entourage craignait qu’il ne se «solférinise». Comprendre: qu’il retombe dans le moule PS et perde la spécificité de ce qui avait fait sa victoire. Plutôt qu’un défilé de responsables estampillés PS, Hamon a obtenu qu’un bout de scène soit réservé à plusieurs intellectuels pour parler société du travail, environnement, citoyenneté ou encore laïcité.
«Je ferai quelques figures imposées de temps en temps, disait-il à Libération en début de semaine. Mais le championnat, je vais le gagner sur les figures libres.» Investi, Hamon va pouvoir entrer de plain-pied dans sa campagne. Avant un déplacement en Haute-Vienne et en Creuse en milieu de semaine, il doit annoncer son nouveau dispositif de campagne, nouvelle preuve attendue de «rassemblement» des socialistes.