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Interview

Najat Vallaud-Belkacem : «Il est temps de faire campagne !»

Ayant gardé en mémoire le peu de soutien dont Ségolène Royal avait bénéficié en 2007 au sein de son propre camp, la ministre de l’Education nationale a décidé de soutenir activement le vainqueur de la primaire à gauche, Benoît Hamon. Elle appelle également Emmanuel Macron à sortir de l’ambiguïté et à clarifier son programme.
Najat Vallaud-Belkacem, lundi à Paris. (Photo Frédéric Stucin pour Libération)
publié le 6 février 2017 à 20h16

Lé-gi-ti-miste. Après avoir soutenu Hollande durant le quinquennat puis Valls durant la primaire, la ministre de l'Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, s'engage derrière Hamon, désormais le candidat officiel du PS. Loin du «doux rêveur» caricaturé durant la primaire, elle juge que l'ex-ministre frondeur est «une chance» pour la gauche. Lundi, elle nous a reçus dans son ministère, où elle rempilerait bien cinq ans.

Le week-end politique a été chargé : à Lyon, Le Pen a présenté son programme, Macron a fait une nouvelle démonstration de force, Mélenchon a réuni du monde. A Paris, Hamon a été investi candidat. Lequel de ces événements faut-il retenir ?

(Sourire). La convention d'investiture de Benoît Hamon. Mais je vous le dis, à un moment il va falloir sortir de l'unique commentaire sur la fréquentation des meetings. Les Français s'intéressent à la politique, ils sont curieux, ils répondent présents, et c'est très bien. Mais c'est trop souvent la seule grille de lecture alors que ce week-end, on est vraiment entrés dans le temps de la campagne présidentielle, du débat, de la confrontation, et donc de la comparaison des projets. Incontestablement, la dynamique était du côté de Benoît Hamon et j'ai même été surprise par l'absence de propositions nouvelles chez les autres orateurs. Marine Le Pen, qui a l'air complètement hypnotisée par Trump, dissimule désormais les points les plus brutaux de son projet : certes, elle propose de constitutionnaliser la préférence nationale, mais exit la peine de mort, la sortie de l'euro ou la scolarisation payante des enfants étrangers…

Quid de Mélenchon et de Macron ?

Mélenchon est un bon orateur, on le sait. Mais il donne l’impression de s’enfermer dans une contestation solitaire du reste du monde. Quant à Macron, j’ai eu le sentiment qu’il nous parlait de la France des années 70 et que son affaire patinait un peu. Qu’il n’arrive pas à produire de projet en dit long sur l’impasse de son aventure. Entre les gens de gauche et ceux de droite qui le soutiennent, il y a un monde. Et quand il sortira de l’ambiguïté, il créera de nombreux mécontents.

Les Français n’ont pas l’air de lui en tenir rigueur, et même de se tourner vers lui au-delà de son absence de programme…

Mon sentiment c’est qu’il a mangé son pain blanc. Il a bénéficié d’une période où il n’y avait pas de candidat socialiste désigné : il ne pouvait qu’apparaître séduisant comparé à la droite de Fillon. Mais maintenant, on va pouvoir entrer dans le dur avec une vraie alternative de gauche portée par Benoît Hamon. Quand Macron dit qu’il veut supprimer en partie l’ISF, à quelles dépenses publiques renonce-t-il ? Ménager la chèvre et le chou ne tient qu’un temps. On ne peut pas dire plus de libéralisme et plus de protection. La campagne va le contraindre à parler clairement.

Benoît Hamon et sa «gauche de gauche», le bon candidat pour contrer Macron ?

Chacun le sait, je suis la première à défendre ce quinquennat et, lors de la primaire, j’ai apporté mon soutien à Manuel Valls considérant qu’une fois François Hollande retiré de la compétition, c’était lui le leader naturel de la gauche de gouvernement. A partir du moment où Benoît Hamon a été largement désigné et qu’on s’engage dans autre chose, il faut dépasser les caricatures de la primaire. Non, Benoît n’est pas le doux rêveur que certains ont décrit. C’est quelqu’un qui a exercé des responsabilités durant ce quinquennat et qui a fait adopter des textes intéressants quand il était en charge de l’Economie sociale et solidaire. Il sait ce qu’est le dialogue social, il connaît la nécessité de trouver des équilibres, il a conscience qu’un budget doit être tenu, etc. Ses propositions durant la primaire ont suscité un engouement réel auprès des électeurs. Il a su dessiner une lecture du monde - en particulier du travail, mais aussi du défi écologique - qui a fait écho chez beaucoup de gens. C’est une chance pour le Parti socialiste de se ressourcer et d’écrire une nouvelle page. Voila pourquoi j’étais à la Mutualité, avec lui, prête à mener le combat.

Le «futur désirable» de Hamon fait penser au «désir d’avenir» de Royal en 2007. Il y a dix ans, le rassemblement de la famille n’avait pas été au rendez-vous, le sera-t-il davantage cette fois ?

Je fais souvent cette analogie. C’est aussi ce qui dicte mon comportement : j’ai un souvenir vivace de la convention d’investiture de Ségolène Royal en 2007 et des très mauvaises manières qui lui furent faites. Il serait mortifère de reproduire cela. La seule question que chacun doit se poser, c’est comment se rendre utile. La gauche doit être au rendez-vous de 2017. Il est temps de faire campagne !

Vous avez quand même du mal à reconnaître que le bilan du quinquennat est forcément un boulet pour le candidat…

Dans une campagne présidentielle, un bilan, aussi bon soit-il, et celui-là l’est, ne suffit pas. L’enjeu, tout en prenant appui sur le bilan, ses acquis, ses progrès, c’est la capacité à se projeter, à rendre notre option politique désirable, à convaincre. C’est ce qu’a entrepris Benoît Hamon et qu’il s’agit d’intensifier.

Si Hamon l’emporte en mai, vous rempilez à l’Education nationale ?

Vous décidez rarement de ces choses-là, mais oui, le meilleur service à rendre à l'Education nationale, au-delà des personnes, serait de lui consacrer un ministre durable qui conduise une politique cohérente sur le long terme car l'école, c'est du long terme [lire ci-contre, ndlr]. Ce qui fait le plus de mal à ce ministère, ce sont les va-et-vient, les retournements de situation permanents, qui ont désespéré les professeurs eux-mêmes. Ils ne sont pas rétifs à la réforme, mais ils exècrent ces allers-retours où on leur fait faire des choses pour leur expliquer cinq ans plus tard que c'est exactement le contraire qu'il fallait faire.

Et si la défaite est au rendez-vous en 2017 ?

Quoi qu'il arrive, je serai candidate aux législatives à Villeurbanne [Rhône]. Pour décrire mon état d'esprit, j'ai envie de vous lire un texte que Michael Moore a publié au lendemain de la victoire de Trump. Il s'est adressé aux élus démocrates et leur a écrit (elle sort son portable et lit) : «Les représentants démocrates au Congrès qui ne se sont pas réveillés ce matin avec une furieuse envie de résister en entravant le programme des républicains doivent éviter de mettre des bâtons dans les roues à ceux qui savent ce qu'il faut faire pour empêcher le triomphe de la mesquinerie et le délire qui s'annonce.» Ce qu'il dit, je le prends pour nous, la gauche. Si malgré tout la droite devait gagner la présidentielle, il faudrait alors des parlementaires engagés pour résister à chaque instant contre la casse sociale programmée.

Le mois prochain, vous publiez une autobiographie alors que vous avez toujours séparé sphères privée et professionnelle…

L'idée d'un livre m'est venue cet été, au lendemain de l'attentat de Nice. J'ai vu une vidéo de Marion Maréchal-Le Pen sur les réseaux sociaux. Elle expliquait qu'il y avait d'un côté les Français et de l'autre «les Français de papier» et qu'il fallait désormais choisir son camp dans ce qu'elle qualifiait de «guerre mondiale». C'était très brutal et ça n'a pas dérangé grand monde. J'ai ressenti personnellement cette violence et j'ai pris mes responsabilités. Je me suis mise à écrire ce que je suis, dans un mélange de récit personnel et de réflexion politique. Ce travail de dévoilement n'était pas une évidence pour moi parce que pendant longtemps, j'ai refusé de mélanger les sphères et que j'ai tout fait pour éviter d'être ces étiquettes dans lesquelles on voulait me cantonner : la voix des banlieues, de l'immigration, de la «diversité». Aujourd'hui, je comprends mieux que, la nature ayant horreur du vide, si la diversité fait silence elle se fond dans le grand moule, et le récit de la France que j'aime, ouverte, multiple, disparaît au profit du seul discours de rabougrissement.