Certains recommencent à y croire : le plus dur serait derrière eux. Dans le camp Fillon, on se dit que la campagne reprend et qu’il va enfin devenir possible de reparler des «vrais sujets». C’est ce que le candidat entendait démontrer, mercredi soir, lors de son meeting de Compiègne (Oise). Avant de se rendre à cette réunion, il avait déjeuné avec Nicolas Sarkozy. Un rendez-vous sollicité afin de négocier avec son ex-rival les conditions d’un cessez-le-feu. A quel prix ? La suite de la campagne le dira. Dans l’immédiat, Fillon a bon espoir que ce deal aura calmé les ardeurs des sarkozystes qui réclament sa destitution.
Admettons qu’il puisse en être ainsi. Supposons que l’ex-employeur de la furtive Penelope Fillon échappe à la mise en examen. Imaginons même qu’il parvienne à se qualifier au premier tour le 23 avril et que la majorité des Français décide ensuite, le 7 mai, de lui confier les clés de l’Elysée pour ne pas y voir entrer Marine Le Pen.
Soit. Mais si ce scénario optimiste devait se réaliser, il est clair que l'homme qui accéderait à la présidence de la République n'aurait plus grand-chose à voir avec le vainqueur de la primaire de la droite. Comment oublier que cet homme-là avait fait de l'honneur et de la droiture sa marque de fabrique ? Dans son combat contre «le tricheur» Jean-François Copé en 2012 comme dans celui qu'il mena, en 2016, contre le mis en examen Nicolas Sarkozy.
Les amis de l'ancien Premier ministre protestent qu'il est «trop facile» de fouiller dans les archives pour dénicher, çà et là, des déclarations susceptibles de mettre un élu face à ses contradictions. Il est vrai que, dans un parcours politique, les virages ne sont pas nécessairement des trahisons ni même des reniements.
Sauf que dans le cas de ce candidat-là, il n'est nul besoin d'explorer le passé avec des intentions malveillantes. Il suffit de l'écouter. Jusqu'à son écrasante victoire du 27 novembre 2016, quasiment toutes ses prises de parole s'accompagnaient de l'énoncé de ce que l'on pourrait appeler le pari de Fillon : «C'est parce que je suis moi-même irréprochable que je saurai convaincre les Français de faire les efforts qui permettront le redressement national.»
En septembre, cinq jours après le fameux discours dans lequel il se demandait qui pouvait bien imaginer «de Gaulle mis examen», Fillon se désolait sur France Info de la complaisance du «système médiatico-politique», trop prompt à ses yeux à oublier «les affaires». Postée sur Twitter par le média d'information Brut, la vidéo de cette interview a été partagée par des milliers d'internautes. Les déclarations du même acabit sont si nombreuses qu'il y aura, n'en doutons pas, largement de quoi meubler les soixante-six jours qui nous séparent de la présidentielle.
S'il reste candidat, c'est parce qu'il n'y a «pas d'alternative», expliquait-il mardi devant les députés LR. Pour les fidèles de Sarkozy, il était savoureux de voir celui qui prétendait incarner l'intégrité et le patriotisme désintéressé quémander la protection de celui dont il a si souvent dénoncé «le comportement».
En échange de cette protection, il serait demandé à Fillon de s'engager à nommer à Matignon François Baroin, le protégé de Sarkozy. Cette hypothèse est assez baroque : dans un livre qui paraît ce jeudi, le même Baroin se dit opposé à la hausse de deux points de la TVA, mesure dont on nous a expliqué qu'elle était consubstantielle au projet du vainqueur de la primaire. C'est donc une autre campagne qui débute péniblement. Gageons qu'elle n'aura plus grand-chose à voir avec celle de l'élu «irréprochable», qui prônait une rupture «radicale» et «les efforts» qui vont avec.