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Libération
Récit

Affaire Fillon : l’enquête prend son temps

Le Parquet national financier a indiqué jeudi que le «classement sans suite» du dossier n’est pas envisagé «en l’état». Les avocats de l’ex-Premier ministre sont vent debout.
Antonin Lévy et François Cornut-Gentille, avocats du couple Fillon, le 9 février. (Photo Gilles Bassignac. Divergence)
publié le 16 février 2017 à 20h46

Le Parquet national financier (PNF) avait promis une clarification rapide dans l'affaire Fillon. La décision est tombée jeudi matin sous la forme d'un bref communiqué. «Les nombreux éléments déjà recueillis ne permettent pas d'envisager, en l'état, un classement sans suite de la procédure», indique la procureure Eliane Houlette. Après avoir pris connaissance du rapport de synthèse de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (Oclciff), qui reprend et résume l'ensemble des investigations effectuées par les policiers, la magistrate a estimé qu'il n'y avait pas de quoi écarter d'éventuelles poursuites dans l'enquête pour «détournement de fonds publics» et «abus de biens sociaux» visant François Fillon. Le député de Paris est de ce fait toujours soupçonné d'avoir favorisé l'emploi supposé fictif de sa femme et de ses deux enfants. «Les investigations vont se poursuivre», précise le communiqué.

«Ambiguïtés». Fidèle à sa pratique, le PNF a donc décidé de garder la main au stade préliminaire, sans transmettre le dossier à des juges d'instruction et en évitant soigneusement une citation directe, forcément prématurée après seulement deux semaines d'enquête. En d'autres termes, le candidat de la droite n'est ni formellement poursuivi ni blanchi. «On ne sort de l'ambiguïté qu'à ses dépens», disait le cardinal de Retz, dont la célèbre maxime s'applique aujourd'hui autant au PNF qu'à François Fillon. Le candidat n'étant pas mis en examen, il peut en effet continuer à faire campagne sans se dédire. Ses avocats n'ont d'ailleurs pas manqué de souligner qu'il n'y avait «pas d'éléments pour requérir des poursuites» et justifier un renvoi direct en correctionnelle de leur client. «Il n'y a rien de nouveau, ni poursuites, ni mise en examen», a insisté François Fillon dans un entretien au Figaro, critiquant «un acte de communication du parquet qui nourrit le feuilleton médiatique». En toute hypothèse, l'ancien Premier ministre fait désormais savoir qu'il sera candidat jusqu'au bout. Plus question de se retirer. «C'est trop tard maintenant, a-t-il dit en petit comité. Mon retrait poserait un problème démocratique majeur. La locomotive est lancée, rien ne peut l'arrêter.»

De son côté, le PNF peut continuer à dérouler ses investigations sans être accusé de fausser l'élection par une décision trop explicite. Un entre-deux qui permet à chaque partie de temporiser, mais ne lève aucun doute sur les suites judiciaires qui seront finalement données au dossier. «La seule mission du Parquet national financier est d'appliquer la loi, fondement du pacte démocratique», a rappelé Eliane Houlette.

Fuites. Comme un poison lent, l'enquête préliminaire va donc se poursuivre, avec de nouveaux actes, probablement de nouvelles auditions, et peut-être même une confrontation entre François Fillon et son épouse dans les tout prochains jours. Autant de développements judiciaires qui risquent de polluer un peu plus une campagne déjà sérieusement ébranlée. Sans parler des informations qui ne manqueront pas de fuiter dans la presse. Car à ce stade de la procédure, le PNF et les policiers de l'Oclciff ne sont plus les seuls à disposer des pièces du dossier. L'affaire étant «signalée», le premier rapport de synthèse remis mercredi au parquet est nécessairement remonté au ministère de l'Intérieur et à la chancellerie, et donc à l'Elysée. Un éclatement de l'information qui multiplie de facto les risques de fuites. «Il est capital, à quelques semaines du premier tour, que l'enquête se déroule enfin dans la légalité et la sérénité. Toute nouvelle violation du secret de l'enquête serait inadmissible», ont averti les avocats de Fillon comme pour prendre les devants.

Privés d'accès au dossier et contraints à des gesticulations procédurales, Mes Antonin Lévy et Pierre Cornut-Gentille ont renouvelé leurs critiques à l'égard du PNF et dénoncent désormais une «enquête non contradictoire». Une situation pourtant normale au stade de la préliminaire, même si rien n'interdit formellement au parquet de communiquer des pièces à la défense dans les prochaines semaines. Dans l'affaire des montres de Julien Dray, en 2009, l'ancien procureur de Paris, Jean-Claude Marin, avait transmis des éléments aux avocats de l'ancien député socialiste afin de respecter les contradictoires. La loi du 3 juin 2016 permet aussi au parquet, à l'issue de l'enquête préliminaire, de communiquer des pièces aux parties pour observation. Au vu de la sensibilité du dossier visant Fillon, rien n'empêche Eliane Houlette d'envisager une telle perspective pour calmer le jeu.

Reste une ultime question : jusqu'à quand les investigations du PNF peuvent-elles ainsi se poursuivre sans parasiter l'élection ? «Une suspension des investigations en raison de la période électorale n'est pas envisagée à ce stade», a indiqué une source proche du dossier à l'AFP. Mais il reste seulement un mois avant la date limite de dépôt des parrainages, le 17 mars, et personne n'imagine l'enquête se poursuivre indéfiniment. Tout porte à croire qu'une nouvelle clarification interviendra avant cette date, sans doute dans les quinze premiers jours de mars. En vertu d'une vieille tradition républicaine et pour éviter toute critique sur la dépendance du parquet, Eliane Houlette pourrait alors être fondée à geler les investigations le temps de la campagne afin de ne pas interférer avec le processus électoral. Mais une telle hypothèse ne lèverait en rien l'ambiguïté sur les lourds soupçons qui pèsent désormais sur François Fillon.