«Je ne pensais pas qu'on allait conclure dès ce soir» : même si la rencontre a été un peu fraîche, Benoît Hamon est plutôt content de son coup. Tout sourire, le candidat à l'Elysée quitte le siège du Bloc de gauche, une grande maison carrée où flotte un drapeau rouge entre deux palmiers dans le centre de Lisbonne. Depuis quinze mois, cette formation de gauche radicale, anti-système et anti-Europe, soutient le gouvernement du Premier ministre socialiste portugais Antonio Costa. Tout un symbole pour Benoît Hamon. Mais surtout, le premier test in vivo pour celui qui veut créer un «arc d'alliances» avec les gauches européennes pour «reconstruire l'Europe».
A chacune de ses étapes à Lisbonne, son premier voyage officiel à l’étranger de candidat, l’ancien deputé européen déroule donc son projet pour le continent. S’il est élu président, il veut un nouveau traité budgétaire, créant, entre autres, une assemblée de la zone euro qui fixera les limites des déficits et des dettes de ses membres et remplacerait le conseil des ministres des Finances. Bataillant avec la foi du nouveau converti sur les questions écologiques, Hamon réclame également un nouveau traité sur l’énergie et veut créer une CECA bis. Près de 70 ans ont passé depuis la création de cet embryon d’organisation politique européenne: la future instance ne s’occupera donc ni de charbon ni acier mais d’énergies renouvelables.
Nouveau rapport de force européen
Au sein de l'équipe de campagne du candidat socialiste, c'est l'économiste Thomas Piketty qui est chargé de préparer cet arsenal européen, rédigeant les futurs textes pour ne pas arriver les mains vides en cas de victoire en mai. Car pour Benoît Hamon, si François Hollande n'a pas réussi à «réorienter l'Europe» - l'un de ses slogans de campagne il y a cinq ans - c'est en partie à cause de l'intransigeance de l'Allemagne mais aussi parce qu'il n'a pas proposé d'alternative concrète pendant son quinquennat. Il n'a «rien mis sur la table», dixit Hamon. Ne pas renégocier le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) de 2012, a été «la pire erreur de François Hollande», selon Piketty. En l'absence du président sortant dans la course présidentielle, l'économiste a réajusté ses attaques de campagne, accusant François Fillon et Emmanuel Macron, ancien secrétaire général de l'Elysée et ministre de l'Economie d'être co-responsables du désastre.
En marge de ce travail sur le fond, Benoît Hamon veut s'attacher lui à construire un nouveau rapport de force européen. En amont. D'où sa visite au Portugal et ses contacts avec la gauche espagnole, italienne ou grecque même s'il ne devrait finalement pas se rendre en Grèce avant le premier tour. Trop peu de temps officiellement. Mais, explique le candidat en décrochant un nouveau coup de patte à François Hollande, «je ne veux pas être dans la situation où je promets une réorientation et où une fois élu je me retourne et je suis tout seul».
Gauches réconciliées
Depuis cet automne, les gauches radicales européennes ont créé le Left Caucus au sein du Parlement de Strasbourg dans l'espoir de créer une alternative aux alliances éternelles entre sociaux-démocrates et démocratie chrétienne. Loin de ses camarades socialistes français, Benoît Hamon se voit en poisson-pilote de ce mouvement, d'où la rencontre avec le Bloc de gauche portugais vendredi. «Ici les gauches ne sont pas irréconciliables, elles sont réconciliées. Elles sont tombées d'accord pour sortir leur pays de l'austérité en dépassant leurs clivages», rappelle le candidat, oubliant que pour s'allier les gauches portugaises ont justement mis de côté les sujets qui les fâchaient le plus comme la construction européenne ou l'appartenance à l'Otan.
Du coup, même si Benoît Hamon y revient trois fois en français et en anglais pendant un entretien de 30 minutes, le Bloc de gauche ne veut pas entendre parler de «nouvel agenda des gauches européennes». «Nous ne voyons pas de majorité capable de faire ce que vous proposez», lui explique, plutôt froidement, Catrina Martins, la chef de file du mouvement. Le candidat à l'Elysée pose ses lunettes sur la table et regarde au loin. Au niveau européen, le Bloc de gauche «est dans le même réseau que Mélenchon: ils ne vont pas nous rouler des pelles au premier rendez-vous mais ils veulent qu'on travaille ensemble», assure le député Pascal Cherki, qui fait partie de la mini-délégation officielle, à la sortie de la réunion.
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Une fois dehors, Benoît Hamon temporise lui aussi : cette méfiance est la preuve du «désenchantement» européen auquel il veut remédier. «La stratégie qu'on a choisie, elle n'est pas simple, reconnaît-il, improvisant un briefing avec les journalistes dans une ruelle de Lisbonne. Mais si on ne va pas au contact avec ces formations de gauches, on n'y arrivera jamais».