Pendant la présidentielle, Libération sonde, chaque jour de la semaine, un lieu de la «France invisible». Aujourd'hui, une maison de retraite de Montpellier.
Le menu du jour leur reste un peu sur l'estomac : évoquer Marine Le Pen donne des nausées à certains résidents de la maison de retraite des Glycines, surtout à Marie. «Il ne faut pas oublier qu'elle pense comme son père, qui a parlé de détail à propos de la Shoah. Comment peut-on dire une chose pareille ? C'est énorme ! L'extrême droite, c'est nuisible, et contre toutes mes valeurs.» Non, personne ici n'a envisagé de donner sa voix à Marine Le Pen. Et tous mesurent le danger : «Si elle est partout en tête dans les sondages, ça signifie bien quelque chose, résume Maurice. Soit que les gens sont malheureux, soit qu'ils rejettent le pouvoir actuel. Ou bien les deux.»
«Les femmes sont plus fanatiques, plus acharnées»
Bernard, qui confesse connaître moins bien «Mme Le Pen» que son père, livre sa propre analyse de la situation : «Cette dame cristallise le mécontentement général. Quant à sa tactique politique, elle consiste à dire des choses assez extrêmes tout en sachant que si elle est élue, elle ne pourra pas les appliquer. Comme par exemple sortir de l'Europe.»
Ah, les femmes en politique ! Josette en est persuadée : «Elles sont plus hargneuses que les hommes, car elles ont davantage de choses à prouver.» «Elles sont plus fanatiques, plus acharnées», confirme Mireille. Des noms de politiciennes considérées comme plus ou moins prestigieuses commencent à circuler autour de la table : Angela Merkel, Theresa May, Christine Lagarde, Michèle Alliot-Marie… Bientôt, d'autres noms sont exhumés du passé : Suzanne Crémieux, Golda Meir ou Jeannette Vermeersch, la compagne de Maurice Thorez… Autant de femmes jugées d'une envergure autrement plus convaincante que celle de Marine Le Pen.
«Si elle était élue, je quitterais mon pays»
«De toute manière, estiment Bernard et Josette, si elle était élue présidente, elle ne pourrait pas gouverner. Elle serait bloquée de tous les côtés par les institutions.» Mais Marie refuse même d'envisager ce cas de figure : «Si par malheur cela devait arriver, ce serait un drame pour la France ! Et moi je quitterais mon pays… si je le pouvais.»
à lire aussi Toutes les chroniques «La France invisible»
Bref, la simple évocation de ce sinistre scénario met en berne le moral de nos pensionnaires. D'autant que la campagne pour l'élection présidentielle n'est guère réjouissante. Josette annonce d'une voix blasée qu'elle fait une «Fillonite aiguë», et Mireille juge l'actualité politique à la fois «désespérante et écœurante» : «Finalement, prédit-elle, c'est celui qui va trouver le dernier bon mot qui prendra le flambeau…»