Menu
Libération
Enquête

Assistants parlementaires : une profession dans l’ombre des ors

L’affaire Fillon a braqué le projecteur sur ce métier jusque-là discret, laissant l’impression d’une sinécure grassement payée. Un portrait loin de la réalité : salaires moyens modérés, dépendance totale vis-à-vis des parlementaires, grande disponibilité attendue…
Dans les couloirs de l’Assemblée nationale, en octobre 2012. (Photo Sébastien Calvet pour Libération)
publié le 20 février 2017 à 20h16

Il y a eu ces coups de fil peu amènes à la permanence, «juste pour vérifier qu'il y avait bien quelqu'un qui travaillait dans ce bureau», avant de raccrocher aussi sec. Ces questions désobligeantes : «Et il y a un huissier qui t'apporte ton café sur un plateau d'argent ?» Ces fantasmes, pêle-mêle : «Vous ne payez pas d'impôts, vous avez une voiture de fonction, vous êtes fonctionnaires…» «Les gens croient qu'on croule sous les ors de la République. Oui, on voit passer les cartons d'invitation, mais on ne va pas aux cocktails», grince le collaborateur d'un député PS. Et puis les insultes par mail - «bande d'escrocs», «tous pourris» - et les fausses demandes d'embauche - «Je ne sais rien faire, recrutez-moi !» Aux sourires ironiques dans les soirées, «je réponds que je fais le métier le plus célèbre de France depuis quatre semaines», dit l'un d'entre eux. Sale temps pour les assistants parlementaires…

L'affaire Fillon et les révélations du Canard enchaîné sur les emplois présumés fictifs de la famille du candidat LR à la présidentielle ont mis en lumière ce métier aux contours parfois flous et au statut fragile, d'ordinaire cantonné aux coulisses des palais Bourbon et du Luxembourg. Une définition vague dont les avocats du couple Fillon se sont servis pour justifier l'absence de preuves du travail de Penelope Fillon, évoquant des missions pas «tangibles» ni «matérielles». Les collaborateurs ont apprécié. Autant que d'entendre les porte-parole du candidat, dans les matinales, considérer comme normal un salaire de 4 000 euros mensuels. Selon le Syndicat national des collaborateurs parlementaires (SNCP)-FO, la moyenne à l'Assemblée tourne plutôt autour de 2 200 euros nets par mois. «Et il est très difficile de dire que notre travail est non tangible… Le principal de notre boulot, c'est quand même d'écrire. Or les écrits, c'est tangible», proteste une assistante de sénateur, syndiquée à la CGT.

«Engagement total»

«Sous le choc» devant les sommes exorbitantes évoquées, les collaborateurs ont aussi profité du scandale et de son exposition médiatique pour remettre sur le devant de la scène un vieux combat : leur absence de statut et le «vide juridique» qui entoure la profession.

Dans une tribune parue vendredi dans le Monde, cinq représentants de syndicats invoquaient d'ailleurs «le droit de sortir de l'ombre, parce que cette situation [l'affaire Fillon, ndlr] jette le discrédit sur chacun d'entre nous, parce qu'elle accroît, une fois de plus, la défiance de nos concitoyens vis-à-vis de leurs représentants». Dix jours plus tôt, une centaine de collaborateurs de sénateurs, pour la plupart de gauche, avaient manifesté pour fustiger ce «statut un peu ambigu, un peu bâtard». Pour un des participants, «notre fonction a besoin d'être modernisée, après avoir été créée de manière obscure dans les années 1970», quand un parlementaire français s'est aperçu, lors d'un voyage aux Etats-Unis, que ses homologues du Congrès étaient, eux, dotés de secrétaires et de conseillers. Leur mot d'ordre, ce jour-là devant le palais du Luxembourg : «Nous ne sommes pas des Penelope.» Contrairement aux furtives châtelaines de la Sarthe, les 3 000 assistants parlementaires n'ont aucun mal à afficher leur to do list.

On les dit «petites mains» de députés, eux préfèrent «couteaux suisses». Assistant parlementaire, c'est encore François Fillon qui en parle mieux : «Votre responsabilité est importante. Auprès de vos élus, au Parlement comme dans les circonscriptions, vous êtes leurs relais, leurs organisateurs, leurs confidents, leurs boîtes à idées. Beaucoup ne comptent ni leurs heures ni n'économisent leur dévouement. A la source du métier, il y a la notion d'engagement total», vantait celui qui était alors sénateur de la Sarthe, lors d'un colloque en 2006 - cité par Jean-Jacques Urvoas dans son Manuel de survie à l'Assemblée nationale.

Baby-sitter

Ceux qui travaillent à Paris se chargent souvent du volet législatif - rédaction de propositions de loi ou d'amendements - font de la recherche documentaire, s'occupent parfois de communication ou de relations avec les médias, rédigent des notes, font de la veille ou du conseil politique. Lorsqu'ils sont basés en circonscription, les collaborateurs peuvent avoir un rôle de représentation dans des manifestations publiques, gèrent la permanence téléphonique, reçoivent des administrés, font le lien avec les élus et les associations de terrain. Il n'existe au fond aucune fiche de poste précise. Tous le disent : il existe autant de profils de collaborateurs que de façons pour un parlementaire d'exercer son mandat. C'est «le principe du député-employeur», peut-on lire sur le site de l'Assemblée nationale : «Le député a la qualité d'employeur, il recrute librement ses collaborateurs, licencie, fixe les conditions de travail et le salaire de son personnel, dans le respect des dispositions du code du travail.»

Une sorte de très petite entreprise qui tourne, c'est selon, au tête-à-tête ou au face-à-face. L'attachée d'un parlementaire socialiste évoque «un microcosme, un petit monde où le pouvoir appartient aux élus». Emna, collaboratrice d'une sénatrice entre 2011 et 2014 parle, elle, d'un «cercle où on ne leur dit jamais non, où tout leur est dû, notamment notre présence. Ils font la loi. Littéralement.» «Beaucoup de parlementaires sont très corrects et même très sympas et très humains, mais le système repose entièrement sur leur personnalité, donc pour le meilleur ou pour le pire», déplore une assistante travaillant au Sénat. Avec parfois des élus qui abusent clairement de cette relation hiérarchique aussi peu codifiée que contrôlée. «Vous êtes à la merci du député, il y en a qui doivent porter le costume de celui-ci au pressing ou qui baby-sittent le petit dernier», cite le collaborateur d'un élu communiste. On a même trouvé deux députés - un LR et un PS - qui indiquaient dans leur déclaration d'intérêt recruter «un chauffeur» sur leur budget collaborateurs. Et que ce soit parce que le poste peut être un tremplin, par conviction politique ou par peur d'être «black-listé», certains sont prêts à accepter beaucoup.

Chaque parlementaire dispose d'une enveloppe mensuelle (7 500 euros brut par mois pour salarier jusqu'à trois collaborateurs au Sénat, et 9 561 euros pour payer jusqu'à cinq assistants à l'Assemblée) qu'il distribue comme bon lui semble. Les rémunérations ne s'alignent donc pas nécessairement sur le niveau de diplômes ou l'expérience des recrues. L'attachée d'un député socialiste témoigne de l'existence de cas de figure radicalement opposés, comme ce collaborateur familial «qui se pointe de temps en temps pour regarder des vidéos sur Youtube et touche 3 000 euros bruts par mois» et à l'inverse, «ce copain qui sort de Sciences-Po, travaille soixante heures par semaine et gagne 1 350 euros par mois, parce qu'il n'y a plus d'argent dans l'enveloppe.» En outre, les temps partiels sont légion - près de la moitié des contrats - mais en pratique, beaucoup de ces salariés ne comptent pas leurs heures. Et si le député délègue aux services de l'Assemblée nationale la gestion des fiches de paie ou encore des jours de congé, il n'a en aucun cas à justifier la manière dont il conduit sa petite entreprise. Secrétaire générale adjointe SNCP-FO, Laure Dubuet-Routier dénonce «une grande inégalité : 577 employeurs, c'est 577 situations de travail, car il n'y a pas d'harmonisation via une convention collective».

Depuis des années, les griefs sont les mêmes : «on n'a pas de statut encadré», «pas d'instance de dialogue social», «pas de comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail», «pas de comité d'entreprise», «pas de service des ressources humaines», «pas de grille des salaires»… «On est considérés comme des anomalies dans cette maison», résume Thierry Besnier, secrétaire général SNCP-FO à l'Assemblée.

Avancées

Alors qu'entre juin et septembre, avec les élections législatives puis sénatoriales, près de 1 300 collaborateurs pourraient se retrouver sans emploi, la question du licenciement a été ces dernières semaines un point très discuté. Ceux dont le parlementaire ne serait pas réélu (ou ne se représenterait pas) se verront alors licenciés pour motif personnel. Or «quand un parlementaire perd une élection, en quoi l'employé en est-il responsable ? proteste Frédéric Faravel, responsable CGT. On est dépendant d'un aléa pas du tout personnel.» C'est pourquoi les organisations réclament un licenciement économique, avec, à la clé, une meilleure indemnisation et un accompagnement pour un retour vers l'emploi. Celles-ci n'ont pas obtenu gain de cause sur ce point, mais le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, a annoncé une surprime de l'ordre de 2 000 euros pour les assistants dont le contrat prendra fin en juin. Invoquant la jurisprudence, Marie-Françoise Clergeau (PS), l'une des trois questeurs de l'Assemblée nationale, rappelle que «la loi ne permet pas à un député de licencier pour des motifs économiques». Mais qui fait la loi ? «Depuis cinq ans, il y a eu un dialogue sans précédent mené chaque mois entre le collège de questeurs et les organisations, sous l'impulsion du président de l'Assemblée, pour valoriser le travail de collaborateur», défend la députée socialiste, rappelant qu'effectivement on partait de zéro. Et de citer les avancées du quinquennat. La principale : un accord collectif signé en novembre qui doit notamment mettre en place un forfait jour et graver dans le marbre quelques progrès (prime d'ancienneté, prise en charge des salaires en cas d'arrêt maladie, etc.). Une première. «Il n'y avait pas de syndicats patronaux, nous avons donc créé une association de députés employeurs début 2016, où tous les groupes politiques sont représentés. On peut dire que ça ne va pas assez vite mais ce dialogue n'existait pas avant 2012», plaide Marie-Françoise Clergeau, optimiste sur le fait que le texte «devrait déboucher sur la création d'une nouvelle branche professionnelle». Quelque 350 députés y auraient adhéré. Les organisations de salariés, elles, saluent «un premier pas» mais relativisent «un accord partiel» : les collaborateurs dont les députés ne sont pas membres de l'association ne pourront pas bénéficier de ces nouveaux droits. Le texte entrera en vigueur le 1er mars. Mais pour courir sur la prochaine législature, il faudra que ses députés y souscrivent à leur tour. Tout dépendra du bon vouloir des nouveaux élus.