Menu
Libération
Désintox

Benoît Hamon a-t-il vraiment rétropédalé sur la loi travail ?

Hamon candidatdossier
Invité de RTL, dimanche, le candidat socialiste à la présidentielle a dit vouloir une nouvelle loi travail. Ce que des voix à gauche ont interprété comme un recul sur sa promesse d'abroger le texte. Pas si simple.
Benoît Hamon, député socialiste des Yvelines, candidat à l'élection présidentielle de 2017, en meeting à Guéret (Creuse) le 9 février. (Photo Denis Allard pour Libération)
publié le 20 février 2017 à 19h10

Intox Du pain bénit pour Jean-Luc Mélenchon : dimanche, alors qu'il était l'invité du Grand Jury de RTL, Benoît Hamon, dont le programme prévoit l'abrogation de la loi El Khomri, a eu ces mots : «J'ai dit que cette loi, parce qu'elle remet en cause la hiérarchie des normes, parce que sur les licenciements elle les facilitait, parce qu'elle encourage par accords d'entreprise la baisse des tarifs des heures supplémentaires, je n'en voulais pas. Est-ce que cela veut dire que je remets en cause la garantie jeune, le droit à la déconnexion, le compte personnel d'activité ? Non. […] Ce que je veux, c'est une nouvelle loi travail.»

Une dernière phrase qui n'a pas échappé à plusieurs personnalités de gauche radicale, comme le porte-parole du Parti de gauche Eric Coquerel. Il a souligné le reniement, et y a vu un élément apportant la preuve qu'un rassemblement Hamon-Mélenchon est désormais impossible. Plusieurs médias ont également rapporté l'information en insistant sur ce qui serait un «renoncement» de Benoît Hamon.

DESINTOX Benoît Hamon a-t-il vraiment «renoncé» à abroger la loi travail ? Il y a eu sur RTL un changement sémantique par rapport à la campagne des primaires où il était effectivement question d'abrogation. Et celui-ci n'est pas anodin. Durant toute la campagne de la primaire, Benoît Hamon a pris soin de ne parler que d'«abrogation» d'une loi symbolique du quinquennat Hollande. Mais à l'heure de rassembler, le mot coince un peu.

Comme Libération le rapportait la semaine dernière, Benoît Hamon fait face au sein du PS à une sorte de fronde et peine à convaincre ceux qui avaient soutenu notamment Manuel Valls pendant la primaire: «Mardi [14 février, ndlr], la réunion du groupe PS à l'Assemblée a permis d'étalonner la méfiance et la distance entre les deux camps. Plusieurs députés y ont pris la parole pour, au mieux, réclamer des clarifications sur le projet présidentiel, au pire attaquer les mesures phares de Hamon.» Parmi les mots que certains députés ne veulent plus entendre : celui d'abrogation. Depuis une dizaine de jours, certains soutiens de Benoît Hamon avaient un peu policé leur vocabulaire : «Il y aura une autre loi travail»avait ainsi prévenu sur LCP Alexis Bachelay, député des Hauts-de-Seine et soutien du candidat. Mais il fallait encore entendre ces mots dans la bouche de Hamon lui-même. C'est donc fait depuis son passage dominical sur RTL. Même si, on notera que sur le site de campagne, la promesse est toujours immuable : «J'abrogerai immédiatement la loi travail» continue-t-on de lire dans la partie «projet».

Voilà pour les mots.

Sur le fond, parler de reculade est en revanche excessif. Benoît Hamon n'a jamais fait mystère, y compris quand il parlait d'abrogation, que certaines dispositions du texte, comme le compte personnel d'activité ou le droit à la déconnexion, lui semblaient valables. Il l'a par exemple redit en janvier face à des journalistes spécialisés dans les affaires sociales :

En fait, le seul léger changement de pied peut concerner la garantie jeune, une des trois mesures de la loi qu'Hamon a épargnées dimanche, alors qu'il s'était parfois montré plus réservé sur le sujet. Mi-janvier, il avait ainsi estimé que la garantie jeunes n'aurait «plus forcément vocation à exister». Mais la critique n'était pas de fond, Hamon assurant que la mesure avait vocation à être «avalée par le revenu universel d'existence qui a une portée bien supérieure».

Bref, difficile de parler d’un changement de cap depuis dimanche.

Un regard juridique éclaire aussi de manière amusante cette opposition sémantique -et assez vaine- entre une «abrogation» et un «nouveau texte». En fait, les deux vont de pair, comme le fait remarquer la journaliste Florence Mehrez, présidente de l’Association des journalistes de l’information sociale :

«Il ne suffit pas de détruire la dernière étape d’un droit pour faire un droit de qualité»

Emmanuel Dockes, professeur agrégé de droit à Paris X et spécialiste de droit du travail, va dans le même sens : «Quand vous abrogez une loi vous faites réapparaître le texte qui était antérieur : si vous abrogez le texte nouveau, vous faites aussi une abrogation de la destruction des textes qu'il opérait, explique-t-il à Libération. En revanche, le texte antérieur [à la loi travail, ndlr] est catastrophique. Il est d'une complexité très très grande, truffé d'exceptions, de principes, d'entorses… Si on prend la partie sur le temps de travail, par exemple, on a déjà eu depuis la fin des années 80 une bonne cinquantaine de lois qui sont venues découper, ajouter, abîmer le texte, ce qui fait que si vous vous contentez d'abroger la loi travail vous faites réapparaître quelque chose qui est certes en meilleur état que la loi travail, mais qui est tout sauf porteur de véritable progrès social !» Et de conclure : «Il ne suffit pas de détruire la dernière étape d'un droit pour faire un droit de qualité. Pour faire quelque chose de propre, une simple abrogation n'y suffirait pas.»

Bref, difficile d’abroger sans faire un nouveau texte. Mais voilà, la politique, c’est aussi parfois choisir ses mots. Y compris pour dire la même chose.