C'était au soir du 22 janvier 2017. Celui du premier tour de la primaire et l'arrivée en tête de Benoît Hamon. A première vue, ce débat entre hommes politiques de gauche sur le plateau de France Info est des plus classiques : les socialistes Pascal Cherki et Jérôme Guedj se querellent avec l'«insoumis» Alexis Corbière sur la «réussite» pour les premiers ou «l'échec», pour le second, de la primaire organisée par le PS. A ses interlocuteurs, soutiens de Benoît Hamon, ce fidèle de Jean-Luc Mélenchon use du vouvoiement de rigueur sur un plateau télé. Les deux autres larrons se marrent… Et pour cause : les trois hommes se connaissent par cœur. Cherki, après avoir côtoyé Corbière dans les années 90 dans les rangs du puissant syndicat étudiant de l'époque, l'Unef-ID, a même été, en 2000, l'un des témoins de mariage du porte-parole de la France insoumise avec une autre dirigeante médiatique du mouvement, Raquel Garrido. Guedj, lui, a non seulement travaillé avec Corbière lorsqu'ils étaient tous deux conseillers d'un Mélenchon ministre délégué à l'enseignement professionnel entre 2000 et 2002, mais ils ont surtout milité des années ensemble.
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«Je t’aime moi non plus»
Tout ce petit monde a été à l'école de la Gauche socialiste, ce courant du PS animé du milieu des années 90 jusqu'en 2002 par Jean-Luc Mélenchon, Julien Dray et Marie-Noëlle Lienemann. Ils ont collé des affiches, tracté, manifesté, appris le rapport de forces ensemble. Ils ont tous accompagné l'actuel candidat de la France insoumise à la présidentielle dans ses derniers courants au PS dont ceux, entre 2005 et 2008, où l'on retrouve un certain… Benoît Hamon. Et aujourd'hui, dans ce «je t'aime moi non plus» joué par Hamon et Mélenchon depuis deux semaines, on retrouve ces mêmes acteurs. «Jean-Luc nous fait ce qu'il nous a appris dans les réunions de formation pour faire péter une négo avec les communistes aux cantonales, sourit Guedj. Comment faire porter la responsabilité de la division sur les épaules de l'autre.» L'ancien président du conseil départemental de l'Essonne était l'un des jeunes protégés de Mélenchon. Mais en 2008, il a fait le choix de rester au PS quand le sénateur et sa bande l'ont quitté, un soir de vote de motions en vue du congrès de Reims. Dans cette bande, on retrouvait alors Garrido, Corbière, mais aussi la conseillère de Paris, Danielle Simonnet ou encore le bras droit de Mélenchon, François Delapierre, décédé depuis. Tous, Cherki et Guedj compris, étaient présents à ses funérailles au Père Lachaise en juin 2015.
«Pas de discussion sur le fond»
Cette ancienne proximité politique permet de regarder différemment les derniers échanges par médias interposés et déclarations de chacun dans cette passe d'armes qui occupe Mélenchon et Hamon depuis que ce dernier, à peine élu, a tendu la main au premier. Corbière raconte ainsi avoir «envoyé un petit message à Pascal [Cherki]» après avoir lu dans le Canard Enchaîné que celui-ci voulait «siphonner» les voix de Mélenchon. Mais «pas de réponse», assure-t-il. «Ils ne veulent pas avoir de discussion sur le fond parce qu'ils savent qu'on sera très dur avec eux», ajoute Corbière. Dans cette histoire, chaque camp justifie aussi le choix de 2008 : quitter le PS ou bien y rester. «Jean-Luc a besoin de solder la raison pour laquelle il a quitté sa famille. Il en oublie les fondamentaux unitaires, souligne Guedj. Or, il s'est trompé : en 2008, il pensait que Royal allait prendre le parti, Aubry l'a emporté. Et là, il n'a jamais imaginé la victoire d'un représentant de la ligne critique.»
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Corbière souffle : «C'est cynique… Au contraire, on pourrait avoir un moment unique : eux s'appuyant sur leur victoire interne et nous sur le mouvement et la dynamique que nous avons créée, ajoute-t-il. Mais ils font le choix de la théâtralisation. Ce n'est pas bien. Il ne faut pas faire ça. Ils n'ont qu'un seul argument : Jean-Luc Mélenchon est le méchant parce qu'il parle mal. La réalité est qu'ils sont de nouveau entraînés par la centralité du PS.» Et Corbière de regretter que ses ex-camarades socialistes n'aient pas une certaine reconnaissance pour leur ancien chef de courant : «Ils n'ont pas le courage d'admettre que c'est Jean-Luc qui leur a ouvert cette voie, en 2005, en faisant campagne pour le non à la constitution européenne alors qu'eux se sont planqués. Lui a pris des risques quand Benoît Hamon n'a pas fait campagne.» C'était il y a douze ans. La rupture n'est toujours pas consommée.