Menu
Libération
Une mesure à la loupe

ISF : qui veut la peau de l'impôt sur la fortune?

L'ISF est payé chaque année par environ 300 000 foyers. (Photo Damien Meyer. AFP)
publié le 23 février 2017 à 13h12
(mis à jour le 24 février 2017 à 11h19)

Plusieurs candidats souhaitent abolir cet impôt de solidarité sur la fortune, payé par plus de 300 000 foyers chaque année. On fait le point.

Qu’est-ce que l’ISF ?

Créé en 1982 par François Mitterrand, l'ISF, ou impôt de solidarité sur la fortune, s'appelait au départ «impôt sur les grandes fortunes». Dès 1987, Jacques Chirac, devenu Premier ministre à la faveur du changement de majorité à l'Assemblée nationale, l'a supprimé… Mais deux ans plus tard, une fois Mitterrand réélu à la tête de l'Etat, le gouvernement socialiste mené par Michel Rocard l'a rétabli.

Tout foyer possédant un patrimoine d'au moins 1,3 million d'euros est assujetti à l'ISF. Font partie des biens pris en compte pour déterminer la valeur d'un patrimoine : les biens meubles (bijoux, bateaux, meubles, véhicules…) et immobiliers (appartements, bâtiments et terrains construits ou non), les placements (assurance vie, actions, obligations etc...) et les liquidités (avoirs bancaires, livret A...). Selon les chiffres de la direction générale des Finances publiques, en 2015, 342 942 foyers l'ont payé, pour un montant moyen de 15 223 euros et un total de 5,22 milliards d'euros de recettes pour l'Etat (lequel a engrangé 279 091 millions d'euros, soit près de 300 milliards, de recettes fiscales cette année-là).

Que veulent faire les candidats sur l’ISF ?

Ils sont contre. Il y a d'abord ceux qui veulent l'abolir purement et simplement. François Fillon en fait même la quatrième de ses 15 «mesures phare», estimant que cette mesure permettra d'aider au financement des entreprises – qui ne payent pas cet impôt, mais les personnes qui se sont enrichies en en créant le peuvent, et les placements sont pris en compte dans son calcul, pour les foyers fiscaux qui y sont assujettis par exemple. S'il n'a pas encore dévoilé son programme, Emmanuel Macron avait lui aussi déjà fait part en avril, dans une revue spécialisée sur les assurances, de son peu de goût pour cet impôt : «Je pense que la fiscalité sur le capital actuel n'est pas optimale. Si on a une préférence pour le risque face à la rente, ce qui est mon cas, il faut préférer la taxation sur la succession aux impôts de type ISF.» avait-il dit. (1) Nicolas Dupont-Aignan veut quant à lui l'alléger, en permettant diverses déductions. Et Rama Yade entend le remplacer par un «impôt européen de 1% des revenus pour 10% des ménages européens les plus riches pour financer les entreprises vertueuses».

Ils sont pour. Il y a ceux qui, au contraire, veulent le renforcer. Jean-Luc Mélenchon, qui estime que cet impôt «coupe l'arbre de la rente», en est (proposition 36). Pour l'instant, Nathalie Artaud (LO) et Philippe Poutou (NPA) n'en ont pas parlé mais ils ont par le passé pris position pour son élargissement aussi. Il y a aussi celle qui ne veut pas y toucher : c'est Marine Le Pen (sa proposition 74 est d'«assurer une juste contribution fiscale, en refusant toute hausse de la TVA et de la CSG et en maintenant l'ISF»). Il faut noter qu'elle ne souhaite néanmoins pas l'élargir, contrairement à 2012 où elle s'indignait que le gouvernement ne fasse pas entrer les œuvres d'art dans son calcul. Et il y a celui qui n'en parle pas explicitement, mais qui y fait référence, comme Benoît Hamon, qui souhaite réviser le système de taxation du patrimoine, en créant un impôt unique et progressif, comprenant notamment taxe foncière et ISF. Yannick Jadot n'a quant à lui pas de position connue sur le sujet.

Comment l’ISF est-il calculé ?

On l'a dit, tous les particuliers dont le patrimoine est supérieur à 1,3 million d'euros y sont assujettis. Les particuliers dont le patrimoine est situé entre 800 000 euros et 1,3 million sont théoriquement imposables à 0,5%, mais ils ne le paient en fait pas, précise Le Monde. L'ISF est un impôt progressif : de 1,3 à 2,57 millions d'euros, l'impôt est de 0,7% de la valeur du patrimoine, de 2,57 à 7 millions, c'est 1%, puis 1,25% jusqu'à 10 millions et 1,5% au-delà. Il est calculé à partir des déclarations des particuliers, qui ont la charge d'évaluer la valeur de leur propre patrimoine.

Une personne possédant, par exemple, un appartement de 85 m² dans le XIVe arrondissement de Paris (environ 700 000 euros), et un tiers d'une belle bastide très bien située dans le Vaucluse (830 000 euros par part), payera donc théoriquement beaucoup moins qu'une personne ayant l'usufruit d'un hôtel particulier dans les Hauts-de-Seine (3,5 millions d'euros), possédant un manoir en Bretagne (environ 500 000 euros), un petit voilier (au moins 90 000 euros neuf), de très beaux bijoux de famille (25 000 euros), et un portefeuille d'actifs fourni. Sauf si la première personne déclare l'intégralité de son patrimoine alors que la deuxième opère des déductions – on peut notamment déduire de son patrimoine certains dons (à hauteur de 75% du don et pour un total maximum de 50 000 euros), ainsi qu'une partie de ses dettes (taxes foncières et d'habitation, pensions alimentaires, prêt bancaire…), et les biens immobiliers utilisés à titre professionnel, certaines rentes viagères, les œuvres d'art, ou les biens loués meublés sont exonérés de l'ISF.

D'autre part, la résidence principale bénéficie d'une décote de 30%. Dans le calcul de l'impôt de notre résident du XIVe, seulement 490 000 euros seront pris en compte (c'est donc sa part dans sa résidence secondaire qui le fait passer le seuil pour payer cet impôt). Et notre résident des Hauts-de-Seine ne payera «que» sur un peu plus de 2 des 3,5 millions que vaut son hôtel particulier. Enfin, depuis que le Conseil constitutionnel a jugé «confiscatoire» de faire payer plus de 75% de ses revenus en impôts à un particulier, l'ISF est plafonné. Si l'impôt sur le revenu additionné à l'impôt de solidarité sur la fortune excède ces 75%, alors ce qui dépasse sera déduit du montant à payer au titre de l'ISF. Bref, il n'est pas certain au bout du compte que notre habitant du XIVe s'en sorte mieux que notre habitant des Hauts-de-Seine.

C'est ce qu'écrit la journaliste Marine Rabreau dans le Figaro : «C'est ainsi que des grandes fortunes, bien conseillées, peuvent en réalité échapper à l'ISF […] Le plafonnement tel qu'il existe fait au final l'objet de remboursements de la part de l'État, de plus de 900 millions d'euros chaque année […] dont 90% sont reversés aux foyers dont le patrimoine dépasse les 10 millions d'euros, soit 1% des redevables de l'ISF.» Et de citer le cas de Liliane Bettencourt, par exemple, qui n'a pas payé l'ISF en 2015 – et qui peut remercier son conseiller fiscal. «Comme le disent les gestionnaires de patrimoine, "le revenu, ça se travaille". Autrement dit, il est relativement aisé pour un contribuable très fortuné de limiter son revenu à presque rien. Et 75% de presque rien… ça ne représente pas grand-chose», abonde Ivan Best dans la Tribune.

Pourquoi est-ce un sujet récurrent ?

Pour sa force symbolique, essentiellement. «Pour la gauche, l'ISF est un marqueur identitaire : elle l'a créé […] au nom de la justice sociale et de l'exigence de redistribution. […] Pour la droite, "l'incitation à sortir de France", comme l'appellent ses plus farouches adversaires, demeure l'hydre à abattre, symbole de l'étatisme le plus débridé.», résume Benjamin Masse-Stamberger dans l'ExpansionEn octobre dernier, un sondage Odoxa-LinXea montrait bien les contradictions des Français interrogés sur le sujet : 72% des personnes sondées estimaient qu'il fallait maintenir l'ISF (dont 30% qui souhaitaient même son renforcement) mais seulement 24% estimaient qu'il avait un impact positif sur l'économie. Surtout, les sondés déclaraient qu'à leur avis, cet impôt incitait les plus riches à quitter le pays et que les ménages les plus riches usaient de manœuvres pour réduire leur impôt.

Pourquoi donc être si massivement en faveur de son maintien si l'on estime que ses effets ne sont pas forcément positifs ? «Si François Hollande l'a augmenté, c'est parce que l'ISF est un symbole politique. Il fallait montrer qu'il était impitoyable avec les riches. Nous, les Français, voulons punir les riches, et les hommes politiques nous obéissent, aussi bien à gauche qu'à droite, du reste», croit savoir le journaliste économique libéral François Lenglet. Au contraire, pour Roland Muzeau, ancien porte-parole des députés communistes, «l'ISF est un impôt si juste qu'il frappe ceux qui ont suffisamment de moyens de participer à la solidarité nationale. C'est le premier principe que l'ISF affiche : c'est donc un impôt tout à fait normal, qui n'a rien à voir avec de la "spoliation"», déclarait-il en 2011 à l'Humanité. Dans le même sens, l'économiste Thomas Piketty estimait dans nos pages que prétendre que l'ISF nuit à la vitalité économique du pays est faux : «Des comportements d'innovation, des créations d'entreprise, on en trouve beaucoup chez les gens qui ne gagnent que 3 000 ou 4 000 euros par mois et qui ne sont pas assujettis à l'ISF. L'idée qu'une grande partie de l'activité se fait avec des personnes déjà assises sur 5 à 10 millions de patrimoine est d'autant plus fausse qu'en pratique, on trouve beaucoup d'octogénaires parmi les détenteurs de patrimoine à l'ISF.»


(1) Il a en fait déclaré début février qu'il souhaitait transformer l'ISF «en impôt sur la fortune immobilière» et qu'il n'augmenterait par ailleurs pas les droits de succession.