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Paroles d'électeurs : «Ils attaquent Marine Le Pen parce qu'ils ont peur qu'elle passe»

«Libération» est allé à la rencontre d'électeurs du Front national, dans le Nord, dans l'Hérault et dans les Alpes-Maritimes. Les soupçons qui pèsent sur le parti d'extrême droite ne semblent pas les faire douter de leur choix.
Des militants du Rassemblement bleu Marine au café La Comédie, sur les allées Paul-Riquet à Béziers. (David Richard. Transit pour Libération)
par Haydée Sabéran, Sarah Finger, envoyée spéciale à Béziers. Photos David Richard. Transit et Adèle Sifaut
publié le 27 février 2017 à 16h48

Marine Le Pen, l'autre candidate des affaires. Alors que le feuilleton Fillon a pris un nouveau tournant avec la nomination, vendredi, de trois juges d'instruction dans l'affaire des soupçons d'emplois fictifs, la candidate du FN a elle aussi la besace bien chargée sur le front judiciaire : qu'il s'agisse de l'affaire dite «des assistants du Parlement européen», celle autour du microparti Jeanne lié au financement des campagnes électorales, ou encore la sous-déclaration de leur patrimoine immobilier par Le Pen père et fille. A Béziers, à Cagnes-sur-Mer et dans les environs de Lille, Libération est allé prendre le pouls de ces électeurs bien décidés à voter FN au printemps.

Dans les environs de Lille : «Mais tout le monde fait ça»

Dans un café des environs de Lille, où les pro-FN parlent le plus fort, on trouve beaucoup d'excuses à Marine Le Pen. Modeste (1), ancien ouvrier dans une usine de produits chimiques : «C'est tous des voleurs.» Elle aussi alors ? «Faux. Ils veulent la salir. Ils l'attaquent parce qu'ils ont peur qu'elle passe. Mais elle passera un jour.» Lui se dit choqué que des candidats se retirent de la course pour «donner les voix à un autre», ou que «tout le monde se ligue contre elle au deuxième tour. C'est pas normal». Il dit faire «confiance» à Marine Le Pen. «Si j'avais les 100 000 euros [elle devrait en fait plus de 300 000 euros au Parlement européen, ndlr], je les lui aurais envoyés, pour la dépanner.» Mais tout de même, faire payer sa salariée et son garde du corps par l'argent du contribuable ? «C'est pas trop grave. Quand un patron a deux sociétés, il travaille là, et il est payé ailleurs. Des détournements, il y en a tout le temps. Et ce garde du corps, il fallait bien le payer, quand même !»

Il ne pardonne rien, en revanche, à François Fillon : «Il a payé sa femme à faire la lessive et le ménage, avec notre argent. Moi je touche une petite retraite. La moitié part pour mon loyer. Quand j'ai payé mes impôts locaux, l'électricité, la mutuelle, il ne me reste plus rien du tout.» Il embrasse le billet de 20 euros qui va servir à payer une bière et un café. Il assure que c'est tout ce qu'il lui reste pour les six prochains jours. Cet ancien adhérent socialiste dit avoir tracté pour Pierre Mauroy, Martine Aubry, et apprécie encore quelques élus locaux. «Mais la politique, j'y crois plus. Ils se bagarrent tous entre eux.» Rodolphe (1), qui travaille «dans la culture» et ne vote pas FN, croit savoir d'où vient cette indulgence des électeurs : «C'est l'argent de l'Europe. Ils se disent "l'Europe, on s'en fout, c'est à cause d'elle qu'on est dans la merde".»

Assise dans un coin du bistrot, Claire (1), ancienne employée de mairie : «Elle ne passera jamais ! Ils vont lui mettre des bâtons dans les roues. Pourtant, il y a bien des choses qu'elle dit qui sont la vérité. Elle a bien fait de pas mettre le voile [allusion à sa récente visite au Liban, ndlr] Et ses ennuis au Parlement européen ? «Mais tout le monde fait ça ! Je connais un directeur d'hôpital qui fait faire le ménage chez lui par une femme de ménage, payée par l'hôpital ! Et il est pas le seul.» Bernard, artisan, a sa carte au FN depuis quinze ans : «Attendez, c'est pas non plus un emploi fictif ! Et puis le Parlement européen est riche. Fillon, lui, c'est pas pareil. C'est l'argent de la France.» Kader (1), électro-mécanicien qui assure ne pas voter FN, défend lui aussi Marine Le Pen, avec une conception flexible de la présomption d'innocence : «Fillon, c'est prouvé. Elle, on attend que ce soit prouvé [ni l'un ni l'autre n'ont pour l'instant été condamnés, ndlr]. L'affaire est vieille de deux ans. Ils le font exprès de le sortir maintenant, à cause de la campagne.»

Quant à Christophe (1), fonctionnaire territorial, il dit voter socialiste «pour l'instant», par affection pour certains élus locaux, mais il parle comme s'il avait déjà basculé : «Les ouvriers en ont marre de ceux qui profitent des avantages sociaux de la France. Moi je suis surtaxé. J'en ai marre des gens qui parlent pas ma langue, qui dealent de la came parce qu'ils ont pas de papiers. Ou qui se font prescrire des cartons de médicaments avec leur carte vitale pour aller les revendre au bled. Ou qui sont au RSA et qui ont trois apparts à Dubaï. Il y a trop de laxisme, pas assez de contrôles sur les fraudes. Si Marine Le Pen gagne, au lieu de 1 000 euros par mois, tu gagneras 1 500 : voilà ce que les gens pensent [bien qu'elle ne propose pas cette mesure, ndlr]. Alors même si elle a des casseroles, Marine Le Pen est assise sur un socle solide.»

A Béziers : «Les gens qui nous rejoignent s'en foutent de ces histoires»

Cette dizaine de militants de Béziers n'a pas été réunie dans ce café idéalement situé sur les allées Paul-Riquet à l'attention de Libération. Non, ils sont venus sur l'invitation du magazine américain Newsweek, et ne s'étonnent guère d'être ainsi sollicités par des médias étrangers : «On a eu des journalistes espagnols, mais aussi des Russes et des Japonais. L'élection présidentielle française, ça les intéresse tous.»

Dans cette salle à l'étage, où l'exercice médiatique précédent a duré près de deux heures, l'ambiance est surchauffée. Les questions sont à peine posées que déjà les réponses fusent : personne ici ne s'avoue contrarié, ou inquiet, ni même déçu, par les affaires qui touchent Marine Le Pen. «Au contraire ! Il faut la soutenir, être encore plus près d'elle, d'autant que dans tout ça, il n'y a pas eu pour elle un seul euro d'enrichissement personnel !» s'emporte Emile, 72 ans, encarté au FN «depuis Jean-Marie Le Pen». Annie, son épouse, teinture blonde et veste rose, n'écarte pas la thèse du complot contre «Marine» : «En tout cas, on voit bien que ces affaires anciennes sortent juste au moment des élections. Mais je pense qu'on ne trouvera rien : c'est une femme honnête et droite.»

Ces militants qui font bloc autour de leur candidate estiment que «tout est bon pour la déstabiliser». Bruno, jeune retraité de 57 ans en costume cravate, s'interroge à voix haute : «Comment se fait-il que la presse s'attache à des histoires aussi dérisoires, alors que le message politique de Marine Le Pen est autrement plus important ? J'ai le sentiment qu'il y a une vraie volonté de désinformation, d'autant qu'on n'a rien de concret dans ces affaires. Et je vous le dis en tant qu'expert du droit puisque j'étais commandant de police.» Silence respectueux autour de la table. Puis Bruno reprend : «Personne n'a encore été condamné. C'est juste le début d'une enquête qui va peut-être finir en eau de boudin d'ici six mois.»

Ils ne sont pas non plus choqués par le fameux tweet de l'ex-patron de Ku Klux Klan chantant les louanges de Marine de Le Pen et de son père. A l'évocation de cette affaire, les militants s'esclaffent : «Sur Twitter, n'importe qui peut dire n'importe quoi ! Mais rassurez-vous, on n'a pas encore acheté les cagoules blanches !»

Dans l'Hérault, le FN annonce 1 900 adhérents à jour de cotisation, dont plus de 400 dans le Biterrois. Robert Ménard, maire de Béziers, n'est lui pas encarté ; mais tous ici le voient en ami. «On a tous les jours de nouvelles adhésions», se félicite Annick, 59 ans, persuadée que «Marine va gagner».

Annick au café La Comédie, à Béziers, avec d'autres militants frontistes. (Photo David Richard. Transit pour Libération)

Gérard Prato, secrétaire départemental du parti, ne semble pas non plus se faire de souci. «On nous cherche des poux dans la tête mais je vais vous dire, les gens qui sont chez nous ou qui nous rejoignent s'en foutent bien de toutes ces histoires», affirme ce quadra, inspecteur des finances publiques.

Avant de se quitter, les quatre femmes du groupe se retrouvent au rez-de-chaussée, près du comptoir. «Plus on attaque Marine, et plus on se battra. Pourquoi ? Parce qu'on veut qu'en France, ça soit propre.»

A Cagnes-sur-Mer : «Tous ces juges ne sont pas indépendants»

Dans son quotidien comme en politique, Jean vit les yeux rivés sur son agenda. Chaque matin, à 9 heures, il traverse le marché de Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes) pour acheter son pain. A chaque affaire qui sort dans la presse, il fait le lien avec le calendrier de l'élection présidentielle. «Tout est une question d'emploi du temps», insiste ce retraité du bâtiment qui a toujours voté Front national. Alors, quand il apprend que Marine Le Pen est rattrapée par ses ennuis judiciaires, c'est évidemment le timing qu'il pointe. «On n'entendait pas tellement parler des affaires avant. Comme par hasard, les gardes à vue tombent pendant la campagne, s'emporte-t-il. Les autres candidats ont peur de Marine. Et comme ils ont la trouille, ils se mettent en groupe pour lui faire barrage au dernier moment.» Jean file à la boulangerie.

Un discours pas surprenant à l’heure du marché de cette ville de 48 000 habitants. Au premier tour de l’élection régionale, fin 2015, Marion Maréchal-Le Pen a dominé les suffrages à Cagnes-sur-Mer, arrivant en tête avec 41,44% des voix. Au second tour, la candidate FN avait atteint 44,8% des suffrages.

Martine aussi quitte fissa le marché. «Comme on est vendredi», cette Cagnoise a acheté du poisson. A l'évocation de l'actualité judiciaire qui interfère dans la sphère politique, elle réplique un «tous pourris» sans même ralentir le pas. Précision faite que les affaires du FN étaient mentionnées dans la question, elle s'arrête. «Là, c'est différent. On en fait tout un foin mais il faut patienter une seconde. Les gens accusent avant qu'elle soit jugée. Marine Le Pen dément et je la crois honnête», explique celle qui projette de glisser un bulletin FN dans l'urne le dimanche 23 avril. Elle parle de «calomnie» et «d'injure» : «J'en ai un foin de cette gauche. Ils font tout pour disqualifier Marine Le Pen. Le Canard enchaîné et Marianne ne sont pas réputés pour être de droite. Et tous ces juges ne sont pas indépendants.»

Dans la cité marchande, aux abords de la halle, tous les sympathisants FN ne sont pas si catégoriques. André «suit la politique à la télévision». «Je suis un peu déçu, marmonne-t-il. Ça me fait réfléchir sur sa personne et son intégrité.» Sa femme Brigitte le coupe. «Quand on voit ce que Fillon a fait… Elle, c'est trois fois moins. Est-ce que ça ne serait pas une manière de dire qu'elle est une politique comme les autres ?» lance cette aide-soignante à la retraite. «Ce n'est pas pour ça qu'on la reniera, dit André comme pour clore rapidement le débat. Les idées passent au-dessus, heureusement.»

Un peu plus loin, Marie-Thérèse accompagne sa mère chez son primeur. Elle aussi a toujours voté Marine Le Pen. Et ce n'est pas les soucis judiciaires qui changeront cette habitude dans l'isoloir. «Je suis sûre que si on gratte chez tous les candidats, on trouvera des affaires, dit-elle. Mais pour Marine, rien n'est allé dans ses fouilles, dans son compte en banque.» Une Cagnoise lui coupe le chemin. «Il faut respecter la présomption d'innocence», lance-t-elle en traversant le marché à grandes enjambées. Face aux questions, elle poursuit son chemin : «Je vais dans un endroit où on n'aime pas aller ! Pas dans un bureau de vote, mais chez le dentiste.»

(1) Les prénoms ont été changés.