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Désintox

Justice : les arguments fallacieux de la riposte de François Fillon

Le candidat LR à la présidentielle s'est posé comme victime de la cabale de la justice, énonçant de nombreuses contre-vérités dans les sept minutes de son allocution.
François Fillon, le 1er mars 2017. (Photo Albert Facelly pour Libération)
publié le 1er mars 2017 à 17h23

Ce n'est pas l'épée de Damoclès mais le glaive de Thémis qui est suspendu au-dessus de la tête de François Fillon. Sitôt reçue l'annonce de sa convocation prévue le 15 mars prochain devant le juge d'instruction en vue de sa mise en examen dans l'affaire des emplois présumés fictifs de sa femme et de ses enfants, le candidat de la droite a bouleversé son agenda pour organiser la riposte médiatique.

Après avoir reporté sa visite au Salon de l'agriculture, place à la conférence de presse. Dans son discours d'une petite dizaine de minutes, François Fillon a annoncé qu'il maintenait sa candidature malgré la tourmente judiciaire, rebattant les arguments d'une justice qui chercherait uniquement à lui barrer la route et brouiller le jeu démocratique. Libération revient sur les principales assertions fallacieuses du candidat.

Depuis l'origine et contrairement à ce qui a été dit, je n'ai pas été traité comme un justiciable comme les autres. L'enquête préliminaire a été ouverte en quelques heures.

C'est un élément de langage répété par le camp Fillon depuis le début de l'affaire. En ouvrant une enquête préliminaire dans l'après-midi suivant les révélations du Canard enchaîné, le parquet national financier (PNF) aurait fait preuve d'une célérité inhabituelle. Les exemples où l'on a pu voir le PNF se saisir d'une enquête immédiatement après des révélations de presse sont pourtant nombreux. Dernier exemple en date: les Football Leaks révélés par Mediapart. Le parquet avait annoncé dans un communiqué avoir ouvert une enquête le 12 décembre «à la suite de la publication, les 9 et 12 décembre 2016, d'une série d'articles de presse relatifs aux Football Leaks». Même chose avec les Panama Papers en avril dernier. Les premiers articles du Monde et de l'International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ) sont publiés le 3 avril. Et le parquet a ouvert une enquête préliminaire pour «blanchiment de fraudes fiscales aggravées» le 4 avril. Le lendemain donc.

Sans compter Kader Arif, l'ancien secrétaire d'Etat aux anciens combattants, qui a démissionné en novembre 2014 à la suite de l'ouverture d'une enquête préliminaire sur des marchés publics attribués à plusieurs de ses proches. Celle-ci avait été ouverte le 10 septembre après le signalement de deux conseillers régionaux d'opposition le lundi 8 septembre 2014, deux jours plus tôt. Le Canard enchaîné avait révélé toute l'affaire dans son édition du 10 septembre 2014, soit le jour même de l'ouverture de l'enquête… Celle-ci est toujours en cours. Enfin, Aquilino Morelle, ancien conseiller de l'Elysée, a lui aussi démissionné après des révélations de Mediapart sur des soupçons de conflit d'intérêts. Les révélations ont été publiées le 17 avril 2014, et l'enquête ouverte par le PNF le lendemain, le 18 avril. Elle a finalement été classée sans suite.

Quant à savoir si François Fillon est un justiciable comme les autres, la question ne fait aucun doute pour les magistrats. Une source judiciaire rapporte que Eliane Houlette, la patronne du parquet national financier, n'a de cesse de répéter à ceux qui l'interrogent que la «loi est la même pour tous». «La loi, toute la loi, rien que la loi», dit-elle.

Il est sans exemple dans une affaire de cette importance qu'une convocation aux fins de mise en examen soit lancée quelques jours à peine après la désignation des juges sans qu'ils aient pris connaissance du dossier ni procédé à des investigations supplémentaires.

Dénonçant la célérité du parquet, Fillon dénonce aussi la rapidité de sa convocation par les juges d'instruction. Le PNF a ouvert, le 24 février, une information judiciaire pour des faits de «détournements de fonds publics, abus de biens sociaux et recel, trafic d'influence et manquements aux obligations déclaratives à la Haute Autorité sur la transparence de la vie publique». Une semaine avant que François Fillon soit convoqué.

Mais contrairement à ce que prétend François Fillon, la convocation rapide dont il fait actuellement l'objet de la part du juge d'instruction n'est pas «sans exemple». C'est même l'inverse: «Cela n'a rien d'étonnant, explique une source judiciaire. Trois fois sur quatre, les choses se passent de cette façon.» D'ailleurs, ce court délai bénéficie à François Fillon. En effet, à partir du moment où il reçoit sa convocation, il a accès au dossier, ce qui favorise les droits de la défense. De façon paradoxale, François Fillon dénonce donc la célérité de la justice qui, d'une part, lui ouvre des droits, et que, d'autre part, il appelait de ses vœux au début de l'affaire. En meeting à Charleville-Mézière le 2 février, il affirmait: «Pour ma part, je réponds aux enquêteurs et je leur confie toutes les informations nécessaires à la vérité. J'ai confiance dans leur travail et je souhaite que la justice tranche rapidement cette affaire.»

Cette convocation s'inscrit dans la ligne d'une enquête menée depuis le début exclusivement à charge

Juste après l'ouverture de l'information judiciaire, les avocats de François Fillon se réjouissaient dans un communiqué d'une «procédure sereine, avec des juges indépendants». Cinq jours plus tard, changement de tonalité: les juges d'instruction comme le parquet national financier avant eux sont accusés de poursuivre une enquête «à charge». Il faut pourtant rappeler que le parquet national financier n'a pas choisi la voie de la citation directe beaucoup plus lourde de conséquences pour François Fillon, préférant passer la main aux magistrats instructeurs. De plus, selon le code de procédure pénale, ces derniers instruisent à charge et à décharge, c'est à dire qu'ils doivent à la fois chercher des preuves d'innocence et de culpabilité de François Fillon. Le garde des Sceaux a d'ailleurs rappelé, ce 1er mars, dans un communiqué : «Les juges d'instruction conduisent leurs enquêtes en toute indépendance, de manière collégiale, dans le respect du contradictoire et de la présomption d'innocence».

Les avocats ont demandé que la chambre de l'instruction de la cour d'appel statue immédiatement sur les irrégularités nombreuses et graves de la procédure, cela leur a été refusé

Les connaisseurs des arcanes de la procédure pénale ont levé un sourcil en entendant cette affirmation de François Fillon. L'avocat blogueur maître Eolas a ainsi ironisé sur Twitter : «Mes avocats ont déposé une demande irrecevable tant que je ne suis pas mis en examen. On leur a refusé. C'est un complot.» La dénonciation juridique des «irrégularités […] de la procédure» qu'ont tentée les avocats de François Fillon doit en effet être entreprise au moyen de l'article 173 du code de procédure pénale, qui dispose : «Si l'une des parties ou le témoin assisté estime qu'une nullité a été commise, elle saisit la chambre de l'instruction par requête motivée».

Or, comme l'indique Me Eolas, François Fillon n'est pas encore mis en examen et n'est donc pas partie de la procédure en cours. D'ailleurs, l'information judiciaire n'a pas été ouverte par le PNF contre François Fillon mais bien contre personnes non-dénommées, laissant aux juges d'instruction le soin de désigner l'auteur des faits présumés. Fillon ou ses avocats ne pourront donc déposer une requête en nullité auprès de la chambre de l'instruction qu'à partir du 15 mars. «Si la requête en nullité était recevable, même avec un dossier vide, la chambre de l'instruction l'aurait examinée et organisé une audience avec les avocats de Fillon, explique Me Alain Mikowski. Mais là, c'est normal qu'elle ne suive pas. Ce n'est qu'un coup de com de Fillon.»

C'est un assassinat en effet, mais par ce déchaînement disproportionné sans précédent connu par le choix de ce calendrier ce n'est pas moi seulement qu'on assassine, c'est l'élection présidentielle

François Fillon use du même renversement sémantique que Marine Le Pen, candidate à la présidentielle du Front national. Dans chacun de ses discours, il chasse l'ombre d'une potentielle mise en examen en insistant sur un statut plus confortable: celui de victime d'un lynchage. Il n'est jamais question d'emplois présumés fictifs mais d'une justice instrumentalisée pour le faire chuter, d'un complot ourdi pour l'empêcher de se présenter à la tête de la France voire d'une prise d'otage de la campagne.

Celui qui ne concède qu'une «erreur» ou «une faute morale», ne voit dans cette procédure judiciaire qu'une volonté de lui nuire. A commencer par le choix du calendrier. Le juge a en effet prévu de le convoquer le 15 mars prochain, soit deux jours avant la fin du recueil des parrainages. Si l'on ne peut exclure le symbole ravageur pour le candidat, le magistrat respecte ici le délai légal «qui ne peut être inférieur à dix jours ni supérieur à deux mois». A l'issue de cette audition, François Fillon pourra être mis en examen pour la totalité ou une partie des faits qui lui sont reprochés ou bien placé sous le statut de témoin assisté.

Pour autant lors de sa conférence de presse, il s'est bien gardé de préciser que ce calendrier tant décrié n'est pas impératif. En effet, rien ne l'empêche de se présenter spontanément à une date antérieure devant les juges. C'est par exemple ce qu'a fait Jérôme Cahuzac. Dans un courrier de mars 2016, il avait demandé aux juges Roger Le Loire et Renaud Van Ruymbeke de bien vouloir le recevoir pour qu'il «puisse enfin donner les explications qui s'imposent au regard de la détention à l'étranger d'un compte bancaire dont [il est] le bénéficiaire depuis une vingtaine d'années». François Fillon est actuellement libre de livrer «sa vérité» à une date antérieure au 15 mars s'il le souhaite.