Menu
Libération
En campagne

Le retour millimétré de Valls

Un déjeuner et une réunion de soutien à l'Assemblée: sans prendre encore la parole publiquement, l'ex-Premier ministre revient dans le jeu politique un mois après sa défaite à la primaire. Et met la pression sur Benoît Hamon.
Manuel Valls lors de son vote pour le second tour de la primaire socialiste, à Evry, le 29 janvier. (Photo Laurent Troude pour Libération)
publié le 1er mars 2017 à 10h11

Un confessionnal de taille XXL. De retour au cœur de la machine socialiste, Manuel Valls a passé sa journée de mardi à écouter les doléances de ceux – députés, sénateurs, membres du gouvernement – qui l’avaient soutenu à la primaire et qui ne se retrouvent pas forcément dans la campagne de Benoît Hamon. Un déjeuner au calme chez Laurence Rossignol, la ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, avant une grosse réunion de parlementaires à l’Assemblée dans la soirée.

«Il y a beaucoup de gens qui ont beaucoup d'interrogations, relate le député Hugues Fourage. A la place qui est la sienne d'ancien Premier ministre, Manuel Valls fait son boulot d'écoute.» Depuis qu'il est rentré de ses vacances en Espagne, le perdant de la primaire a reçu des centaines de coups de fil et de SMS de socialistes à la recherche de consignes. «Il y a de l'étonnement, de l'incompréhension devant la direction prise par la campagne de Benoît Hamon, abonde le député du Val-d'Oise Philippe Doucet. En gros, personne ne sait vraiment où on va mais si c'est pour refaire Podemos, ce sera sans nous.»

«Je vous invite à rester ensemble et à faire en sorte que le réformisme, que j'ai porté avec vous, puisse continuer à être incarné, a déclaré Valls, devant quelque 300 personnes, dont environ une moitié de parlementaires, réunies mardi soir salle Colbert à l'Assemblée nationale. Je sais que parmi vous certains ont choisi Emmanuel Macron et d'autres restent fidèles à Benoît. Je comprends tous les choix.»

A ses côtés : le président de l'Assemblée, Claude Bartolone, le patron des sénateurs PS, Didier Guillaume, et plusieurs membres du gouvernement dont Laurence Rossignol ou l'écologiste Emmanuelle Cosse ou encore la présidente de la région Occitanie, Carole Delga. L'ex-Premier ministre s'est notamment fait écho de l' «inquiétude» de ses camarades «surtout après l'accord entre EELV et Benoît Hamon». «Le fait même d'organiser cette réunion, ça met la pression sur» le candidat socialiste, appuie un participant. Un autre : «C'était une démonstration de force mais avec des mots prudents. Manuel a fait preuve de compréhension. On va avancer comme ça.»

Il ne peut pas se permettre de disparaître

Pour Valls, cette réapparition était nécessaire mais compliquée. Ses proches assurent qu'il n'a pas l'intention d'être un «commentateur revanchard» d'une course à l'Elysée dont il a été éliminé. Mais, à l'heure où Benoît Hamon met la barre à gauche et où Emmanuel Macron préempte le créneau progressiste, Manuel Valls ne peut pas se permettre de disparaître le temps de la campagne au risque de disparaître tout court de l'échiquier politique. L'ancien ministre de l'Intérieur sait aussi que le moindre de ses mots sera disséqué comme un éventuel signal de dissension voire de division.

Résultat, son laïus de mardi soir devant les parlementaires a été un casse-tête de rédaction. «S'il dit: "On se met tous en bloc derrière Hamon", personne ne le croira sincère. Mais s'il ne fait pas très attention à ses mots, tout ce qu'il dira sera interprété comme un appel à voter Macron», analyse un de ses proches. Pour que l'effet de comparaison ne soit pas trop fort, le conseil parlementaire du candidat à l'Elysée, prévu en début de soirée à l'origine, avait d'ailleurs été avancé dans l'après-midi.

A ce déjeuner au ministère des Familles, dans le 7e arrondissement de Paris, ils étaient 17 convives autour d'un plat de poisson, dont six membres du gouvernement : Laurence Rossignol, le Garde des sceaux Jean-Jacques Urvoas, la ministre de l'Education Najat Vallaud-Belkacem et les secrétaires d'Etat Juliette Méadel (Aide aux victimes), Jean-Marie Le Guen (Développement) et Ségolène Neuville (Personnes handicapées).

Autour de la table, des piliers de la vallsie – son suppléant Carlos da Silva, le maire d’Evry Francis Chouat – et l’ossature de sa primaire : son ex-directeur de campagne Didier Guillaume, les députés Philippe Doucet, Hugues Fourage, Elisabeth Guigou, Malek Boutih, Olivier Dussopt, Christophe Borgel et des porte-parole comme Elsa di Méo, l’opposante au frontiste David Rachline à Fréjus, ou Mathieu Klein, président du conseil départemental de Meurthe-et-Moselle.

«Qu’il s’exprime le moment venu»

Tous ont pris la parole, livrant une même analyse de la situation politique: «Elle est mauvaise.» «L'ambiance était inquiète, désemparée, circonspecte», rapporte un des invités. Il a été question de loyauté et d'unité des socialistes et de l'accord entre Benoît Hamon et les écologistes qui va «trop loin». «On ne va pas faire toute la présidentielle sur les perturbateurs endocriniens», s'exclame l'un d'eux.

Pour l'instant, très peu d'élus estampillés vallsistes ont rejoint la campagne de Hamon. «On ne lui dit pas de se renier mais enfin Mitterrand a bien fait appel à ses ennemis Mauroy et Rocard tout en restant Mitterrand», peste Doucet. Chez d'autres, l'amertume est encore plus forte: vu la glissade de François Fillon dans les sondages, «on sait aujourd'hui que la droite peut perdre et ça renforce le côté occasion manquée. On se dit que Valls aurait pu être président de la République sans trop de difficultés».

Mais les convives diffèrent sur la suite politique de l'aventure: rester en réserve de la République pour l'instant (et, entre autres, ne pas décider ce qu'il fait de son parrainage présidentiel) ou faire sa campagne à lui, contre Marine Le Pen et François Fillon. Car, pour tous les participants, le danger du Front national confère à Manuel Valls une responsabilité. «Il a toujours fait ce qu'il fallait face au FN, rappelle Hugues Fourage. Qu'il s'exprime le moment venu n'est pas impossible mais aujourd'hui n'est pas le moment». Pas encore.