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Inventaire

Hamon ou Macron, qui vote quoi au gouvernement ?

Si la grande majorité des ministres s'interdit pour l'instant tout soutien officiel au candidat d'En marche, la plupart réclame des gestes de la part du candidat socialiste, qui, lui, garde ses distances.
Le gouvernement à l'Elysée le 17 juin 2014, avec notamment le ministre de l'Education Benoît Hamon (quatrième en bas à gauche), Michel Sapin, Marisol Touraine, Jean-Yves Le Drian... (Photo Alain Jocard.AFP)
publié le 2 mars 2017 à 13h01
(mis à jour le 2 mars 2017 à 13h39)

Retranchés dans leur ministère, les membres du gouvernement Cazeneuve observent la campagne de Benoît Hamon de loin. Partagés entre l'envie d'aider le candidat légitime et l'idée naissante d'un vote utile pour Emmanuel Macron. Libération passe le gouvernement en revue.

Ils sont à fond

Jusqu'à lundi, ils étaient trois. Trois membres du gouvernement à avoir intégré officiellement la «gouvernance politique» du candidat Hamon. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat au Commerce extérieur, chargé de la «Mission Agenda 2017», soit la rédaction des réformes à lancer en cas de victoire. Axelle Lemaire, sa collègue au Numérique, missionnée pour le chapitre «Innovation» à l'horizon 2025. Cette dernière a démissionné il y a trois jours de ses fonctions pour pouvoir se consacrer à la campagne Hamon, mais aussi la sienne en Europe du Nord (pour la circonscription comptant les Français de Grande-Bretagne et des pays scandinaves et baltes). Et Ericka Bareigts, qui doit «animer la coordination des élus des outre-mers». Si Lemaire compte apporter à Hamon des «communautés», comme elle dit (French Tech, libertés numériques, «gamers»…), Fekl a un rôle plus politique.

Depuis la fin de la primaire, l'élu du Lot-et-Garonne a multiplié les réunions de son mouvement «Movida» avec des parlementaires socialistes légitimistes mais souvent critiques de certaines décisions en fin de quinquennat (déchéance de nationalité, loi travail…) et échange très régulièrement avec Hamon au téléphone. Son nom circulait pour la direction de campagne mais, d'une part, Fekl voulait garder son poste au sein du gouvernement et l'équipe Hamon ne voulait pas d'un ministre aussi visible dans l'organigramme. D'autant qu'arrivait au Parlement européen la ratification du traité de libre-échange UE-Canada (Ceta) auquel s'oppose Hamon mais que Fekl défend. Aux côtés de ces trentenaires qui n'ont jamais émargé à l'aile gauche du PS, on retrouve Thierry Mandon. Le secrétaire d'Etat à l'Enseignement supérieur n'a pas de fonction officielle dans l'équipe Hamon mais milite sans faille pour le candidat. Les deux hommes avaient prévu d'effectuer un déplacement commun mardi soir, finalement annulé.

Ils le soutiennent mais…

Il y a moins d'un mois, ils étaient là. Assis aux premiers rangs, Maison de la Mutualité à Paris, pour applaudir Benoît Hamon et son discours d'investiture. Le candidat les avait remerciés de leur présence : la ministre de l'Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, sa collègue au Logement, l'écologiste, Emmanuelle Cosse, notamment. Ils ont fait part publiquement de leur soutien à Hamon, mais tirent à leur manière la sonnette d'alarme. Vallaud-Belkacem est la plus allante. Présente au déjeuner des proches de Manuel Valls mardi 28 février, la ministre de l'Education sermonne depuis plusieurs jours ses camarades pour s'engager auprès de Hamon. «On est un peu dans la situation de 2007 où il n'y a pas le soutien évident de tout le parti, avec en plus une offre concurrentielle, ce qui dédouane ceux qui n'ont pas une sympathie évidente pour notre candidat. La situation est délicate… Pire qu'en 2007», a-t-elle alerté en début de semaine dans le Parisien. «Le rassemblement doit être plus large et s'adresser aux Français dans leur ensemble et il faut que chacun amène du sien dans ce rassemblement, a-t-elle ajouté mercredi sur Europe 1. Mes camarades, qui visiblement ont des insuffisances dans le projet actuel de Benoît Hamon, je leur demande d'y contribuer […] Il est temps maintenant d'être tous responsables et d'être en campagne.»

Quant à Emmanuelle Cosse, elle n'a pas vraiment digéré le fait qu'Hamon aille discuter avec ses anciens camarades d'Europe Ecologie-les Verts (EE-LV) et laisse de côté les écologistes, comme elle, ayant rejoint la majorité dès le début 2016. A Libération la semaine dernière, elle disait déjà «regrette[r] certaines maladresses et surtout, tout le temps perdu dans les discussions d'appareil». Autre soutien écolo : Jean-Vincent Placé. Le secrétaire d'Etat à la Réforme de l'Etat s'est prononcé pour Hamon il y a une semaine. Auparavant, il avait pris soin d'inviter les proches de Valls à dîner, mi-février, pour prendre la température, notamment sur sa place de sénateur dans l'Essonne que convoite également le suppléant de l'ex-Premier ministre, Carlos da Silva. Afficher son soutien à Hamon c'est aussi une certaine assurance-loyauté : une garantie pour une place à l'heure des investitures sénatoriales.

Comme Laurence Rosignol (Familles), Alain Vidalies (Transports), Hélène Geoffroy (Ville) et Christophe Sirugue (Industrie), eux aussi socialistes tendance légitimiste, soutiennent le candidat mais souhaitent chacun dans leur domaine qu'il mette plus en avant le bilan. Sirugue «milite pour que l'industrie soit prise en compte dans le projet présidentiel», précise son cabinet.

Ils sont en plein doute

Légitimistes. Toujours. Mais très mal à l'aise. Pour les socialistes orphelins d'une candidature Hollande, Benoît Hamon ayant gagné la primaire à la loyale reste «leur candidat». Mais la grogne monte de plus en plus et les voilà désormais «en position d'attente assumée», dixit un conseiller. Lundi soir, ils étaient une bonne trentaine de responsables socialistes réunis au ministère de l'Agriculture autour du fidèle Stéphane Le Foll. Plusieurs membres du gouvernement étaient là pour se plaindre une nouvelle fois du peu d'entrain de Hamon à défendre le bilan du quinquennat : Patrick Kanner (Jeunesse, Ville et Sports), Myriam El Khomri (Travail), Estelle Grelier (Collectivités), Martine Pinville (Commerce, Artisanat, Consommation), André Vallini (Relations avec le Parlement), Clotilde Valter (Formation professionnelle). «La discussion était hyperconsensuelle», fait valoir un participant pour qui «tout le monde était sidéré de l'accord avec les Verts».

Un constat amer qui est partagé par d'autres ministres comme Jean-Marc Ayrault (Affaires étrangères), Michel Sapin (Economie et Finances), son collègue au Budget Christian Eckert, Marisol Touraine (Affaires sociales), Bruno Le Roux (Intérieur), Harlem Désir (Affaires européennes) ou Jean-Marc Todeschini (Anciens combattants). Tout comme ceux estampillés «vallsistes» conviés autour de l'ex-Premier ministre pour un déjeuner à la table du ministère des Familles de Laurence Rossignol comme Jean-Jacques Urvoas (Justice), Pascale Boistard (Personnes âgées) ou Ségolène Neuville (Handicapés), présente elle aussi dans les rassemblements hollandais.

Suivant la décision de leur parti, les ministres radicaux de gauche – Jean-Michel Baylet (Aménagement du territoire et Collectivités), Annick Girardin (Fonction publique), Thierry Braillard (Sports) – ont carrément décidé de «reporter» leur décision de soutien à Hamon à quinze jours, s'asseyant au passage sur les règles de la primaire qui prévoyaient que les perdants soutiennent le gagnant. Tous souhaitent des «clarifications» du candidat, notamment sa position sur le nucléaire, sa proposition de «49-3 citoyen» et ce qu'il compte mettre dans sa future nouvelle loi Travail. Patrick Kanner s'est, lui, permis de faire porter une lettre à Hamon à son QG de campagne samedi 25 février pour lui rappeler ce qui avait été fait pour les quartiers depuis cinq ans après la sortie du candidat accusant Hollande d'avoir abandonné les banlieues.

En revanche, pas question pour tout ce petit monde – pour l'instant – d'aller vers Emmanuel Macron, «trop libéral» et en partie responsable pour eux de l'empêchement de Hollande. Le «ni droite ni gauche» de l'ancien ministre de l'Economie, «c'est inacceptable, tonne un ministre. Moi je suis de gauche, même si je ne me retrouve pas dans le programme de Hamon qui creuse un fossé avec la gauche réformiste». «On entre dans les quinze derniers jours décisifs : soit il redonne de l'élan à sa campagne et se remet à grignoter sur tout le monde, soit il reste dans son discours très enfermant et là il faudra qu'on se pose des questions, fait valoir un ministre pour qui il faut commencer à réfléchir à un vote utile «Macron» : «Même si elles sont mélangées avec des idées de droite, il y a peut-être une chance que des idées de gauche soient au deuxième tour donc il faut réfléchir.»

Pour de nombreux ministres, la situation serait paradoxalement plus simple si le deuxième tour opposant Marine Le Pen à François Fillon était certain. Ils pourraient alors voter socialiste au premier sans trop se poser de questions, préservant leur rôle à venir dans la recomposition de la gauche. Mais Macron chamboule tout. «Si vous avez une autre perspective que le duel Fillon-Le Pen, ça mérite au moins une réflexion, explique une ministre. Il ne peut pas être question de tuer la vieille maison socialiste mais peut-être faudra-t-il en passer par la fragilisation du candidat socialiste.» «J'aime bien Benoît mais les délires "pikettiens" sur la mutualisation de la dette ça ne va pas, ajoute un autre pilier du gouvernement. On a le choix entre un type bien avec un programme de dingue et un type dingue avec un programme bien. Mais attention, si on les marie on risquerait d'avoir un type dingue avec un programme de dingues».

Ils se taisent… pour l’instant

Elle n'a jamais caché sa sympathie pour Macron. Et si Ségolène Royal a salué les «idées neuves» de Hamon, elle n'a jamais été une fan de celui qui avait apporté son soutien à Martine Aubry en 2008, l'empêchant de prendre le PS après le congrès de Reims. Mais, selon ses proches, la ministre de l'Ecologie «ne bougera pas avant fin mars». Ni d'un côté, ni de l'autre. «Cela ne la dérangerait pas d'entendre qu'elle a fait quelques trucs écologiques depuis trois ans», ajoute, acerbe, un député. Un autre poids lourd du gouvernement reste mutique : Jean-Yves Le Drian. Le ministre de la Défense «ne veut pas avoir à regarder ce qui se passe, croit savoir une de ses collègues. Il fait la tournée d'adieu des armées et c'est tout ce qui l'intéresse.» Circonstance aggravante, Hamon, au tout début de sa carrière électorale, a tenté de s'implanter dans le Morbihan, chasse gardée de Le Drian, qui ne lui a jamais pardonné. On voit donc mal comment un socialiste détestant les écologistes (au point de diriger la région sans eux depuis près de dix ans) et qui a tout fait pour mettre Manuel Valls à Matignon avant de le soutenir bec et ongles pendant la primaire pourrait apporter son soutien à Benoît Hamon avant le premier tour.

Ils pourraient basculer chez Macron

Pour l'instant, aucun ministre ni secrétaire d'Etat n'a pris ce risque : soutenir officiellement Emmanuel Macron. Cela en démange pourtant quelques-uns, dont Jean-Marie Le Guen (Développement et Francophonie) ou encore Juliette Méadel (Aide aux victimes), qui étaient tous les deux présents mardi au déjeuner des proches de Manuel Valls. Le secrétaire d'Etat au Développement et la Francophonie voit ses copains du «Pôle réformiste» qu'il a fondé avec le maire PS de Lyon, Gérard Collomb, partir un à un chez l'ancien secrétaire général de l'Elysée. Mardi sur RTL, Le Guen a donc sonné la charge, accusant Hamon d'être le candidat d'une «gauche radicalisée» : «Il s'est occupé essentiellement de la gauche de la gauche, et aujourd'hui, il est dans une impasse stratégique.» Avant de filer chez Macron, Le Guen menace de ne pas offrir son parrainage à Hamon s'il ne «rectifie pas l'orientation de sa campagne». Et comme Benoît Hamon a dit et répété qu'il ne changerait pas de ligne…