Libération a arpenté les allées du Salon de l'agriculture à l'écoute des doléances des agriculteurs. Excès de normes, de formalités administratives, pression des grands distributeurs, installation des jeunes agriculteurs… Certaines questions se retrouvent dans presque toutes les bouches. A l'approche de l'élection présidentielle, qu'ont-ils envie d'entendre ? A quoi les responsables politiques peuvent-ils s'engager pour les aider ?
Christophe Guicheux, céréalier : «Si on veut nourrir la planète, il va falloir utiliser des pesticides»
Ce que les candidats proposent : Sur la question des normes, François Fillon veut en réduire le nombre en abrogeant «par ordonnance toutes les normes ajoutées aux textes européens» et en rendant «obligatoire l'évaluation, par une étude d'impact, des conséquences de toute décision publique en matière de politique sanitaire et environnementale». Marine Le Pen, qui veut «simplifier le quotidien des agriculteurs en stoppant l'explosion des normes administratives », entend également répondre par un protectionnisme strict : «Afin de lutter contre la concurrence déloyale, [il faut] interdire l'importation des produits agricoles et alimentaires qui ne respectent pas les normes de production françaises en matière de sécurité sanitaire, de bien-être animal et d'environnement», explique son programme. La commande publique serait également un levier pour favoriser les producteurs français.
Emmanuel Macron a aussi déclaré qu'il fallait les simplifier, d'une part (il faut «réviser toutes les normes inutiles dans les cinq années à venir - en résumé, supprimer tout ce qui a été surtransposé et simplifier le reste», a-t-il dit à Quimper en janvier), et instaurer, d'autre part, un droit à l'erreur pour les exploitants («Ce droit à l'erreur, c'est la possibilité quand on est contrôlé pour la première fois et qu'on a commis une infraction qui n'est pas pénale, de ne pas avoir une administration qui sanctionne, mais qui conseille et corrige»). Quant aux pesticides, il a évoqué le sujet en décembre dans un entretien avec le magazine Terre de Vins où il expliquait qu'il fallait «limiter l'utilisation de produits phytosanitaires» et tablait sur «l'innovation» comme «réponse aux pesticides», mais sans donner davantage de précision. Benoît Hamon veut de son côté les interdire, mais, n'en déplaise à Christophe Guicheux, son site ne précise pas comment les agriculteurs pourraient être accompagnés dans cette perspective. Jean-Luc Mélenchon aussi, en commençant par «une interdiction immédiate des plus dangereux (glyphosate, néonicotinoïdes, etc.)».
Mikel Hirribaen, producteur de lait : «Il faut revenir à une échelle plus humaine»
Mikel Hirribaen est secrétaire général de la Confédération paysanne. Producteur de lait de brebis, il souligne l'importance de la «non concentration des animaux». Parmi les objectifs qu'il voudrait voir fixés, «la réduction des transports d'animaux d'un bout d'un monde à l'autre» au profit de circuits courts et de qualité, «le renforcement et la modernisation des petits abattoirs artisanaux» et «la réflexion sur l'abattage jusqu'à la ferme». «Il faut ré-imaginer des filières de production animale ou végétale liées à des territoires, revenir à une échelle plus humaine, relocaliser l'économie agricole le plus rapidement possible. Et c'est dans l'intérêt des animaux mais aussi des hommes qui travaillent dans l'agriculture et des consommateurs et des citoyens», réclame-t-il.
Ce que les candidats proposent : Si François Fillon et Emmanuel Macron n'ont pas abordé pas la condition animale jusqu'ici, les autres candidats s'y sont penchés sans aller jusqu'à évoquer la question du transport des animaux. Jean-Luc Mélenchon veut revoir les normes des abattoirs mais aussi «réviser leur taille car le productivisme des grands abattoirs impose de mauvaises conditions pour les travailleurs et les animaux». Benoît Hamon veut instaurer un plan contre la maltraitance animale ainsi qu'un comité national d'éthique des abattoirs. Marine Le Pen, qui veut faire de la protection animale une «priorité nationale» et s'oppose au modèle des fermes-usines, voudrait interdire l'abattage sans étourdissement préalable. Les circuits courts n'ont pas été oubliés. La leader frontiste évoque vaguement une réorganisation des filières pour y parvenir. Pour Benoît Hamon, il faut créer des «ceintures vertes» autour des villes, et soutenir les associations de type AMAP. Du côté de la France insoumise, les productions locales devraient être systématiquement privilégiées dans la commande publique et même obligatoires pour les cantines scolaires.
Caroline Coulon, responsable dans une coopérative : «Il faut que les grandes chaînes achètent les produits plus cher»
Caroline Coulon, 26 ans, est responsable qualité dans une coopérative d'artisans fromagers qui fabrique du Cantal AOP. Sa demande ? «Que les grandes chaînes achètent les produits plus cher. Je sais que le marketing coûte cher, mais quand on voit la part qui reste au producteur, cela fait tiquer. Et on a besoin d'eux pour avoir des produits de qualité.» Pierre Couillet, 29 ans, éleveur de brebis laitières et de vaches allaitantes dans le Sud-Ouest, fait la même requête. «Il faut mettre la pression sur les grands distributeurs. Aujourd'hui on nous propose des aides avec des règles toujours plus strictes. Mais ma génération, on n'a connu que ça, les aides, les cahiers des charges, les contrôles… Les gens pensent qu'on vit sur le dos de la société alors qu'on veut une meilleure valorisation des produits. On voudrait les vendre à leur juste valeur et ne pas être aidés. Cela passe, par exemple, par des labels comme label rouge ou IGP.»
Ce que les candidats proposent : François Fillon aborde ce point dans son programme. Avançant que «les agriculteurs ne veulent pas être assistés; ils veulent vivre de leur travail», il réclame «la présence des producteurs agricoles à la table des négociations commerciales […] qu'ils aient leur mot à dire sur la répartition des marges». Une présence qui «devra être imposée, au besoin par la loi». Le candidat LR réclame aussi l'affichage du prix d'achat au producteur sur l'étiquette des produits frais vendus en grande distribution. Dans la même veine, Marine Le Pen propose d'imposer la traçabilité totale de l'origine géographique et du lieu de transformation sur l'étiquette des produits alimentaires.
Jean-Luc Mélenchon réclame, lui, la mise en place de prix minimum et la «défense intransigeante» des appellations d'origine. Il veut plafonner les marges de la grande distribution «par un coefficient multiplicateur limité pour garantir des prix rémunérateurs aux producteurs» et interdire les ventes à perte pour les agriculteurs. Pour lutter contre la volatilité des prix, Emmanuel Macron veut proposer, dès mai 2017, une garantie sur les prix ou le chiffre d'affaires des agriculteurs qui serait mise en place dans le premier pilier de la PAC. Benoît Hamon, qui reconnaît que «les producteurs doivent pouvoir vivre dignement de leurs productions», évoque un soutien dédié en particulier aux filières «bio et équitable». «Nous étudierons la possibilité d'instaurer des prix planchers au niveau européen», ajoute le candidat socialiste.