La perversité des affaires politico-financières, c’est qu’elles font grimper le poujadisme. Leur vertu, en tout cas dans une démocratie qui fonctionne, c’est qu’elles font souvent progresser la transparence et le droit. Cela a été le cas avec l’affaire Cahuzac. La révélation du compte à l’étranger de l’ex-ministre du Budget avait accouché en 2013 d’une loi qui créait pour la première fois une Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et un Parquet national financier. Deux avancées que personne ne songe à remettre en cause, y compris à droite (qui avait pourtant voté contre à une dizaine d’exceptions près). On peut espérer que les supposés emplois fictifs de la famille Fillon et les potentiels conflits d’intérêts que contiennent les contrats de la société 2F Conseil du candidat LR trouveront un débouché législatif, pour faire progresser l’exemplarité.
Raisonnable
Anticipant ce débat, Libération a choisi de soumettre à tous les candidats à la présidentielle six engagements qui nous paraissent indispensables pour restaurer le lien de confiance entre les Français et leurs élus. Car contrairement à ce qu'assène la droite, François Fillon n'est pas l'arbre qui cache la forêt. Mais il n'est pas non plus un cas unique. Selon un décompte de Libération, près de 21 % des députés actuels emploient ou ont employé un membre de leur famille en tant qu'attaché parlementaire et 12 % déclarent des revenus privés en plus de leur indemnité parlementaire (lire page 6). En juin 2012, dans l'un de ses premiers discours, Claude Bartolone avait déclaré vouloir faire de l'Assemblée «une maison de verre, transparente, pour qu'elle soit exemplaire». Autant dire que cette promesse (ambitieuse) n'a pas été tenue.
Opportunisme
Les six engagements que propose Libération ne tombent pas du ciel. Tous sont évoqués comme des solutions raisonnables par plusieurs spécialistes de la transparence de la vie publique. Certains sont d'ailleurs directement inspirés des propositions de l'ONG Transparency France, réunies dans une pétition qui a déjà recueilli 30 000 signatures sur Internet. Il y a des solutions qui ne posent, a priori, aucun problème technique, comme l'interdiction des emplois familiaux, ou la suppression de la réserve parlementaire, cette enveloppe de 82 millions d'euros, utilisés par les députés selon leur bon vouloir, pour subventionner des collectivités locales et/ou des associations. D'autres sont plus complexes à mettre en œuvre. L'interdiction pour un député ou un sénateur de toucher une rémunération privée pourrait par exemple se heurter à un refus constitutionnel. Benoît Hamon rappelle que les «sages» avaient en effet censuré en 2013 deux mesures essentielles de la loi pour la transparence de la vie publique : l'interdiction pour les parlementaires «d'exercer une activité professionnelle qui n'était pas la sienne avant le début de son mandat» et l'interdiction pour les parlementaires «d'exercer une fonction de conseil […] qu'il exerçait avant le début de son mandat». Mais le candidat socialiste souligne aussi que la jurisprudence du Conseil n'est pas «insurmontable puisqu'il s'incline face aux dispositions législatives adoptées par voie référendaire et naturellement face à des dispositions adoptées sous forme constitutionnelle».
Si l'on excepte François Fillon, le seul à ne pas avoir répondu après plusieurs sollicitations (et dont le programme ne prévoit rien en la matière), la plupart des candidats reprennent tout ou partie des engagements de Libération. Non sans opportunisme. Nicolas Dupont-Aignan recommande aujourd'hui l'interdiction des emplois familiaux alors qu'il emploie sa propre femme en tant qu'attaché parlementaire. Et Marine Le Pen n'est pas à une contradiction près : elle défend aujourd'hui un règlement du Parlement européen qu'elle a, hier, piétiné.
Voici les six questions que nous leur avons adressées :
1. Etes-vous favorable à l'interdiction pour tout député et sénateur de toucher une autre rémunération privée que son indemnité parlementaire, sauf si le déontologue certifie une absence avérée de conflits d'intérêts?
2. Etes-vous favorable à la prohibition des emplois familiaux, sur le mode de qui existe déjà au parlement européen?
3. Etes-vous favorable à la création d'un statut du métier d'attaché parlementaire?
4. Etes-vous favorable à la nomination d'un véritable déontologue doté de pouvoirs de contrôle et d'enquête dans chaque chambre et qui devra rendre des compte chaque année?
5. Etes-vous favorable à la suppresion de l'Indemnité représentative de frais de mandat, mais remboursement des frais de représentation sur présentation de justificatifs?
6. Etes-vous favorable à la suppression de la réserve parlementaire?
Leurs réponses sont à retrouver ci-dessous :
[ Benoît Hamon : «Lever toute suscpicion» ]
[ Emmanuel Macron : «L’activité réelle des collaborateurs doit pouvoir être vérifiable» ]
[ Nicolas Dupont-Aignan : «Les abus ne laissent pas le choix» ]
[ Marine Le Pen : «Supprimer la réserve parlementaire» ]
[ Philippe Poutou : «Certains ont construit des villas, acheté des appartements en toute légalité» ]
[ Nathalie Artaud : «Tout doit être public et connu de tous» ]