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Libération
Les mots de la campagne

De «La France insoumise» à «La France apaisée», ce que les slogans disent des candidats

Pas toujours mémorables, les slogans des campagnes présidentielle sont censés éclairer les citoyens sur la vision et le programme des candidats. Mais pas que.
AU QG de Fillon, en octobre. (Photo Albert Facelly pour Libération)
publié le 9 mars 2017 à 17h05

Ils sont comme une signature de la campagne présidentielle. Les slogans en donnent le ton, ou l'esprit, sont parfois scandés en meeting, ponctuent les discours, peuvent marquer l'électorat ou au contraire être aussitôt lus, aussitôt oubliés. Ils sont parfois même repris d'une campagne à l'autre, comme le «Nos vies valent mieux que leurs profits» d'Olivier Besancenot (NPA, alors LCR) en 2002 et 2007 et reboutiqué par Manuel Valls, pourtant pas complètement voisin du premier sur le spectre politique, entre les deux tours de la primaire de gauche de 2017 («Nos vies valent mieux que leurs pronostics»).

Si l'on se contentait de les lire sans les associer à un nom ou un visage, on serait d'ailleurs bien souvent en peine de les distinguer. Qu'y a-t-il par exemple de si différent entre «Croire en la France» (Balladur, 1995) et «La France de toutes nos forces» (Bayrou, 2007) ? Pas grand-chose. Il ne faut pourtant pas minimiser leur importance, selon Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l'Ifop : «Certes les citoyens attendent les candidats sur des offres programmatiques, mais aussi sur une ou deux mesures choc, comme les 75% de Hollande ou la baisse d'impôt de 33% de Chirac en 2002, et sur ce qu'ils veulent pour la France. Un slogan, ça ne va jamais être "Baissons les impôts !" ou "Arrêtons l'immigration !", mais ça va charrier la vision qu'a un candidat du pays, la façon dont il le projette dans l'avenir.»

«Miser sur l’attachement à une personne»

Le slogan peut également servir à «contrer des craintes», ajoute-t-il. En 1981, le slogan «La force tranquille» du socialiste François Mitterrand a ainsi été conçu pour «dédramatiser» l'arrivée de la gauche au pouvoir. D'une manière générale, il doit aussi permettre d'identifier facilement le candidat. C'est, d'après le directeur général adjoint de l'Ifop, le principal défaut du «Le changement c'est maintenant» du candidat François Hollande en 2012 : le futur président y est «absent». Philippe Moreau-Chevrolet, président de l'agence de communication MCBG Conseil, abonde : «En 1988, "Génération Mitterrand" donnait une image de père de la nation, façon "on a tous grandi avec lui". C'était un slogan pour garder le pouvoir, pas le prendre. On se rattachait plus à sa personne qu'à son programme, dilué par l'ouverture, on misait sur l'attachement à sa personne.» 

Au contraire, si le «Travailler plus pour gagner plus» de Nicolas Sarkozy a fonctionné en 2007, c'est parce que, s'il n'évoquait pas directement le candidat, il lui permettait de répondre à une attente du pays, selon le communicant. «Le slogan, surtout dans les campagnes linéaires, où il y a une montée en puissance, doit rattacher le candidat et sa ligne au pays, le permettre de s'inscrire dans une dynamique collective qui le met au cœur du pays», résume-t-il.

Nous avons demandé à ces deux spécialistes de la communication politique d’analyser les slogans des principaux candidats à l’élection de 2017. Voici ce qu’ils en disent :

Philippe Moreau-Chevrolet : «Ce slogan correspond à la tradition de l'extrême gauche, il est cohérent avec son positionnement personnel, mémorisable et même "marketable", déclinable en produits dérivés. En termes de marketing politique, ça fonctionne bien. Après, le bémol, c'est que ça ne parle qu'à son camp. Mélenchon a fait beaucoup d'efforts cette année pour passer devant le PS, en mangeant du quinoa dans Gala, en faisant Ambition intime [l'émission présentée par Karine Le Marchand sur M6, ndlr]… Et "La France insoumise", ça parle à son électorat, CSP+, bobo – en caricaturant un peu – mais pas au-delà. Ça ne va pas rassembler. L'insoumission, ce n'est pas le problème principal des électeurs du FN.»

Frédéric Dabi : «Il faut faire attention aux slogans ambigus qui peuvent montrer la fragilité du candidat. Celui de Benoît Hamon est très ambigu, "Faire battre le cœur de la France", bon, il bat déjà, et ça peut être compris au sens de "vaincre". J'ai vu sur des réseaux sociaux des gens à droite qui l'analysaient comme ça : avec le revenu universel, Benoît Hamon va battre la France, signer sa fin. Donc ce slogan a un côté polysémique qui peut le fragiliser. Et il ne dit rien de lui, ni de son programme.»

Philippe Moreau-Chevrolet : «Un bon slogan doit parler du candidat, de son programme, de la France, et être facilement mémorisable. Il doit aussi être suffisamment original pour qu'on puisse le rattacher facilement au candidat. Le slogan de Benoît Hamon n'est pas mémorisable, il n'exprime rien de politique ni rien qui le concerne, il ne s'inscrit pas dans une attente du pays… C'est un slogan mauvais à tous les niveaux. Il est là parce qu'il en faut un mais c'est tout.»

Frédéric Dabi : «Ce qui est extrêmement intéressant c'est que "Libérer la France, protéger les Français" ça synthétise la force mais aussi les fragilités de son positionnement. C'est un slogan qui parle à la gauche et la droite : "protéger" rappelle le care de Martine Aubry, le discours de François Hollande à Wagram en septembre, c'est proche de la France, et "libérer", sans mettre "libéralisme" qui est un peu le "mot Voldemort", peut aussi résonner aux oreilles des électeurs de droite et du centre. Il a un positionnement attrape-tout, il prend des électeurs de gauche qui jugent le programme de Hamon pas sérieux et il prend à droite. Ce slogan, d'un côté, c'est bien joué : on parle de la France et des Français, on envoie un signal aux électeurs des deux bords. Après, il a aussi un côté opportuniste, qui catégorise les Français, mais pour l'instant ces critiques ne marchent pas car il coalise, ce que ni Bayrou ni Chevènement n'ont réussi à faire.»

Frédéric Dabi : «Un bon slogan pour François Fillon [après que l'affaire des emplois supposés fictifs de son épouse a éclaté] devrait être résilient, le montrer comme un homme déterminé, aux nerfs d'aciers, qui, si il a passé la crise, est capable de diriger le pays. Ce serait une manière de légitimer son accession à l'Elysée.»

Philippe Moreau-Chevrolet : «Ce slogan est cohérent avec qui il était à l'époque [avant les révélations du Canard enchaîné et que la justice ne s'intéresse à son cas, ndlr] : celui qui dit les choses qu'on a pas envie d'entendre, des choses invariablement dramatiques sur un ton tragique. C'était le Cassandre. Aujourd'hui ça ne fonctionne plus du tout, mais à l'époque c'était cohérent, et ça ne mangeait pas de pain. Après, ce sont des mots bateau, c'est pas tellement original. Ça n'aura pas un énorme impact, ça ne va pas rester comme "Yes we can". Mais ça remplit les autres critères, ça ne pouvait pas lui nuire.»

Frédéric Dabi : «Le FN poursuit sa logique de distinction : c'est le FN contre l'UMPS, le FN qui fait la critique de l'Union européenne… Ça s'inscrit dans sa philosophie, avec un programme pour "redonner la parole au peuple". "Au nom du peuple", c'est cohérent mais c'est simpliste et statique. Ça ne donne pas de protection. Au contraire "La France apaisée" ça veut dire : "le FN n'est pas ce que vous croyez", et ça peut faire écho au récit catastrophique que font depuis des années les Français dans les enquêtes qualitatives sur l'état politique du pays. Donc de ce point de vue, c'est bien joué, c'est l'idée qu'il n'y a plus de clivage gauche-droite mais "peuple patriote" contre "mondialistes". Il y a une cohérence.»

Philippe Moreau-Chevrolet : «Ces deux slogans ont deux utilités différentes. "La France apaisée" c'était pour adoucir son image, c'était au moment où elle était sur son blog, entourée de chatons, c'était une opération de pré-campagne, destinée à prendre son image à rebours, en faire une présidentiable, pas inquiétante, rassurante. C'est un slogan-médicament. Alors que "Au nom du peuple", c'est clairement présidentiel, c'est cohérent avec son positionnement. Elle a construit un personnage de fiction, populaire, celui de la mère de famille qui emmène ses enfants à l'école en Twingo. Evidemment c'est une fiction mais c'est cohérent.

Ça fonctionne bien, ça parle de son programme (revenir au peuple). Même si en soit, c’est creux, comme tous les slogans sortis de leur contexte politiques. "Yes we can", sorti du contexte, ça ne veut rien dire. Mais on s’en souvient parce qu’il symbolise une période incroyablement historique, alors que "Make America great again" si ça reste, ce sera comme marqueur d’une inquiétude. Donc, les slogans ne veulent rien dire en soi, mais c’est le bon mot au bon moment. [Ce que fait Marine Le Pen] c’est comme ce qu’a fait le PS avec "La force tranquille" : il fallait rassurer sur les socialistes car beaucoup à droite pensaient vraiment que les chars de Moscou allaient débarquer à Paris. "La force tranquille" ce n’est pas agressif mais c’est pour autant être capable d’être au pouvoir.»