Cette élection présidentielle a quelque chose d’unique : jamais au cours des récents scrutins, les deux principales formations politiques et républicaines n’avaient enclenché en même temps leur machine à perdre. Revenons un peu en arrière. En 2012, alors que François Hollande, surfant sur le ras-le-bol du président sortant, parvenait à rassembler son camp, Nicolas Sarkozy s’enferrait dans une campagne de droite extrême soufflée par son Raspoutine Buisson. Cinq ans plus tôt, le même Sarkozy avait construit une machine de guerre à son service tandis que le PS faisait tout pour faire perdre sa candidate pas assez ancrée dans le parti.
En 2002, malgré un bilan assez flatteur, Lionel Jospin avait mené la campagne la plus chiante et la moins convaincante du monde pour réussir l’exploit d’être éliminé au premier tour, face notamment à Jacques Chirac qui se contentait de jouer sur ses acquis. En 1988 et 1981, François Mitterrand, avec le parti dévoué à son service, avait mené des campagnes dignes des meilleurs joueurs d’échecs pour éliminer ses principaux rivaux, Chirac et Giscard, empêtrés dans les divisions de leur camp.
Il existait alors une alternance de la volonté de perdre. Seule la situation de 1995 pourrait quelque peu rappeler le paysage actuel: Lionel Jospin avait été envoyé au casse-pipe après le retrait de Delors, alors que le RPR se déchirait entre Chirac et Balladur. Mais une fois les positions figées, les partis avaient rempli leurs offices.
Politique de la terre brûlée
2017 marque une rupture complète. Comme si les deux camps avaient décidé de perdre. Le danger incarné par le FN n’a jamais été aussi grand, l’organisation et les stratégies pour y faire face jamais aussi inefficaces. Personne n’a vraiment pris la mesure des changements politiques en train de se jouer sous nos yeux. D’un côté, la droite et le centre se retrouvent pieds et poings liés avec un candidat empêtré dans une affaire de supposés emplois fictifs bien loin de l’image de rigueur qu’il était censé incarné. Plutôt que de changer de figure de proue, le camp de la droite a préféré la cornerisation voire la radicalisation – laissant le soin notamment à Emmanuel Macron d’aller chasser sur les terres centristes ainsi abandonnées. Comme si, pour la droite, il était plus important de préserver le parti que de gagner l’élection.
De l'autre côté, de nombreux socialistes issus de la génération Mitterrand ne veulent pas reconnaître qu'ils ne sont plus en phase avec le monde qui les entoure. Ils refusent de passer la main et pratiquent une politique de la terre brûlée, migrant vers le camp du ni de droite ni de gauche. Sans une once d'autocritique sur leur bilan. Et ceux qui restent passent leur temps à exiger de Benoît Hamon un devoir de rassemblement qu'ils devraient déjà imposer à eux-mêmes. Le résultat s'est vu lors de l'Emission politique de jeudi soir : Benoît Hamon a été interviewé sur le revenu universel, sur sa vision d'un monde où le travail se raréfie, sur l'Europe, sur l'immigration… Des thèmes qu'il a déjà largement labourés mais comme il fait face à la défiance d'une partie de son camp, ses thèmes reviennent encore et encore dans le débat, le ramenant à son statut de candidat à la primaire de gauche et pas à la présidence de la République.