C’est un sérieux paradoxe qui risque de rendre fou l’honnête électeur, notamment de gauche. Jamais dans une élection présidentielle les sondages n’avaient pris une place aussi importante dans le comportement électoral des Français, et pourtant jamais leur caractère prédictif n’a été aussi peu fiable. Si aujourd’hui beaucoup d’électeurs de gauche hésitent encore sur leur bulletin de vote, c’est parce qu’ils veulent être sûrs de pouvoir écarter le scénario noir d’une confrontation entre Marine Le Pen et François Fillon au deuxième tour du scrutin. C’est le ressort du vote utile : un vote de barrage plus que d’adhésion ou de conviction. En clair, beaucoup d’électeurs socialistes, y compris ceux qui se disent proches de Benoît Hamon, n’excluent pas de voter en dernier recours pour Emmanuel Macron s’ils ont la certitude d’échapper ainsi à un second tour catastrophe.
Dans ce calcul tactique, l’électeur stratège compte évidemment beaucoup sur la lecture des enquêtes d’opinion. Quitte à leur accorder un pouvoir qu’elles n’ont pas. En mars 2012, les électeurs qui disaient vouloir voter François Hollande ou Nicolas Sarkozy étaient sûrs de leur choix à plus de 75 %. Cinq ans plus tard, rarement le favori à la présidentielle n’a été aussi fragile à seulement cinq semaines du premier tour. Le socle d’irréductibles prêts à voter pour Macron plafonne à seulement 50 % (contre 72 % pour Fillon ou 81 % pour Le Pen). Un ratio équivalent pour Hamon ou Mélenchon. Ces sondages, censés aider les électeurs perdus à prendre une décision, ne sont en fait que le reflet de leur indécision.