«A cinquante jours du premier tour, il n'est pas possible de régler la différence qui par exemple nous sépare sur la question essentielle de l'Europe.» Par ces mots Jean-Luc Mélenchon expliquait, le 27 février sur Facebook, trois jours après le dîner partagé avec Benoît Hamon à Ménilmontant (Paris XXe), pourquoi une alliance avec le candidat socialiste était impossible : sur les options européennes, les deux anciens partisans du «non» au référendum de 2005 ne s'entendent plus. Passage en revue de leurs points de désaccord.
Créer une «assemblée parlementaire» pour remplacer l’Eurogroupe ? Hamon est enthousiaste, Mélenchon dubitatif
Tous les deux veulent renégocier les traités européens. Mais pas exactement dans le même sens, ni avec la même méthode. Du côté de Benoît Hamon, conseillé par les économistes Thomas Piketty et Julia Cagé, il s'agit de proposer «un nouveau traité de démocratisation de la gouvernance économique de la zone euro», lequel, déjà rédigé, viendrait compléter et non remplacer les traités. Il reposerait sur l'idée que «les grandes décisions doivent être prises en transparence et soumises à un contrôle démocratique plein et entier». Ce traité «mettra en place une Assemblée parlementaire qui remplacera l'Eurogroupe [la réunion mensuelle des ministres des Finances de la zone euro, ndlr]». Et d'enfoncer le clou dans un entretien au Monde le 9 mars : «On ne peut pas en rester à la situation actuelle, où la réunion des ministres des finances de la zone euro et ses décisions échappent totalement au contrôle des traités, des Parlements et des citoyens européens.»
Jean-Luc Mélenchon, lui, s'est montré à plusieurs reprises dubitatif sur cette idée, par exemple sur son blog le 22 février : «Les problèmes de la gouvernance de la zone euro demeurent inchangés. Car nul ne demande, pas même Benoît Hamon, de revenir sur l'indépendance de la Banque centrale européenne ni sur son statut. Et personne ne parle de placer le marché unique et ses règles sous le contrôle parlementaire. Ce sont là les points clés de blocage pour que les Etats ou les citoyens puissent avoir une quelconque influence sur la politique monétaire de la zone euro. Dès lors, je vois bien qu'il ne s'agit pas non plus de mettre en cause les orientations économiques actuelles de l'Union mais juste d'en légitimer la forme de prise de décisions», écrivait-il. Dans son programme, l'Avenir en commun, le candidat de la France insoumise consacre un chapitre entier à la sortie des traités. Et entend, dès son arrivée à l'Elysée, «s'exonérer du pacte de stabilité et des règles européennes encadrant les déficits [et] cesser d'appliquer unilatéralement la directive sur le détachement des travailleurs en France».
Des plans d’action aux styles distincts : suspension immédiate des textes contre négociation progressive
«Pour appliquer notre programme, il nous faudra désobéir aux traités dès notre arrivée au pouvoir.» «Je veux convaincre les Français qu'il existe un chemin pour réorienter l'Europe […] Je m'en donne les moyens en mettant sur la table un ensemble de propositions concrètes qui forment la base des négociations à venir avec nos partenaires européens.» La première phrase figure à la page 81 du programme de Jean-Luc Mélenchon. La deuxième, sur le site internet de Benoît Hamon.
En fait, Mélenchon envisage deux plans : le A, dans lequel est prévue une «sortie concertée» des traités européens par l'abandon de certaines règles par les pays qui le souhaitent (suivi d'une négociation pour définir de nouvelles règles, validées par référendum), mais surtout le B, plus radical, qui prévoit que la France sorte unilatéralement des traités. Dans le deuxième cas, la France arrêterait de verser 22 milliards d'euros annuels à l'UE, la banque de France serait réquisitionnée pour faire de l'euro «une monnaie commune et non plus unique», et un contrôle des capitaux et marchandises aux frontières serait mis en place. La France serait ensuite libre de négocier d'autres formes de «collaborations» avec les pays européens.
Hamon préfère lui proposer une feuille de route plus sage dans l'attente de nouvelles négociations et revoir dans le même temps les directives qui lui déplaisent, comme celle sur les travailleurs détachés. Le candidat socialiste entend également aller vers plus d'intégration européenne, en proposant par exemple la mise en place d'un salaire minimum européen («Je proposerai un processus de convergence sociale qui débutera par un salaire minimum par pays à hauteur de 60% du salaire moyen», indique son site) et plus d'harmonisation fiscale (une proposition similaire figure dans le plan A de Mélenchon). Quant au pacte de stabilité, que Mélenchon entend dénoncer, là encore, Hamon préfère la concertation et propose de lancer un moratoire européen pour le réformer – c'est du moins ce qu'indique son site, même si le candidat n'évoque plus l'idée publiquement. Il n'y a guère que sur le Ceta, le traité de libre-échange passé avec le Canada, que les deux militants de gauche s'entendent pour une suspension provisoire.
La menace du «Frexit» : Hamon est contre, Mélenchon est pour
Surtout, alors que le Parlement britannique vient de donner son feu vert au lancement des négociations entre la Grande-Bretagne et Bruxelles en vue du «Brexit», c'est sur la menace d'un «Frexit» que Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon ne sont pas d'accord. Le premier la refuse catégoriquement («Tandis que certains prennent le risque d'achever le travail de dislocation ouvert par le vote du Brexit, je suis du parti de l'espérance», affirme-t-il sur son site) tandis que le second y voit un moyen de faire pression sur l'Union européenne – et surtout sur l'Allemagne. Cette arme a selon lui fait défaut à Aléxis Tsípras, rappelle Mediapart.
Le rôle de la banque centrale européenne : Mélenchon veut le modifier, Hamon se montre imprécis
Dans l'exposé de son «plan A», Jean-Luc Mélenchon explique vouloir «mettre fin à l'indépendance de la Banque centrale européenne, modifier ses missions et statuts, autoriser le rachat de la dette publique directement aux Etats, interdire à la BCE de couper les liquidités à un Etat membre». Il indique également que l'euro devra être dévalué afin d'arriver à parité avec le dollar. Du côté de Hamon, il est question d'œuvrer «pour faire évoluer les statuts de la BCE et faciliter le financement direct de la dette des Etats.», sans plus de précision.
Les dettes souveraines : quasiment d’accord mais Hamon va plus loin
Voilà un point où les deux hommes pourraient tomber d'accord. Jean-Luc Mélenchon, qui proposait en 2014 que la BCE puisse racheter les dettes souveraines des Etats, estime aujourd'hui qu'il faudrait organiser une conférence européenne sur le sujet, laquelle pourrait déboucher sur des moratoires, des annulations partielles ou des rééchelonnements. Benoît Hamon, une fois n'est pas coutume, va plus loin : il demande l'annulation de la dette détenue par les Etats membres et accumulée depuis 2008 par les Etats membres les plus en difficulté. Et milite même pour une mutualisation des dettes des pays européens où elles dépassent 60% du PIB, souhaitant notamment que les pays membres se portent caution les uns des autres.
Aller vers une défense européenne ? Hamon dit oui, Mélenchon dit non
Pour Benoît Hamon, la défense, dont il souhaite augmenter la part dans le PIB (à 3% si l'on inclut aussi la sécurité), doit aller vers plus d'intégration au cadre européen. Il propose ainsi de lancer «une véritable stratégie de coopération européenne dans le domaine de la défense. Celle-ci comprendra une amélioration du hub européen afin que nos partenaires accentuent leur soutien logistique et financier aux opérations extérieures faites par la France. Les états-majors européens et les brigades binationales seront renforcés. Enfin, nos moyens de renseignement seront progressivement mutualisés avec la mise en place de task forces multilatérales pour aboutir à une agence de renseignement européenne.» En cela, Benoît Hamon s'inscrit dans la continuité du mandat de François Hollande, qui s'est déclaré, avant un mini-sommet européen début mars, favorable à la relance des efforts de construction d'une défense européenne.
Au contraire, pour Jean-Luc Mélenchon, l'Europe de la défense, c'est non. «Penser que l'on va relancer l'Europe par l'Europe de la défense, c'est une vision terrible. On n'a pas fait l'Europe pour ça mais pour faire la paix», a-t-il déclaré face à la presse la semaine dernière. L'«Europe de la défense a la caractéristique de ne jamais dire contre qui elle a l'intention de se défendre. C'est en réalité l'Europe de la guerre», a encore dit le chef de file des Insoumis, qui craint notamment qu'une Europe de la défense ne mène au conflit avec la Russie ou qu'elle se montre trop atlantiste. D'autre part, puisque Jean-Luc Mélenchon veut s'affranchir de la règle des 3% de déficit, on ne peut affirmer qu'il est ou non d'accord avec la proposition du candidat socialiste d'exclure «le budget de la défense du calcul du déficit au sens des critères de Maastricht».
Maintenir le déficit à 3% du PIB ? Mélenchon refuse, Hamon rentre dans le rang
On l'a dit : Jean-Luc Mélenchon souhaite, dès son entrée en fonction, «s'exonérer du pacte de stabilité et des règles européennes encadrant les déficits». A commencer par les critères de convergence du Traité de Maastricht, selon lesquels il est interdit «d'avoir un déficit public annuel supérieur à 3% du PIB». Sur le sujet, le leader des «insoumis» est constant. On ne peut en dire autant de Benoît Hamon, dont la position a un peu évolué depuis le début de la campagne. Fin février, il a estimé sur France Inter que la règle des 3% de déficit maximum était «un non-sens», «qui ne répond pas aux besoins d'une économie comme la nôtre». Et d'enfoncer le clou : «En matière de dette et de déficit il faut regarder ce que nous pourrons rembourser, ce que nous ne pourrons pas rembourser.» Côté programme, le candidat avait toutefois pris soin de ne pas aller trop loin : sur son site, il est seulement fait mention du budget de la défense, qui doit être exclu du calcul du déficit.
La semaine dernière, le candidat s'est finalement engagé à respecter ces critères de Maastricht sur le déficit : «Je souhaite des politiques de relance qui se concentrent sur la transition écologique, sur les investissements dans l'avenir et sur la mise en oeuvre du revenu universel d'existence, les Européens souhaitent que nous ayons une trajectoire des finances publiques qui tendent vers les moins de 3%, je m'engage à ce que les deux objectifs puissent être tenus», a-t-il dit face à la presse, alors qu'il présentait son projet européen.