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Benoît Hamon, inspirations au programme

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Le candidat socialiste a détaillé jeudi ses mesures. Son projet initial, modifié par touches successives, emprunte notamment à Montebourg, aux Verts… mais aussi à Hollande, alors qu’il a été un des principaux frondeurs.
Benoît Hamon, jeudi à la Maison de l’architecture, à Paris. (Photo Denis Allard. Réa)
publié le 16 mars 2017 à 20h56

Ne prononcez pas le mot, ça l'agace. «Synthèse.» Benoît Hamon préfère l'expression «intelligence collective» pour définir les évolutions de son projet présidentiel présenté jeudi à la Maison de l'architecture, à Paris. «Je n'ai rien contre les synthèses, elles sont utiles, le compromis est utile, a-t-il lancé, interrogé sur le sujet. Mais on ne va pas à une élection présidentielle en se demandant quelle synthèse on fabrique.»

Mais de fait, si son livret de 198 propositions ramasse l'ensemble des sujets qui lui ont permis d'emporter la primaire, Benoît Hamon a bien apporté, par touches successives, des ajustements aux principales d'entre elles (revenu universel, taxe robot, Europe, 49.3 citoyen…) afin de contenter - enfin - sa famille politique. Sans oublier de cogner sur Le Pen et de mettre Fillon comme Macron dans le camp des «vieilles recettes» libérales.

Durant près d'une heure et demie, sous le plafond décrépit d'un ancien couvent transformé en lieu branché, on a entendu Hamon reprendre un paquet de propositions économiques d'Arnaud Montebourg mais aussi des éléments laissés en route par François Hollande depuis 2012 ou piochés dans le reste de la gauche, notamment chez les écologistes. «Pardon, sur le made in France, moi, je ne cherche pas à faire plaisir à Arnaud Montebourg, s'est-il défendu. Je prends ce que je juge être une proposition intelligente, qui permet de créer de l'emploi et dont les modèles économiques seront beaucoup plus vertueux sur le plan de l'environnement.»

En réalité, Hamon n’a fait que remettre en forme ce qu’il avait déjà présenté lors de conférences de presse spécifiques (Europe, entreprises, alimentation…) ou dans ses meetings. Mais compte tenu d’une campagne marquée par l’affaire Fillon et les appels au «vote utile» pro-Macron, il n’avait pu imprimer ses thématiques. Cette présentation avait donc pour objectif de braquer, le temps d’une matinée, les caméras (et les yeux socialistes) sur lui. Le tout avant son grand meeting de Bercy, dimanche, et le premier débat télévisé, lundi.

Les proches de Hamon préciseront ce vendredi comment il financera les «70 milliards d'euros de dépenses supplémentaires». Selon les informations de Libération, les «recettes nouvelles» rapporteraient à terme 26 milliards d'euros : 5 milliards grâce à une taxe sur les «superprofits» des banques, 11 avec le «plan de lutte contre l'évasion fiscale» et 10 repris au crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE).

L'équipe Hamon prévoit aussi 5 milliards d'euros d'économies avec la mise en place d'une «centrale commune d'achat public» et la récolte des fruits des dépenses d'investissement, grâce à l'argent réinjecté dans l'économie. On sème, on récolte : Hamon revient aux classiques de la politique de relance.

Le Hamon de la primaire : développement personnel

Si Benoît Hamon ne revient pas sur les fondamentaux des thèmes qu’il a portés durant la primaire, le programme qu’il a présenté jeudi a été toiletté. Le virage le plus symbolique, que le candidat avait préparé en annonçant dès le départ qu’il serait mis en place par étapes, porte sur le revenu universel. La «première étape» de sa mesure phare sera certes étendue à «19 millions» d’étudiants, salariés et indépendants gagnant au plus 2 200 euros net par mois. Mais il est désormais question de la mettre sous condition de ressources pour ce qui concerne les jeunes de 18 à 25 ans.

Autre élément sur lequel le candidat a bougé : le respect de la «règle des 3 %». Les critères de convergence définis à Maastricht en 1992 prévoient que les pays de l'UE maintiennent leur déficit public annuel en dessous de 3 % de leur produit intérieur brut (PIB). Un effort que l'actuel gouvernement, qui estime que la France repassera sous les 3 % cette année, ne remet pas en cause. Benoît Hamon jugeait au contraire le 27 février que cette règle était «un non-sens», mais le 10 mars, lors de la présentation de son projet européen, il s'engageait finalement à la respecter en fin de quinquennat… tout en affirmant que les dépenses supplémentaires en matière de défense seraient sorties du calcul des déficits.

Hamon a aussi revu son «49.3 citoyen», qui devait autoriser 1 % du corps électoral (450 000 personnes) à imposer au Parlement l’examen d’une proposition de loi ou de bloquer la promulgation d’un texte et le soumettre à référendum. Le principe, brocardé par Peillon, reste. Mais après avoir entendu les critiques portant notamment sur le risque que les lobbys ne bloquent le processus législatif, Hamon a instauré un critère de représentativité nationale. Les signataires pourraient devoir venir de la moitié des départements et un plancher de participation au référendum est envisagé. Les domaines sur lesquels ces pétitions porteront seront aussi balisés. Enfin, sa «contribution sociale» sur les robots a été amendée : les entreprises qui continuent d’embaucher en seront exonérées.

Arnaud Montebourg : le bon filon

Il les a tous cités : Arnaud Montebourg, Vincent Peillon, Jean-Luc Bennahmias et Sylvia Pinel. Tous les «participants» à la primaire de la Belle Alliance populaire (Benoît Hamon ne veut pas dire «concurrent»). Tous, sauf deux : François de Rugy (parti chez Macron) et surtout Manuel Valls, qui ne veut pas lui accorder son parrainage. Dont acte : le candidat PS dispose désormais d'un bon argument pour expliquer pourquoi il ne reprend pas de propositions de l'ex-Premier ministre.

Benoît Hamon s'est ainsi félicité jeudi matin d'avoir «enrichi» son projet avec certaines idées de ses ex-adversaires. Avec une forte préférence pour celles de Montebourg. On reprochait au candidat socialiste de ne pas parler assez de «lutte contre le chômage» ? Il a attaqué son propos en détaillant sa «stratégie pour l'emploi […] pour réduire vraiment le chômage» : «plan de 100 milliards d'euros sur cinq ans» pour la rénovation «urbaine et thermique» «taxe sur les superprofits des banques» censée rapporter 5 milliards d'euros ; réserver 50 % des marchés publics aux petites et moyennes entreprises (Montebourg proposait 80 %) ; «révision de la loi bancaire» pour contrôler «effectivement l'ensemble des activités de marché des banques» ; «garantie service public universelle»… Beaucoup des propositions inscrites dans le «manifeste économique» de l'ex-ministre de Bercy présenté début janvier. Hamon cite même Montebourg dans le texte : «Je suis le candidat du pouvoir d'achat, de la feuille de paie.»

Quant à Vincent Peillon, il peut se réjouir de voir Hamon promouvoir à Bruxelles des «investissements» et expliquer qu'en «fin de quinquennat», il respectera les règles budgétaires. Bennahmias était, lui, déjà servi avec le revenu universel d'existence ou la légalisation du cannabis. Les radicaux de gauche et Sylvia Pinel ont eu, de leur côté, des garanties sur les aides aux petites et moyennes entreprises ou sur la taxe robot (lire ci-contre) et trouveront dans le programme une réforme du régime social des indépendants (RSI) et la promesse de faire «scrupuleusement respecter la loi de 1905» sur la laïcité.

Europe Écologie-Les Verts : le temps du recyclage

Benoît Hamon n’a pas attendu de s’allier avec Europe Ecologie-les Verts (EE-LV) pour présenter un projet tourné vers l’écologie - et cela a sans doute facilité les noces. Figuraient déjà au menu pendant la primaire l’interdiction de certains pesticides et des perturbateurs endocriniens, la sanctuarisation des biens communs, le soutien aux circuits courts, les aides à la conversion pour les producteurs souhaitant passer à l’agriculture biologique, la négociation d’une nouvelle politique agricole commune (PAC) favorisant le modèle agro-écologique, le plan d’investissement pour la rénovation énergétique, la mise en place d’un plan national «zéro déchet», etc.

Mais il fallait tout de même l'enrichir d'éléments issus du programme de Yannick Jadot, éphémère candidat EE-LV, qui s'est retiré en sa faveur le 23 février. Ainsi, alors que Hamon se contentait initialement de réduire la part du nucléaire à 50 % du mix énergétique en 2025, s'alignant sur les objectifs de fermetures de centrales fixés par la loi sur la transition énergétique, il a dit jeudi souhaiter atteindre 100 % d'énergies renouvelables en 2050, et donc sortir du nucléaire «en une génération». Une ambition qui figurait dans le programme écologiste et qui braque nombre de socialistes. De la même façon, Hamon voulait, pour sortir du diesel, mettre fin à son avantage fiscal : il envisage désormais d'interdire, d'ici 2025, la commercialisation de nouvelles voitures diesel. Autre nouveauté dans le domaine des transports : le candidat veut «consolider le maillage» ferroviaire du territoire, dans le même esprit que la volonté du programme écolo de «développer les réseaux de transports du quotidien».

Enfin, si l’éventualité d’une alliance entre Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon a capoté, l’idée du premier de lancer dès l’été 2017 une «conférence pour une VIe République réunissant parlementaires, sages et citoyens» ressemble beaucoup à la volonté du second de réunir une Assemblée constituante. Sur le site de Hamon figurent plusieurs réformes constitutionnelles, comme le septennat unique, mais d’une «conférence pour la VIe République», point de trace.

François Hollande : les promesses ressuscitées

Hamon 2017, une candidature anti-Hollande ? Avec son départ du gouvernement à l'été 2014 pour désaccords sur la politique économique, le projet du socialiste rompt avec le quinquennat. Mais, à bien y regarder, il y a aussi du Hollande dans le programme de Hamon. Il y a d'abord des propositions zappées par le candidat de 2012 une fois installé à l'Elysée. La première d'entre elles : le droit de vote des étrangers aux élections locales. Puisqu'elle nécessite une modification de la Constitution, Hamon propose de soumettre la question à référendum - tout comme la reconnaissance du vote blanc - dès son arrivée à l'Elysée. «Je ferai campagne totalement», a-t-il insisté.

Quant à la «grande réforme fiscale», le socialiste promet certes de «mener à bien le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu». Mais il est sur le point d'abandonner une fusion avec la CSG. Pour contourner l'obstacle constitutionnel et appliquer la «progressivité» de l'impôt, qui était l'objectif de la réforme, ses économistes préfèrent «tuiler» revenu universel et impôt sur le revenu. La CSG restera «telle quelle» sur les bulletins de salaire, dit un proche de Hamon, mais cela, poursuit-il, «revient à faire la réforme de justice fiscale qu'on voulait faire».

Sur le plan éducatif, quand François Hollande promettait de «faire en sorte que les enfants de moins de 3 ans puissent être accueillis en maternelle», Hamon veut «rendr[e] l'instruction obligatoire dès l'âge de 3 ans» et «garantir un droit à la scolarisation» dès 2 ans en Education prioritaire et en outre-mer.

Sur l'Europe, on retrouve chez Hamon des accents du Hollande de 2012 qui proposait de «réorienter» l'Union européenne, ou de celui post-crise grecque de 2015 promettant des propositions pour «démocratiser» la zone euro. Hamon, lui, met en avant un nouveau traité budgétaire avec une «assemblée démocratique». Un saut fédéral raccord avec le candidat Hollande.

Enfin, le socialiste ressort la proposition - classique pour tout socialiste - de «ratification de la charte des langues régionales» et promet, comme Hollande lors de sa campagne, de «réformer le statut pénal du chef de l'Etat».