Cinq candidats, trois heures de débat, et quelques intox. Nous en avons sélectionné quelques-unes. Tout le monde est servi.
Benoît Hamon
«La réalité, c'est quoi ? S'il y a 200 000 entrées légales d'immigrés en France par an, il y en a plus de 150 000 qui repartent. Nous avons aujourd'hui un solde migratoire qui doit être entre 50 000 et 70 000 personnes»
Voilà un sujet sur lequel on entend et lit beaucoup de choses fausses. Et Hamon ajoute l'intox à la confusion générale. Ce qui est vrai, c'est que le solde migratoire global de la France est de +67 000. On retrouve cette statistique dans le tout frais bilan démographique 2016 de l'Insee en janvier (en bas à droite de ce tableau).
Mais cette donnée ne nous informe en rien de l’apport de l’immigration. En effet, ce solde migratoire concerne la totalité des entrées et sorties du territoire, et pas seulement celles des immigrés. En clair, il agrège les mouvements des immigrés et ceux des personnes nées en France (ainsi que les entrées et sorties de personnes nées françaises à l’étranger, mais qui sont plus marginales).
Or les statistiques de l’INSEE, basées sur les enquêtes annuelles de recensement, montrent que le solde migratoire des personnes nées en France est négatif, alors que le solde migratoire des immigrés est, lui, nettement positif. Pour 2013, dernière année pour laquelle l’étude donne des chiffres, le solde des nés en France est de -120 000 (197 000 ont quitté le territoire pour 77 000 qui sont revenus). A l’inverse, le solde migratoire des immigrés est de +140 000 (235 000 arrivées pour 95 000 départs).
Bref, concernant le solde migratoire des immigrés, les chiffres sont donc peu ou prou l’inverse de ce que dit Benoît Hamon.
Jean Luc Mélenchon
Macron : «Je suis pour que les heures supplémentaires soient rémunérées.»
Mélenchon : «Pas juste +10% comme dans la loi El Khomri, parce qu'avant, c'était 25%.»
Macron : «On est tout à fait d'accord.»
Ainsi la loi travail aurait baissé de 25% à 10% la majoration des heures sup', comme l’affirme Mélenchon (soutenu par Macron, étonnant allié de circonstance) ? Voilà un (petit) raccourci, auquel la ministre concernée a répondu en live via Twitter.
Non @JLMelenchon la #loitravail n'a pas fixé les heures sup à 10%, mais ouvre la possibilité de négocier le taux par accord #LeGrandDébat
— Myriam El Khomri (@MyriamElKhomri) March 20, 2017
De fait, la loi n’est pas si automatique que cela. Elle dispose que le taux de majoration des heures supplémentaires est désormais fixé en priorité par un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par un accord de branche, sans pouvoir descendre en dessous de 10%. En l’absence de tels accords, le taux de majoration reste fixé par la loi à 25% pour les huit premières heures et à 50% pour les heures suivantes.
Outre l'erreur de Mélenchon, Myriam El Khomri a dû manquer de s'étouffer en écoutant Macron approuver, après avoir déclaré quelques minutes plus tôt qu'il était «pour que les heures supplémentaires soient rémunérées». Car le même Macron, alors ministre de l'Economie, était au moment de la discussion de la loi travail, sur une position plus libérale que celle de sa camarade du gouvernement sur le sujet de la majoration des heures sup'. A Davos, en janvier 2016, il avait ainsi plaidé pour la suppression du plancher de 10% pour la majoration. Se réjouissant que le projet de réforme signe «de facto» la fin des 35 heures, il s'était dit favorable à ce que les heures supplémentaires soient majorées «beaucoup moins, voire pas du tout», dans le cadre de négociations au sein des entreprises. «Si vous pouvez négocier des accords majoritaires au niveau de l'entreprise pour n'avoir presque aucune surcompensation, cela veut dire que vous pouvez créer plus de flexibilité», avait déclaré Macron à des journalistes de la presse étrangère.
C’était il y a à peine plus d’un an. Mais en un an, il se passe des choses. Surtout quand une élection approche.
François Fillon
Fillon : «La France est aujourd'hui le pays où le volume d'heures travaillées par rapport aux grandes économies mondiales est le plus bas.»
Mélenchon : «Pardon monsieur mais, quand même, ne prenons pas trop les gens pour des imbéciles. Comment ? Les Français sont ceux qui travaillent le moins en Europe ? Vous plaisantez ? Vous voulez avoir quoi le nombre d’heures de travail de la Roumanie ? C’est ça que vous voulez ?»
Fillon : «Mais pas du tout, on compare à l’Allemagne, Monsieur Mélenchon. A l’Allemagne, à la Hollande, au Danemark, à la Suède, à la Finlande, à la Grande-Bretagne… Pas à la Roumanie enfin !»
On se perd facilement dans la jungle des statistiques en matière de temps de travail. Fillon en apporte une parfaite illustration. Ce qui est vrai, c'est que le temps de travail des salariés à temps plein est plus bas en France que dans les autres pays européens, comme on peut les voir sur les derniers chiffres de l'Institut Coe-Rexecode, à partir des données d'Eurostat. Voici les données concernant la durée annuelle moyenne de travail des salariés.
Mais si on veut évaluer le volume d’heures travaillées comme prétend le faire Fillon, il faut aller au-delà des seuls travailleurs à temps complet. Il faut intégrer aussi les salariés à temps partiel. Et comme on le voit aussi (deuxième graphique), la durée annuelle moyenne de travail est supérieure en France concernant le travail à temps partiel, qu’elle ne l’est en Allemagne aux Pays Bas, au Danemark, au Royaume Uni… Autant de pays que cite François Fillon.
Ajoutons que la part des salariés à temps partiel varie largement selon les pays. Et elle est beaucoup plus importante en Allemagne ou aux Pays-Bas qu’en France.
En dernier lieu, l’étude de Coe-Rexecode renseigne aussi sur le temps de travail des salariés indépendants… pour lequel la France est dans le quatuor de tête, seulement devancé par la Grèce, l’Autriche et la Belgique.
Au total, si on intègre donc -pour mesurer le «volume global d’heures travaillées»- les temps complets, partiels, mais aussi les non salariés, le résultat est alors bien moins édifiant que ne le dit Fillon… voire opposé à ce qu’il entendait démontrer.
La France (1 521 heures) se retrouve certes devancée par le Royaume-Uni (1 624 heures), mais proche de l’Allemagne (1 580 heures) et de la Finlande, et surtout devant trois autres des pays que cite François Fillon : la Suède, le Danemark et les Pays-Bas. Ce dernier pays occupant, en raison de la part structurellement très forte du temps partiel… la dernière position avec moins de 1 400 heures.
Quant à la Roumanie, que citait Mélenchon, elle est effectivement loin devant tous les autres pays.
«Il y a des mouvements dans notre pays, il y a des associations, il y a des structures qui se réclament ouvertement du salafisme ou des Frères musulmans […] et bien ces mouvements, ils doivent être dissous sans aucune faiblesse.»
Le candidat du parti Les Républicains n'est pas le seul à appeler le gouvernement à fermer les mosquées salafistes, il est régulièrement rejoint sur ce point par le Front national. Pourtant, comme l'a déjà expliqué Désintox, ce n'est pas si simple de fermer ces mosquées. En raison de l'Etat de droit, tout simplement…
Car le salafisme n'étant pas interdit, il n'est donc pas, en soi, une raison suffisante à la fermeture d'une mosquée.
Comme l'expliquait Désintox début janvier, la loi relative à l'état d'urgence dispose que «Le ministre de l'Intérieur, pour l'ensemble du territoire où est institué l'état d'urgence, et le préfet, dans le département, peuvent ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature, en particulier des lieux de culte au sein desquels sont tenus des propos constituant une provocation à la haine ou à la violence ou une provocation à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes.» Des faits qui ne peuvent être reprochés aux quelque 120 mosquées salafistes identifiées par le renseignement sur le territoire français.
Prouver l'existence d'un trouble à l'ordre public ou même prendre les imams soupçonnés en flagrant délit d'apologie du jihad ou du terrorisme se révèle par ailleurs difficile. Les services de renseignement font donc parfois appel à d'autres motifs pour demander la fermeture des mosquées, comme les manquements aux exigences de sécurité le défaut d'encadrement dans les établissements dispensant un enseignement ou une garde d'enfants. Enfin, la préfecture procède parfois à une expulsion locative en cas d'absence ou d'expiration de bail pour fermer une mosquée salafiste.
Enfin, rappelait Désintox, il existe une dernière raison pour laquelle certaines mosquées radicales peuvent demeurer ouvertes, quand bien même la loi autoriserait à les fermer : les besoins de police et d'investigation peuvent l'exiger… afin de garder un œil sur certains individus ou réseaux.
«Il y a une partie de ces hommes et ces femmes qui fuyaient la guerre en Syrie, bien sûr, mais l'immense majorité de ces réfugiés sont en réalité des hommes et des femmes qui fuient la pauvreté, qui viennent de toutes les régions du monde.»
François Fillon a ainsi taclé Emmanuel Macron et son soutien à Angela Merkel dans l'accueil des réfugiés en Allemagne… pour la bonne raison qu'une immense majorité ne serait pas des réfugiés fuyant la guerre, précisément, mais des migrants économiques. Mais les données d'Eurostat contredisent clairement François Fillon. En 2015, 29% des demandes d'asile de primo-arrivants provenaient de Syriens. Les Afghans représentaient 14% du total et les Irakiens 10%. Plus de la moitié des demandeurs d'asile en Europe venaient donc de pays en guerre.
Emmanuel Macron
«Les peines de moins de deux ans sont systématiquement non appliquées.»
Le candidat d'En marche, qui veut mettre un terme aux aménagements automatiques des courtes peines de prison, reprend quasiment mot pour mot les propos tenus par son porte-parole Christophe Castaner samedi soir dans l'émission On n'est pas couché, sur France 2. Castaner y avait déclaré : «Aujourd'hui, toute peine inférieure à deux ans ne fait l'objet d'aucun passage en prison. C'est automatique, il y a une négociation.»
Sauf que les deux commettent la même intox.
Ce qui est vrai, c'est que la réforme pénale de Rachida Dati de 2009 a systématisé l'aménagement des peines inférieures à deux ans, lesquelles aménagement débouchent effectivement le plus souvent sur des mesures alternatives à la prison ferme (ce qui au passage ne signifie pas que la, peine n'est pas «appliquée», comme le dit Macron, puisqu'une peine de prison ferme aménagée est considérée comme «exécutée»). Mais surtout, la réforme Dati n'implique pas que tous les condamnés à des peines de moins de deux ans évitent les barreaux.
Primo, les condamnés en situation de récidive voient leurs peines aménageables uniquement si celles-ci sont inférieures à 1 an, et pas deux ans. Deuzio – et surtout – nombre de condamnés filent directement en prison après l'audience en cas de mandat de dépôt prononcé par le tribunal, ce qui est fréquent lors des comparutions immédiates. Et ces peines-là ne sont pas aménagées.
Au total, selon les chiffres de l'administration pénitentiaire, au 1er janvier 2016, 43% des 46 600 détenus condamnés purgeaient des peines inférieures ou égales à deux ans. Environ 20 000, donc.
«32 000 personnes ont donné [à En marche, ndlr] le don moyen, c'est 50 euros»
Accusé d'être «le candidat des riches», Emmanuel Macron a tenté de se défendre… en expliquant avoir reçu 32 000 dons de 50 euros en moyenne. Pas de quoi crier au soutien des grands argentiers. Sauf qu'une multiplication basique permet d'aboutir, à partir des chiffres donnés par Macron lors du débat, à la somme récoltée de 1,6 million. Or, En marche revendique d'avoir récolté environ 7,5 millions d'euros auprès de 30 000 particuliers (rappelons, comme l'a fait le candidat que seuls les particuliers sont autorisés à faire un don pour une campagne présidentielle). Ce qui aboutit à des dons de 250 euros en moyenne. Cinq fois plus que ne le dit Macron.
En fait, Emmanuel Macron confond «moyenne» et «médiane». Il l'expliquait d'ailleurs très bien lui-même dans la Croix la semaine dernière. «Selon la loi électorale, nous avons refusé tout don d'entreprise ou de personne morale de droit privé et accepté des dons de personnes physiques entre 1 et 7 500 euros. Un peu plus de 30 000 personnes ont donné, avec un montant médian de 50 euros. Environ 2% des dons dépassent 5 000 euros». Fin décembre, son équipe de campagne affirmait d'ailleurs à Désintox que les dons étaient en moyenne de… 290 euros. Même si seulement 2% des dons dépassent les 5 000 euros, selon le comptage du candidat.
Marine Le Pen
«Al-Nusra, on en disait encore le plus grand bien dans le gouvernement de François Hollande il y a quelques mois».
Le péché en naïveté et/ou irresponsabilité est une accusation récurrente du FN, qui dénonce régulièrement le fait que la France ait armé ou soutenu des rebelles djihadistes lors des conflits en Syrie.
C'est Laurent Fabius que Marine Le Pen cible, sans le nommer, en évoquant cet hommage à Al-Nusra, l'ancienne branche syrienne d'Al-Qaeda. Le FN a coutume de préciser l'accusation, affirmant que l'ex-ministre des Affaires étrangères d'avoir affirmé qu'«Al-Nusra fai(sai)t du bon boulot».
En fait, ces propos ont été tenus lors d'un sommet sur la Syrie à Marrakech en 2012 (et non pas il y a quelques mois)… et pas par Laurent Fabius. C'est un article du Monde, dont une phrase a été mal interprétée, qui est à l'origine de l'intox.
L'article revenait sur la décision des Amis de la Syrie de reconnaître la coalition nationale de l'opposition syrienne. On y lisait : «En revanche, la décision des Etats-Unis de placer Jabhat Al-Nosra, un groupe jihadiste combattant aux côtés des rebelles, sur leur liste des organisations terroristes, a été vivement critiquée par des soutiens de l'opposition. » A la suite de ce passage, Laurent Fabius était cité dans l'article, affirmant que «tous les Arabes étaient vent debout» contre la position américaine, «parce que, sur le terrain, ils font un bon boulot».
Ce n'est donc pas Laurent Fabius qui a affirmé que le Front al-Nusra faisait du bon boulot, il ne faisait que rapporter la position des pays arabes. Immédiatement, ses propos ont été interprétés de travers par des médias classiques, puis récupérés par des sites comme Egalité et Réconciliation, La Gauche m'a tuer. Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen (déjà) l'avaient accusé en décembre dernier d'avoir tenu de tels propos.
Depuis, plusieurs journalistes sont revenus sur l'affaire, clarifiant le propos du ministre des Affaires étrangères. Voici ainsi comment, au cours de ce sommet, Laurent Fabius avait expliqué la position de la France vis-à-vis d'Al-Nusra, lors d'une conférence de presse : «Il y a eu une discussion sur ce sujet, vous avez raison. Parce qu'il y a des groupes divers. Et il y a en particulier un groupe qui a des positions militaires qui sont importantes, mais les Américains ont estimé que ce groupe, compte tenu de ses orientations, devait être mis sur la liste des terroristes. D'autres pays, je pense à un certain nombre de pays arabes ont dit que cela ne leur paraissait pas pertinent. Et le président de la coalition a dit que, bien évidemment, on pouvait avoir des visions différentes sur ce sujet mais que, lorsqu'un groupe menait une action qui était efficace et utile au service des Syriens et contre Bachar Al-Assad, c'était très difficile de le récuser en tant que tel. En ce qui concerne la France, nous allons examiner cette question de manière approfondie parce que c'est une question que l'on ne peut pas éluder». Quelques jours plus tard, le même Fabius affirmait : «Il faut faire extrêmement attention. Des rapports nous indiquent qu'ils ont des liens avec Al-Qaeda […] Que deviennent leurs armes ?»
Difficile de dire que Fabius a dit «le plus grand bien» d'Al-Nusra. Et si l'article du Monde a pu prêter à confusion à sa parution, le fait d'entretenir l'intox, quatre ans plus tard, relève de la volonté de tromperie évidente.