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Libé des écrivains

Dans le rétro Déjà Macron perçait sous Emmanuel

par Thomas Bronnec
publié le 22 mars 2017 à 20h36

«Tout va bien… Le petit commerce en attendant les grandes échéances :)». C'est un SMS qu'Emmanuel Macron m'envoie à l'été 2011, alors que je l'informe de l'avancée d'un film sur le pouvoir de Bercy, dans lequel il doit apparaître (1).

«Les grandes échéances», à l’époque, c’est la présidentielle de 2012. Macron, inspecteur des finances, est alors associé-gérant à la banque Rothschild, mais il travaille déjà pour François Hollande. Son nom ne dit rien au grand public.

Ma première rencontre avec lui se déroule en février 2010. Je m’attends à parler à un austère technocrate et j’ai en face de moi cette personnalité solaire que les Français semblent aujourd’hui prêts à installer à l’Elysée. Y pense-t-il déjà à l’époque ? Je ne lui pose pas la question, et donc il n’y répond pas. En tout cas, il pense à la politique. Depuis longtemps.

En 2008, alors qu'il a terminé la «tournée», cette période de formation des jeunes inspecteurs, se pose la question de son avenir. «J'avais plutôt envie de faire de la politique, me lance-t-il, mais pas sous un gouvernement de droite. J'ai refusé un poste en cabinet, je suis donc implicitement marqué à gauche.»

Il poursuit : «Aujourd'hui, c'est difficile d'être de gauche, parce qu'il y a tout un héritage d'idées qui a été récupéré et manipulé. Et des manipulateurs de symboles très habiles comme Sarkozy arrivent à déposséder la gauche de certains thèmes.» C'est l'époque - lointaine - où Sarkozy se revendique héritier de Jean Jaurès et où il a à ses côtés des ministres de gauche comme Bernard Kouchner ou Jean-Pierre Jouyet.

Un an plus tard, en 2011, je demande à Emmanuel Macron s'il serait prêt à retourner un jour à Bercy. Dans mon esprit, ce serait pour devenir directeur de cabinet du ministre, si la gauche venait à l'emporter l'année suivante. «Je n'exclus pas du tout de revenir dans la sphère publique et administrative, répond-il. L'Etat m'a formé, je sais ce que je lui dois. Les carrières linéaires ne peuvent plus exister dans le monde mouvant qui est le nôtre.» De fait, il reviendra. Mais comme ministre, à l'été 2014. Je ne l'attendais pas là. En tout cas pas si vite. Et je ne suis pas sûr qu'il s'y voyait lui-même.

Quand je me replonge dans nos quelques conversations, entre 2010 et 2012, il ne me semble pas qu’il soit attiré par un cursus honorum politique. Difficile de deviner si son ambition est de s’installer un jour à l’Elysée. Il ne donne pas l’impression d’être un homme dévoré par l’ambition politique. Il a déjà, en revanche, sa vision de la gauche.

«On n'est plus force de propositions depuis la fin des années Mitterrand, confie Macron à l'époque. Il y a eu des réformes, comme les 35 heures, mais s'agit-il de vraies idées de gauche ? On en a pour un petit moment à renouveler cette plate-forme. Et cela ne relève pas de mesures techniques. C'est quasi anthropologique : quels sont les quelques paradigmes sur lesquels on a envie de travailler ?»

La dernière fois que je le vois, c’est en mai 2013. Il est depuis un an, comme secrétaire général adjoint à l’Elysée, un des artisans de la politique économique de Hollande. Dans sa bibliothèque, l’éclectisme des ouvrages peut faire sourire : à côté d’un manuel de fiscalité des fusions-acquisitions trône le programme du Front de gauche. Travaille-t-il déjà à dépasser les clivages ? Lui seul le sait.

(1) Une pieuvre nommée Bercy, Thomas Bronnec, Jean Crépu, Laurent Fargues, Ladybirds Films, 2012.