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Désintox

Sortie de l'euro : les entreprises verraient-elles leur dette exploser ?

Le vice-président du FN, Florian Philippot, et le directeur éditorial du «Monde», Arnaud Leparmentier, ont croisé le fer dimanche sur la question du devenir de la dette privée en cas de sortie de la monnaie unique. Désintox arbitre.
Arnaud Leparmentier et Florian Philippot, dimanche. (Capture d'écran FranceInfo)
publié le 22 mars 2017 à 13h16

INTOX. La sortie de l'euro fait encore peur (72% des Français y sont opposés ou totalement opposés, selon un sondage Elabe pour les Echos), et constitue un des obstacles à la progression du Front national. Et la question du devenir de la dette, en cas de retour à une monnaie nationale et de dévaluation, est un des éléments fréquemment brandis par les opposants à une sortie de l'euro.

Lors d'un débat sur France Inter, dimanche, face au vice-président du parti d'extrême droite, Florian Philippot, (à 20min30), Arnaud Leparmentier, directeur éditorial du Monde a ainsi pointé les risques d'un renchérissement de la dette des entreprises.

Arnaud Leparmentier : «Est-ce que vous [le FN, s'il accédait au pouvoir et faisait sortir la France de l'euro, ndlr] remboursez les dettes de la France ou, heu… qui sont émises par les entreprises françaises, émises par les banques françaises, qui sont libellées en euros selon les contrats signés ?»

Florian Philippot : «Oui, parce qu'ils sont libellés en contrat de droit national donc exactement de la même manière que lorsque nous sommes passés des monnaies nationales à l'euro, nous rembourserons dans la nouvelle monnaie. C'est l'OFCE qui a fait cette étude, 99,5% de notre dette est libellée en droit national donc elle sera remboursée dans la nouvelle monnaie.»

DÉSINTOX. La dette des entreprises françaises va-t-elle exploser en cas de sortie de l'euro, comme le suggère Leparmentier, ou demeurer en l'état comme le rétorque Philippot ? Aucun des deux n'a vraiment raison.

Florian Philippot argumente en citant une note de l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), que Marine Le Pen évoquait aussi dans un entretien publié par les Echos.

L'OFCE, organisme indépendant mais généralement situé à gauche, a en effet publié en octobre un article intitulé «Balance Sheets After the EMU : an Assessment of the Redenomination Risk» («les bilans après l'union monétaire européenne : une estimation du risque lié à la redénomination»), dans lequel les économistes Cédric Durand et Sébastien Villemot étudient les effets qu'aurait une sortie de l'euro sur les bilans comptables (de l'Etat, des entreprises financières, des entreprises non financières et des ménages). Les deux chercheurs concluent que l'exposition de la France à une sortie de l'euro est faible, en raison du fait que l'écrasante majorité de la dette a été contractée sous un régime de droit national.

Les acteurs économiques peuvent en effet contracter des dettes auprès d'entités étrangères via des contrats passés (ou «libellés») en droit national ou en droit étranger. Or, Cédric Durand et Sébastien Villemot partent du principe, qui ne fait pas consensus, qu'un contrat passé en droit national pourrait être redénominé dans une nouvelle monnaie via un processus législatif :

«Si un contrat financier est régi par le droit interne, il est très probable que le gouvernement du pays sortant puisse le redénominer dans la nouvelle monnaie, en faisant simplement voter une loi au Parlement», expliquent ainsi Durand et Villemot dans une note de blog. Dans ce cas, la dette serait dévaluée en même temps que la monnaie dans laquelle le débiteur doit rembourser. Ce qui serait le cas pour la dette publique française, effectivement libellée en droit français dans sa quasi-intégralité (environ 98% selon les auteurs de l'étude). C'est ce chiffre que cite Florian Philippot, en le gonflant un peu à 99,5%… et en se trompant.

Car voilà : que 98% de la dette publique soit libellée en droit français ne signifie pas qu'il en va de même pour la dette privée des entreprises, qui sont l'objet de la question à laquelle répond Philippot. Selon l'OFCE, la dette des entreprises non financières et des ménages est par exemple sous régime de droit français à hauteur de 82% (soit la part des 3 997 milliards d'euros de dette privée en 2015 à laquelle on soustrait les 719 milliards sous droit étranger identifiés par l'OFCE). Ce qui implique donc que presque 20% de la dette, de droit international, serait «exposée». Une part jugée supérieure par l'institut Montaigne, qui estime que «40% de la dette des entreprises est contractée en droit anglais ou américain».

Joint par Désintox, l'un des auteurs de l'étude de l'OFCE, Sébastien Villemot, confirme la méprise de Florian Philippot. «Les "99,5%", qui sont d'ailleurs un peu exagérés, ne concernent pas la dette privée», répète l'économiste avant de préciser que toutefois, par symétrie, l'alourdissement des dettes pourrait être en partie compensé, pour les grandes entreprises, par une réévaluation de leurs actifs étrangers (des capitaux en dollars qui s'apprécieraient par rapport au cours de la nouvelle monnaie).

L'étude de l'OFCE juge globalement nul le risque d'une sortie de l'euro pour les finances publiques françaises et les entreprises financières (principalement les banques) françaises, et assez modéré celui qui porte sur les entreprises non financières et les ménages (voir tableau ci-dessous), grâce à cette compensation entre le passif et les actifs. «Il n'existe pas de risque de bilan pour le secteur privé pris dans son ensemble [mais] cela ne signifie pas qu'il n'y ait pas de problème parce qu'au niveau microéconomique les détenteurs d'actifs pertinents peuvent ne pas être les mêmes que ceux des passifs pertinents», notent ainsi les auteurs. Pour de petites entreprises ne disposant pas d'actifs étrangers, «incontestablement, il y aurait une difficulté. Ce serait loin d'être indolore», conclut Sébastien Villemot.

Verdict : à supposer que la redénomination monétaire soit juridiquement envisageable, il est excessif, à la lecture de l’étude de l’OFCE, de brandir un risque majeur d’une sortie de l’euro concernant la dette des entreprises. Mais il est aussi exagéré, comme l’affirme Philippot, d’affirmer que ce risque est nul.