Pendant la présidentielle, Libération va sonder, chaque jour de la semaine, des lieux différents de la «France invisible».
Est-ce parce que j'ai récemment écrit un roman sur une tribu discrète d'Arizona qu'on me demande des nouvelles de la France invisible ? Ou simplement parce que j'habite Besançon ? Sûrement un peu les deux. Disons que la Franche-Comté, c'est un peu le «Far East» français, l'Est par le milieu, celui qu'on situe mal… Un territoire lointain où l'on fait du comté et des horloges, mais à part ça… «Vous avez remarqué ? me demande d'ailleurs Michel, bénévole pour la collecte de sang organisée place de la mairie. On ne parle jamais de nous à la météo ! L'Alsace oui, Dijon d'accord… mais Besançon ?» Ou alors il faut des records de froid dans le Haut-Doubs, des -30 °C dans la vallée de Mouthe, petite Sibérie française. Un territoire d'Indiens, je vous dis, où l'on ne s'occuperait que du temps qu'il fait et du temps qui passe.
Evidemment, c'est faux. Ici comme ailleurs, on est préoccupé par la tournure des choses politiques. «Les candidats à la présidentielle ? s'exclame cette octogénaire à qui je demande ce qu'elle en pense. Tous des hypocrites ! Toutes ces affaires me scandalisent. Je suis inquiète pour mes petits-enfants… J'irai voter parce que c'est important, mais je ne sais toujours pas pour qui.» Silencieuse jusque-là, sa voisine du même âge, menton pointé vers l'avant, déclare quant à elle qu'elle votera pour Marine Le Pen. «Ah non ! Pas ça quand même !» s'exclame la première. Quand je demande pourquoi Marine Le Pen, la dame s'embrouille un peu : «Eh bien, parce qu'elle ne passera jamais ! Et puis je dis ça, mais en fait, c'est pour les écologistes que je vais voter…»
Il n'y en a pas parmi les candidats. C'est dommage, parce que, à Besançon, on sait que c'est important, la nature, l'écologie. La ville est entourée d'eau et de collines à la vie sauvage préservée. «On n'est pas riches, confie ainsi Robert, éducateur spécialisé à la retraite qui nourrit les ragondins au parc Micaud, mais on a la nature tout près.» Quand on lui fait remarquer que les ragondins sont des animaux nuisibles, Robert s'emporte : «C'est les politiques, oui, les nuisibles !» Et se souvenant avec émotion de «Bouloute», ragondine exécutée fin février par les services d'hygiène de la ville, devant lui un dimanche après-midi, il propose qu'on mette ici en rang tous les vrais nuisibles du pays…
Un peu plus mesurées dans leur propos, les femmes interrogées ici et là (puisqu'on veut connaître la France invisible, autant interroger des femmes et des retraités…) sont tout aussi fermes dans leur condamnation. L'une n'a jamais voté et votera encore moins ce coup-ci. Pas parce qu'elle s'en fout, mais par conviction politique. Cette autre, qui tient un café au cœur des halles, déclare ceci : «Ça me tord le bide tant je sais que le droit de vote pour les femmes est un acquis important et fragile, mais il est hors de question que je vote par défaut. Et pour le moment, aucun, mais aucun des candidats ne me convainc. Il faudrait pouvoir voter blanc. Et faire invalider cette valse d'incompétents.» Ainsi, à Besançon, en bons Indiens, on aimerait faire danser autrement les politiques et - vert, blanc - redonner des couleurs au nuancier électoral. Et pourquoi pas, aussi, frapper du pied contre la terre, afin de réveiller les dieux endormis ?