Chaque vendredi, Thierry Mandon, secrétaire d’Etat à l’Enseignement supérieur, chronique la campagne électorale.
Peut-on encore débattre ? Jamais aucune campagne présidentielle n’aura conduit à se poser aussi directement la question. Il y a d’abord la glu des affaires qui obscurcit le débat public depuis la fin des primaires : emplois familiaux à la mode Palais-Bourbon, cadeaux vestimentaires entre amis au prix d’une voiture de série, détournement de fonds européens pour financer un parti ; chaque semaine apporte son lot de sordide jusqu’à ouvrir de nouveaux horizons à la vague du soupçon. Etre élu c’est forcément être pourri.
Oubliées, les actions de moralisation de ce quinquennat : publication des patrimoines, déclaration d’intérêts, création d’une haute autorité de la transparence, non-cumul des mandats. L’odieux du moment dispense de rendre justice à ce bilan. Pas plus de débats quand s’ouvre enfin une petite fenêtre pour que l’on parle d’autre chose. Ce fut ainsi le cas l’autre soir lors du premier débat télévisé. Suivie par plus de 10 millions de téléspectateurs, ce qui témoigne de l’appétit des Français pour la politique avec un P majuscule, l’émission a donné lieu à de nombreux échanges, mais cela n’en fait pas un débat pour autant.
La faute à qui ? Au choix des compétiteurs de rester dans leur couloir, ce qui, pour un débat de premier tour, est logique. Mais aussi aux maux de l'état du débat actuel : des aberrations affirmées comme des quasi-vérités (le plan de relance de 100 millions de M. Mélenchon, la miraculeuse sortie de l'euro de Mme Le Pen), des intentions politiques soigneusement dissimulées (le fameux plan B de M. Mélenchon qui est en fait son plan A), le flou persistant de la quasi-totalité des impétrants sur les moyens concrets de mise en œuvre de leurs radieuses intentions. Pas de débat possible sans exigence d'un peu de vérité.
S’il advenait que malgré tout, l’agora reprenne pied, elle en serait vite dissuadée par la convocation à voter utile. Au premier tour on choisit, au second on élimine : temps révolu. Désormais on élimine, puis on élimine. Le vote utile, c’est la pensée unique appliquée au choix démocratique. Nos candidats révoltés en tous genres n’ont finalement qu’une peur : celle de la remise en cause des certitudes auxquelles ils s’accrochent. Avenir du travail ? Revenu d’existence ? Taxe sur les robots ? Les appels à ouvrir de nouveaux espaces restent vains. Dans cette campagne des non-débats, c’est un ordre froid qui chemine. Celui d’une réforme malgré la société, puisqu’on lui refuse les outils pour comprendre et arbitrer. Cela annonce un surcroît d’autorité verticale. Donc l’impasse de la machine à réformer.