Pendant la présidentielle, Libé sonde chaque jour des lieux de la «France invisible». Le vendredi, une brasserie de campagne, en Isère.
Elisabeth, 73 ans, est sur son trente-et-un. Elle est venue au Crocus, près de chez elle, pour déjeuner avec son mari, sa fille et son petit-fils. Pas besoin d’insister pour recueillir son témoignage, l’ancienne patronne de relais routier se lance sans hésiter, prenant l’ascendant sur la tablée familiale. Elle s’exprime sans jamais se départir d’un sourire digne et poli, mais derrière ses fines lunettes rouges à la mode, son regard brille d’une colère intense et froide.
«Je suis dégoûtée. Je suis plutôt à droite, j’ai voté Sarkozy avec envie, mais cette année, j’ai beau chercher, avec tous les scandales… Je ne trouve pas.
«Je pensais que Fillon était un homme digne de confiance et ce qui m’a choquée, plus que ce qu’il a fait, c’est sa réaction. "C’est normal", dit-il. Cela signifie que tous les autres le font aussi. La démission de Bruno Le Roux, c’est peut-être un peu plus digne, mais cela m’a confortée : je suis catégorique, toute la classe politique est… pourrie. Je n’aime pas ce mot, mais je n’en trouve pas d’autre. J’avais une confiance déjà prudente envers les hommes politiques, mais là, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
«J’irai voter, oui, car je l’ai toujours fait depuis mes 21 ans - c’était l’âge de la majorité de mon temps - sur l’exemple de ma mère et de ma grand-mère, qui a toujours tenu à user de ce droit de vote accordé si tard aux femmes. Seulement là, aucun des candidats, qu’ils soient à droite comme à gauche, ne m’inspire. Aucun ! Je n’ai pas été fichue de regarder le débat lundi, j’étais trop énervée. J’ai écouté le résumé aux infos, c’était une cour de récréation : "C’est pas moi, c’est toi." Rien à en retenir.
«Qu’a-t-on fait de la République ? On a fait la Révolution et là, on arrive au bout. Je ne donnerai plus ma voix, ça ne servira plus à rien tant qu’il y aura des gens pour manger sur notre dos et s’en mettre plein les poches. Je vais voter blanc. Aux deux tours, oui, évidemment. C’est ma manière de leur dire : "Vous ne serez pas mon président."»