En regardant les bancs de l’Assemblée nationale sur Public-Sénat, il nous arrive de nous interroger face aux visages amers, sourcils froncés, bouche crispée, commissures labiales qui descendent, surplus de peau qui tombent sur les cils. A quel moment les traits sont partis dans cette direction plutôt qu’une autre ? Quelles déceptions fondatrices, incompréhensions séminales, désaccords premiers ont conduit les lignes faciales à descendre, grimper, se tordre et ainsi se figer, pareilles à celles des statues froides?
A fixer la construction de leurs visages, on apprend sans doute beaucoup des hommes en politique. Encore plus quand on s’arrête sur ce qui leur échappe.
Il y a quelque chose d'apaisant à voir, soudain, les traits figés des élus qui s'ouvrent et qui débordent. Cela arrive inopinément, alors qu'on s'y attend le moins. C'est le trouble dans le regard de Nicolas Sarkozy, sonné, perdant ses stratagèmes au sortir du G8. C'est l'espèce de zézaiement d'Emmanuel Macron, cette difficulté à trouver la manière d'émettre correctement un son, trouble habituel des enfants. C'est aussi la danse des sourcils de Benoît Hamon, son léger cheveu sur la langue, qui accompagne les moments où il cherche à se préciser. C'est souvent un mouvement infime : un voile de mélancolie qui passe dans les yeux de Jean-Luc Mélenchon, comme s'il avait déjà vécu et qu'il se souvenait, par bribes, d'une vie antérieure où, peut-être, il n'avait aucun rôle à jouer. C'est le rire de Marine Le Pen évidemment, l'apparition constante de ses petites dents et la langue qu'elle passe sur sa bouche avec une nonchalance désarmante et alarmante toute à la fois. C'est l'impromptue colère de Manuel Valls, son menton qui s'avance et sa voix qui devient rocailleuse, comme s'il cachait sous sa peau de Français fermé un Catalan en colère. C'est le léger rictus qui transperce parfois l'expression sérieuse de François Fillon, également. Il y avait le sourire de Ségolène Royal («un sourire qui n'a jamais ri et qui ne rira jamais», écrivait Philippe Murray), il y a désormais celui de François Fillon : un sourire qui ne sourira jamais, une expression d'ironie balzacienne asymétrique et qui, étrangement, monte à droite ; un sourire apparemment dénué de tout affect, comme si quelqu'un avait contracté ses muscles avec des pinces, pour lui garantir une espèce de hauteur de champ. Une assurance tous risques contre l'empathie.
C’est à ces détails infimes qu’on s’en rend compte : même les hommes politiques ont été un jour des enfants. Le visage qu’ils exhibent aujourd’hui, il s’est construit par couches successives sur une base première qui revient parfois, sorte de flash subliminal, quand le plâtre des visages professionnels se fend. Et parfois, derrière les traits définitifs et lissés des adultes qui dirigent, nous croyons reconnaître le faciès du garçon ou de la fille qu’ils étaient à 8 ans. L’air étourdi, timide, consciencieux, pervers, colérique ou frondeur qu’immortalisa un jour une photo de classe et qui les suit aujourd’hui, comme un double discret et pourtant insistant.