«Nous avons, ces dernières semaines, affronté des vents contraires, et même une forte houle. […] C'est peut-être un trait de caractère assez breton, mais je sais garder la nuque raide face à l'épreuve. Je tiens bon dans la tempête.» Près d'une semaine après avoir prononcé ces phrases en introduction de son discours de Bercy, Benoît Hamon est toujours pris dans le gros temps présidentiel. Les «vents contraires» continuent de souffler sur sa campagne : défections socialistes quotidiennes, débat télévisé à l'avantage d'Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon… A un mois du premier tour, Hamon est dans le dur. Le ballon d'oxygène que lui avait apporté sa victoire à la primaire de gauche est consommé.
Pour la première fois depuis le 29 janvier, le socialiste doit encaisser une série de sondages qui le placent sous son concurrent de La France insoumise (lire ci-contre). «Il est en train de se faire siphonner par Jean-Luc, alerte un haut responsable socialiste. Il faut mettre les bouchées doubles !» Hamon avait pourtant choisi de remettre du carburant dans une campagne qui patine depuis plusieurs semaines. Il avait décidé, la semaine dernière, d'enquiller trois moments forts : la présentation d'un projet de 198 propositions sous la forme d'un petit livret rouge et vert diffusé à 900 000 exemplaires, un grand discours - réussi - devant 20 000 personnes dans un Bercy enthousiaste avant le débat à cinq sur TF1. Mais l'absence d'effets dans les enquêtes d'opinion est venue doucher les espoirs du camp Hamon. «La remontada ne fonctionne pas… Si l'inversion des courbes devient durable, ça va devenir très dur», s'alarme un de ses soutiens.
Au lendemain de Bercy pourtant, l'euphorie régnait encore au QG. «Benoît a su s'inscrire dans un récit», souligne l'un de ses proches, l'eurodéputé Guillaume Balas. «Il a réussi à se situer dans l'histoire de la gauche et de la France, abonde la sénatrice de Paris Marie-Noëlle Lienemann. Les gens sont sortis en étant fiers d'avoir un candidat qui assume.» Mais déjà, certains dirigeants socialistes, pourtant touchés par le lyrisme du candidat, doutaient d'un effet politique immédiat. «C'était un beau discours… Mais pour nous-mêmes, analyse un député. Ça ne parle pas aux gens qui ont faim.» Un membre de l'équipe de campagne regrette lui aussi un «manque» : «La partie économique et sociale.» «Benoît a pris l'intégralité du programme de Montebourg mais il ne l'a pas encore digéré», pointe-t-il.
Sourires lundi dans l'équipe, mais douche froide mardi. Le candidat doit d'abord encaisser le décès de Henri Emmanuelli, dont il était très proche et un des héritiers politiques. Puis, alors qu'il est à Bruxelles en quête de soutiens européens pour son «traité de démocratisation» de la zone euro, le premier sondage donnant Mélenchon devant est publié. La faute au débat de la veille ? «Non… Jean-Luc, c'est comme quand Michel Piccoli ou Jeanne Moreau montent sur scène. Tu ne peux rien faire : y a quarante ans de métier derrière», plaisante un soutien du socialiste. Hamon n'est pas «disqualifié» par ce débat, estime ses proches. «Benoît a été techniquement parfait, mais il n'est pas dans l'histoire commencée la veille à Bercy, observe l'un d'eux. On a eu l'impression de revoir le candidat à la primaire.»
Militants galvanisés
Sans aller jusqu'à parler d'erreur, le candidat en convient : il a grillé une bonne cartouche. «J'ai essayé de me concentrer sur ce que je voulais dire. Mais je joue un peu trop le jeu des questions qu'on me pose…» a-t-il expliqué mardi en petit comité. «Surtout, on n'avait pas anticipé le fait que l'intensité de Bercy allait autant le pénaliser dans l'influx nerveux pour le débat. Les autres étaient frais. Cette fatigue, il l'a payée cher», justifie un proche.
Dans l'entourage du candidat, on se rassure comme on peut. «Le discours de Bercy, c'est plus important que le débat : c'est structurant, ça fait des petits derrière, ça infuse», défend Mathieu Hanotin, codirecteur de campagne qui mise désormais sur la «mobilisation de terrain» de militants galvanisés par le candidat dans les meetings. «On va les enchaîner, parce que c'est là qu'il est le meilleur», insiste-t-il. Hamon veut justement «parier» sur l'«énergie incroyable», dit-il, qu'il ressent chez ses partisans qui remplissent ses salles. S'il ne montre aucun signe de nervosité en public, son entourage convient que le rythme soutenu qui s'impose à lui depuis la fin de l'été, date de son entrée en campagne, pèse lourd dans la dernière ligne droite. Conseil lui a notamment été donné d'alléger ses déplacements pour plus d'efficacité. Un intime qui se fait pourtant du souci assure qu'«il est incroyablement zen». Hamon le répète aux siens : «On ne change plus rien. J'ai déjà mon plan.» Pas question d'un quelconque virage. «Maintenant, il faut y aller sur le fond», martèle-t-il.
Le député des Yvelines va donc multiplier des déplacements thématiques couplés à de grands meetings (Lille et Montpellier la semaine prochaine) : «Il faut faire un Bercy toutes les semaines : que ce soit écrit, cadré, parler de la France, pas refaire la primaire», pousse un parlementaire. Ce vendredi, il va ainsi parler handicap en Eure-et-Loir. Jeudi, il a présenté ses propositions sur la défense dans le Bas-Rhin. Problème : l'officialisation du ralliement de Jean-Yves Le Drian à Macron le même jour a rendu inaudible ses propositions : Europe de la Défense, hausse du budget à 2 % du PIB en 2022, opposition à un service militaire obligatoire «inefficace» et «coûteux» comme le propose le candidat En marche, garantie de la dissuasion nucléaire…
Mur médiatique
Ces ralliements à Macron quasi quotidiens «agissent sous la forme d'un poison», s'agace son entourage. «Ceux qui disaient que Benoît ne défendait pas le quinquennat Hollande s'en vont chez celui qui veut remettre en cause le compte pénibilité, les RTT, les rythmes scolaires», riposte un membre de l'équipe Hamon. Pour percer ce mur médiatique, plusieurs dirigeants l'exhortent à «arrêter de subir l'actualité». «Il faut créer des événements, des prises de position avec des messages forts», demande Lienemann. Hamon a ainsi en tête de pilonner Mélenchon sur son «influence russe» et de continuer à accrocher Macron. «Il se trompe de cible», raille-t-on chez le candidat En marche. «On ne l'aura pas sur la transparence des donateurs. Ça ne prend pas, dit-on dans le camp Hamon. Il faut porter la critique sur son programme économique et social.» Tout en revenant, au passage, aux fondamentaux socialistes : «On va mettre le paquet sur les questions de pouvoir d'achat», avance le député de la Loire Régis Juanico, ami de longue date de Hamon.
Ce sera d'ailleurs l'un des fils rouges du meeting de Lille, mercredi, en compagnie de Martine Aubry. «Il est le candidat de la feuille de paie, il faut le marteler», insiste Balas. Problème, là aussi : la difficulté à expliquer la première étape de son revenu universel d'existence plombe sa campagne. «On porte ce sujet avec difficulté, rapporte un député. Même quand on l'explique, les gens n'en veulent pas. Ils ne comprennent pas.» Pour y remédier, les Jeunes avec Hamon travaillent sur un simulateur en ligne qui, explique un conseiller, permettra «à chacun d'entrer sa situation personnelle et de voir en quoi le revenu universel améliorera sa situation». Au QG, «on serre les fesses et on reste concentré, fait valoir une petite main. Il faut forcément remotiver certains mecs, mais on sait pourquoi on est là. Il reste encore du temps.» Un mois.
Photo Diego Ravier. Hans Lucas