Menu
Libération
Analyse

François Fillon et le refrain du cabinet noir

Fillon, candidat de la droite en 2017dossier
Jeudi, dans «l’Emission politique» de France 2, le candidat LR a accusé François Hollande d’avoir organisé les fuites sur ses ennuis judiciaires. Basées sur les ambiguïtés d’un livre qui vient de paraître, ces allégations ne reposent sur aucune preuve concrète.
François Fillon, invité de l'Emission Politique de France 2, jeudi. (Photo Albert Facelly)
publié le 24 mars 2017 à 20h36

François Fillon a failli casser Internet. Jeudi soir, il est 21 h 24 quand le candidat mis en examen pour «détournement de fonds publics» et «recel d'abus de biens sociaux» ouvre les hostilités dans l'Emission politique de France 2. Evoquant l'existence d'un «cabinet noir» à l'Elysée, Fillon accuse François Hollande d'organiser les fuites dans la presse sur ses affaires judiciaires. «C'est un scandale d'Etat», assène-t-il l'air grave, avant de réclamer l'ouverture d'une enquête.

A la base de ses nouvelles accusations, des extraits du livre Bienvenue Place Beauvau. Police : les secrets inavouables d'un quinquennat, écrit par Didier Hassoux, Christophe Labbé et Olivia Recasens, dont l'hebdo ultradroitier Valeurs actuelles a publié les bonnes feuilles le matin même. «Si ce qui est écrit dans ce livre est vrai, je pense que dans l'histoire récente de la Ve République, un chef d'Etat n'est jamais allé aussi loin dans l'illégalité», conclut le candidat, qui ira jusqu'à se comparer à Pierre Bérégovoy, l'ancien Premier ministre socialiste retrouvé suicidé à la suite d'une violente campagne de presse.

Sur Twitter et Google, les messages et recherches sur le sujet atteignent rapidement des sommets. «Du jamais-vu», confie Karim Rissouli, un des journalistes de l'émission. Une heure plus tard, un des auteurs du livre, Didier Hassoux, appuie sur la pédale de frein à l'antenne de France Info. Accusant Fillon d'avoir voulu faire un «coup», le journaliste du Canard enchaîné dénonce une instrumentalisation de son livre par un «homme aux abois». Et de citer un extrait de l'ouvrage à propos d'un supposé cabinet noir à l'Elysée. «Il n'est pas possible d'en apporter la preuve formelle. Comme il n'est pas possible de prouver le contraire.» Pas plus que celle de Dieu, l'existence d'un cabinet noir ne serait donc démontrable rationnellement.

Lecture très orientée

Pourtant, à y regarder de plus près, et même si Fillon fait une lecture très orientée du livre, Hassoux, Recasens et Labbé suggèrent bien l'existence d'une sorte de «shadow cabinet» qui ne dirait pas son nom. Dès le premier chapitre, il est fait explicitement mention d'une «structure clandestine» aux ramifications complexes. «Pour orchestrer les affaires judiciaires, il existe une mécanique aussi efficace que redoutable, écrivent-ils. Hollande a su en tirer profit.» Principal outil de cette stratégie, Tracfin, le service de renseignement de Bercy, piloté durant tout le quinquennat par Michel Sapin, «ami de quarante ans du président», précisent les auteurs, adeptes des sous-entendus. «La plupart des affaires judiciaires qui ont empoisonné Sarko et les siens partent de là», précisent-ils. De cet immeuble ultra-sécurisé où s'activent 120 fonctionnaires «habilités à fourrer leur nez dans les comptes en banque de n'importe qui».

Dès lors, «il suffit que Tracfin pêche au bon endroit, remonte dans ses filets une information et la transmette officiellement à la justice». Chaque semaine, poursuivent les auteurs, le patron de Tracfin prend le chemin de l'Elysée pour assister, avec les directeurs des six autres services secrets, à la réunion organisée par le coordinateur national du renseignement. Mis en cause, Sapin a démenti avoir reçu ou transmis la moindre information de Tracfin.

Autre pilier du dispositif, selon les journalistes : la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), véritable tour de contrôle pilotée par Robert Gelli, un «autre ami du Président». Ce dernier, ancien conseiller de Jospin passé par le parquet de Nanterre, suivrait en temps réel l'avancement de tous les dossiers politico-financiers. «Une fois la machine lancée, le dossier emprunte un alambic judiciaire, sous le regard d'un autre ami du Président, Robert Gelli, qui a partagé la même chambrée que François Hollande et Michel Sapin lors de leur service militaire.»

«Poupées russes»

Certes, les auteurs rappellent que l'actuel chef de l'Etat a mis fin aux «instructions individuelles» adressées aux magistrats, mais laissent présumer des faits tout aussi graves dans la gestion de certains dossiers sensibles par la chancellerie. «Chaque fois, ce sont les mêmes juges d'instruction qui sont désignés pour les affaires qui intéressent le Château. Ils sont moins de cinq, dont on retrouve le nom dans tous les dossiers qui concernent Sarkozy. Des habitués de la méthode des poupées russes.» Puis, un peu plus loin : «Ces magistrats qui additionnent les affaires sur le clan Sarko sont alimentés et épaulés par une poignée d'officiers de Police judiciaire, la plupart en poste à l'Office central de lutte contre les infractions financières et fiscales, qui fut un temps piloté par Bernard Petit, un proche de Valls quand il était à l'Intérieur.» «C'est une méthode à l'efficacité éprouvée sous Chirac», concluent les auteurs. Là encore, l'accusation est grave mais la démonstration manque de preuves tangibles. Et rend son instrumentalisation par Fillon encore plus acrobatique.

Interrogé, Hollande a cependant tenu à réagir aux «allégations mensongères» du candidat de la droite. «Ma position, ça a toujours été l'indépendance de la justice, le respect de la présomption d'innocence et ne jamais interférer», a rappelé le Président. Avant d'ajouter, narquois : «Je crois que c'est très différent de mes prédécesseurs.» Tiré à 30 000 exemplaires, Bienvenue Place Beauvau est déjà en rupture de stock.