Pendant la présidentielle, Libération sonde, chaque jour de la semaine, des lieux de la «France invisible». Ce lundi, une maison de retraite à Montpellier (Hérault).
Comment «les vieux» votent-ils ? La question peut paraître saugrenue, elle mérite pourtant d’être posée : ici, à la résidence des Glycines, chacun sait déjà pour qui il veut voter. Mais beaucoup ignorent encore comment ils parviendront jusqu’à l’urne. Tous sont physiquement dépendants, et donc incapables de se rendre seuls jusqu’à un bureau de vote.
Parmi eux, Mireille, 93 ans, originaire de la région parisienne. Elle votait là-bas et se demande, un brin paniquée, ce qu'elle doit faire pour voter ici. «Je vais préparer les papiers pour qu'une voisine vote pour moi par procuration. Il faut que je fasse une photocopie de ma carte d'électeur et de ma carte d'identité, et aussi que j'ai un certificat du médecin disant que je ne peux pas me déplacer. Le temps passe, il ne reste plus qu'un mois, il faut que je m'en occupe vite…» Josette, 82 ans, elle aussi clouée dans un fauteuil roulant, est dans la même situation. «Vous dites qu'on va peut-être nous envoyer un gendarme ici pour faire les procurations, lance-t-elle à Mireille. Vous lui direz de faire aussi un saut chez moi ?» Marie-Rose, 97 ans, les écoute en hochant la tête : «Vous vous rendez compte de ce qu'il nous faut faire ! Moi aucun de mes fils ne peut m'emmener voter. Je leur ai demandé, mais ils disent que la date tombe mal.»
Le neveu de Maurice a lui aussi fait savoir à son oncle que la date «tombait mal». Du coup, Maurice, 85 ans, n'est pas certain de pouvoir participer au scrutin : «Vous savez, quand on est en fauteuil, pour se déplacer, c'est toute une histoire.» Pour Marie, 86 ans, la situation n'est guère plus aisée : «J'ai égaré certains papiers lors de mon déménagement, et je n'ai plus ma carte d'électeur… Tout est compliqué quand on est handicapé.»
Cette conversation réveille des inquiétudes chez tous les pensionnaires, à part Fernande, qui sera, le jour des élections, prise en charge par sa fille. «Le flic qui va venir ici, en fait, à quoi il sert ?» demande Josette. «Et il faut avoir quoi, comme papiers ? s'interroge Bernard, 79 ans. Ma carte d'électeur, je ne suis pas sûr de la retrouver… Et ma carte d'identité, je crois qu'elle est périmée depuis longtemps, j'ai l'air d'un étudiant sur la photo…» Mais la doyenne finit par reprendre les choses en mains : Marie-Rose a décidé qu'elle ne laisserait pas passer son tour. «Si j'insiste, on viendra me chercher. Finalement, je demanderai à mon petit-fils. Et oui, j'irai voter !»