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Libération
Frexit

«Asselineau va tous les mettre KO»

Plusieurs milliers de militants se sont réunis samedi soir à Paris pour fêter les dix ans de l’Union populaire républicaine, dont le fondateur est candidat à la présidentielle.
Francois Asselineau à Paris, le 25 mars 2017. (Photo Gabriel Bouys. AFP)
publié le 27 mars 2017 à 17h20
(mis à jour le 27 mars 2017 à 17h57)

Une longue queue s’est formée devant l’entrée du Paris Event Center de la Villette. Dans cet espace vieillot, François Asselineau, candidat surprise de la présidentielle, tenait meeting samedi. On y a vu des affiches «Frexit», d’autres «Europe dictature», et des types avec des drapeaux tricolores attachés au cou style superhéros patriotes. Des militants les accueillent avec des petits rubans bleu blanc rouge à accrocher au veston. Un homme en a un sac plein, il n’est pas le seul. Des cernes sous les yeux mais content, il s’amuse d’avoir confectionné lesdits goodies (gratuits) jusqu’à tard dans la nuit. «J’en ai fabriqué 5 000» confie-t-il.

L'organisation assure que plusieurs milliers de personnes se sont inscrites pour participer à l’événement, organisé aussi pour les dix ans de l’UPR, le parti du candidat Asselineau qui affiche 20 000 adhérents. Sur place, le grand hangar réservé pour l’occasion est largement rempli.

Champagne

Vers 18 heures, bien avant le discours d'Asselineau, la salle est archi pleine, et un membre du service de sûreté posté à l'accueil nous assure compteur de manif à la main qu'il a dénombré «à peu près 4 000» personnes. Devant l'entrée, un foodtruck et un vendeur de boissons : champagne «Asselineau 2017» et jus de pomme pétillant «UPR». Un gars chante, encouragé par ses comparses : «Asselineau il est trop beau, Asselineau il est trop chaud, Asselineau va tous les mettre KO.»

Venue avec un groupe de Belges, une militante bruxelloise nous dit qu'elle a fait le voyage dans l'espoir (qu'elle décrit comme vain) qu'un Frexit entraînerait la chute de l'Union européenne. Deux Suisses sirotent une coupe : «on fête Assselineau». «Ça serait bien que la France devienne la Suisse», dit l'un d'eux, «pour le bien du monde, que la France redevienne une démocratie». En quoi la Suisse serait-elle un exemple ? «On est le seul pays d'Europe en paix, on a chez nous les référendums d'initiative populaire, on a 17% d'étrangers et on n'adapte pas nos lois pour eux. On va pas supprimer les crèches pour les musulmans. Chez nous ils savent qu'on fête Noël.»

Dans la salle, ça parle collage d'affiches, un classique du mouvement, on applaudit ceux qui passent leurs nuits sur le terrain, on siffle les mélenchonistes qui, à les croire, ne jouent pas le jeu et arrachent les photos d'Asselineau tant qu'ils peuvent. On discute avec Raphaël*, psychiatre à lunettes de 39 ans. Sympa, propre sur lui. Il a un petit coquard sous l'œil droit. L'homme dit qu'il s'est fait «casser la gueule» avec d'autres «colleurs», quelques jours plus tôt, au métro Bibliothèque-François-Mitterrand. Des «loulous», dit-il, qui les auraient traités de «racistes» en les tapant comme des sourds.

L'ombre de la CIA

Raphaël est à l'UPR depuis deux ans. «Fils de trotskistes», il dit n'avoir jamais adhéré à quelque parti que ce soit, et avoir failli voter Hollande en 2012 sans toutefois être inscrit sur les listes électorales. Il se félicite rétrospectivement de ne pas avoir franchi le pas. Raphaël tracte le dimanche comme on va au sport, a démarché des maires pour les parrainages (Asselineau en a récolté 587 – dont 10 grâce à Raphaël) en payant ses déplacements sur ses deniers personnels, ne comprend pas qu'on parle de son candidat comme d'un «souverainiste» alors que celui-ci prône une sortie de l'UE et de l'Otan.

«Mélenchon, Le Pen, Dupont-Aignan ["qui veut garder l'Euro, mais sans les inconvénients", ndlr], qui critiquent l'Europe mais n'ont pas les moyens de ce qu'ils avancent, ce sont eux les souverainistes, mais Asselineau n'en est pas un, c'est un mot péjoratif, comme tous les mots en "-iste".» On évoque ensuite l'étiquette de «complotiste» qui colle à la peau d'Asselineau, pour des déclarations de l'énarque passé par HEC sur les billets de banque américains ou sur la CIA dont il voit l'ombre partout, jusqu'à la taille et la forme des régions françaises ou la couleur du logo de l'UMP. Un non-sujet pour Raphaël, qui préfère qu'on parle des «lobbys qui installent leurs bureaux dans les immeubles autour de la Commission européenne». Il ajoute: «Je n'invente rien : il y a plein de documents sur Internet.»

Retour dans le hangar. Une intervenante a un mot pour les victimes de l'attentat de Londres quelques jours auparavant, tout en soulignant que «la France, les Etats-Unis et ses alliés ont semé la terreur pendant des années», notamment «en Palestine». Le public l'acclame debout. Elle s'appelle Vanessa Beeley, on l'a déjà vue sur le site de Soral, Egalité et Réconcilisation, elle se présente comme «journaliste indépendante» et chef adjointe du site 21st Century Wire, un site d'information proche de Russia Today, du genre à affirmer que Hitler a en fait fui en Argentine à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

«Libres et autonomes»

«On n'attend plus l'information par les médias classiques» nous dit Hakim, 48 ans «d'origine algérienne». «Vous êtes grillés. Aujourd'hui, l'info, elle passe par Internet». Il cite «arrêt sur info», un site de «réinformation», ou celui de l'UPR sur lequel «Asselineau a le temps d'aller au fond des choses quand les médias ne donnent pas le temps de développer». Il prend un exemple : «Bourdieu, il a boycotté les médias qui ne lui donnaient pas le temps de parler. Asselineau, c'est pareil.»

On croise un groupe de trois jeunes femmes, elles confirment les propos entendus jusque-là : «On s'informe sur les réseaux sociaux, sur Youtube, on lit des articles, on finit par trouver des gens qui pensent comme nous.» Sonia, 27 ans, pense que «les médias» ne peuvent pas dire ce qu'ils veulent, à cause de ceux qui les possèdent. «La preuve avec la Syrie ou la Libye : ils oublient de dire que sous Kadhafi, il n'y avait pas de chômage. Moi ma famille venait du Maroc pour y travailler.»

Les jeunes femmes parlent Frexit aussi : «La sortie de l'Europe, ça va nous permettre d'être libres et autonomes et s'allier à d'autres.» Qui par exemple ? «La Russie.» Asselineau, lui, arrivera sous les hourras - ou plutôt les «Frexit, Frexit» - pour un discours de deux heures. Dans l'après-midi, il a donné une conférence de presse dans une petite salle, pas loin, décorée de trois drapeaux : celui de la France, celui de l'Onu et celui de la francophonie. Pendant qu'il parle aux journalistes, son équipe de campagne attend patiemment en feuilletant un nouveau journal. Son nom : Frexit magazine.

*Les prénoms ont été modifiés et choisis par les personnes interrogées.