François Fillon et ses proches le répètent depuis la semaine dernière : le livre Bienvenue Place Beauvau démontre l'existence d'un «cabinet noir» à l'Elysée, chargé de surveiller voire de nuire aux opposants politiques de François Hollande. Et ce même si l'un des trois journalistes à l'origine de l'enquête a lui-même démenti cette lecture de leur enquête.
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Plusieurs cadres LR proches du candidat (comme Bruno Retailleau, Valérie Pécresse ou Luc Chatel) ont donc saisi la justice pour demander une enquête sur ce qu'ils considèrent être un «système de collusion entre des responsables policiers, des responsables de presse et des responsables politiques».
Si l'on revient un quinquennat en arrière, début 2012, le gouvernement Fillon ne prêtait pourtant pas une oreille aussi attentive à des révélations sur un système similaire dénoncé… par les trois mêmes journalistes, Didier Hassoux, Christophe Labbé et Olivia Recasens. Lors d'une séance de questions au gouvernement particulièrement houleuse le mercredi 25 janvier 2012, plusieurs députés PS, dont l'actuel garde des sceaux Jean-Jacques Urvoas, demandaient ainsi des comptes à la majorité UMP de l'époque. En cause : le livre l'Espion du président, où Hassoux, Labbé et Recasens expliquent comment Nicolas Sarkozy aurait instrumentalisé la DCRI (anciens RG) pour servir ses propres intérêts.
«Chasses à l’homme»
Des accusations balayées par les bancs de la droite à l'Assemblée, qui avaient copieusement sifflé les élus PS pour avoir évoqué le livre. Le député Philippe Briand allait même jusqu'à crier «c'est une honte !» quand Urvoas évoquait les accusations qu'il contenait. Philippe Richert, ministre des Collectivités territoriales du gouvernement Fillon, prenait le soin de disqualifier le livre et son contenu : «Ce livre, qui s'apparente plutôt à un brûlot, porte gravement atteinte à l'identité républicaine du service et à l'honneur des policiers de la DCRI. […] Il y a assez de ces calomnies quasi quotidiennes et je voudrais ici condamner la violence de ces campagnes de presse qui sont de véritables chasses à l'homme.» A une question de Delphine Batho, le même ministre répondait quelques minutes plus tard qu'il ne s'agit que «de journalistes en mal de publicité» qui font «des ouvrages pour faire parler d'eux».
[ Jean-Jacques Urvoas sur «l’Espion du Président… ]
par Libération
Le ministre de l'Intérieur de François Fillon, Claude Guéant, directement visé par les révélations, ne s'était pas montré beaucoup plus tendre envers l'Espion du président et les réactions qu'il suscitait. Sur France Inter le 19 janvier 2012, il fustigeait des «mises en cause systématiques» des proches de Sarkozy. «J'ai vu des gens dire "je crois que je suis écouté", c'est absolument gratuit. La DCRI n'écoute pas de personnalités politiques. Evidemment non !» poursuivait le ministre de l'Intérieur de l'époque. Des propos qui résonnent particulièrement avec ceux tenus par François Fillon, sans aucun élément à l'appui, en marge de son déplacement au Pays basque ce samedi : «On est dans une situation où il est probable que je sois sur écoute.»
«Police politique»
En cinq ans, le travail de ces journalistes «en mal de publicité» est donc soudainement devenu digne d'intérêt pour les bancs de la droite, dès lors qu'il concerne François Hollande et non plus Nicolas Sarkozy. Pourtant, à en croire l'un des auteurs des deux livres en questions, les révélations visant Sarkozy étaient autrement plus graves que celle concernant son successeur à l'Elysée. «Nicolas Sarkozy avait mis en place une police politique, explique ainsi Didier Hassoux. Alors que François Hollande, a simplement instrumentalisé la police à des fins politiques mais comme tous les présidents de la Ve République.»
A noter que l'attitude de la gauche à l'égard des trois journalistes a également (légèrement) changé. A la sortie de l'Espion du président en 2012, Jean-Jacques Urvoas soulignait ainsi le travail de ces «trois journalistes réputés, spécialistes reconnus des affaires policières». Mais pour Bienvenue Place Beauvau, celui qui est désormais ministre de la Justice s'est cette fois contenté d'un communiqué où il fustige les «différentes déclarations fantaisistes» basées sur le livre, sans dire un mot de l'enquête ou des journalistes.