Au début de tout, il y a ce conseil de Jacques Chirac. Une sorte de légende politique qui se refile entre candidats. En campagne, se plaisait-il à raconter, «tu bouffes quand tu peux bouffer, tu bois quand tu peux boire, tu dors quand tu peux dormir et tu pisses quand tu peux pisser». Viril et sans doute apocryphe, un codicille est venu compléter la formule qui s'est patinée avec le temps : «Et puis tu baises quand tu peux baiser», aurait ajouté l'ancien chef de l'Etat, connu pour son goût des femmes. Même caricatural, le dicton chiraquien pose les bases de toute course - comme son nom l'indique - à l'Elysée : satisfaire les besoins vitaux, prendre soin de son corps et de son esprit pour déjouer la fatigue, les passages à vide et les coups de blues.
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A un mois du premier tour, les organismes des candidats commencent à porter les stigmates du cocktail de campagne «journées maxi-nuits riquiqui». Mais entre mythe du surhomme et illusion d'infaillibilité, leurs astuces pour tenir sont jalousement gardées secrètes par leurs équipes. Pourtant, «la plupart des trucs et des remontants sont loin d'être illégaux, s'amuse la socialiste Valérie Fourneyron, ex-ministre des Sports, qui a été médecin de l'équipe de France de hockey. Mais c'est vrai qu'on ne s'improvise pas candidat, c'est un entraînement long».
Diète et graines de lin
Comme pour les sportifs, le corps des politiques est à la fois un outil de travail et une vitrine : il faut être, ou avoir l’air, en forme. D’où l’importance de l’alimentation et des régimes à répétition qui feraient passer les Miss France pour des petites gourmandes. En 2010, François Hollande avait perdu 17 kilos (!) pour entrer dans le costume présidentiel. De son côté, Jean-Luc Mélenchon s’était astreint à une diète protéinée, type Dukan. Cinq ans, beaucoup d’acupuncture et un credo écolo anti-viande plus tard, le leader de La France insoumise ne jure plus que par les céréales, quinoa en tête. A 65 ans, Mélenchon allège son corps pour améliorer la qualité de son sommeil, l’autre clé d’une campagne réussie. Et les candidats sont loin d’être égaux devant Morphée. Passée par la case relooking depuis l’été 2015, Marine Le Pen a perdu une dizaine de kilos, donnant très peu de détails sur son régime, à part la consommation de graines de lin et de thé rouge sans théine. Des super-aliments et pas trop d’excitant, pour ne pas nuire à son cycle de sommeil. Car la candidate du FN est réputée injoignable à partir de 21 heures, ayant besoin de huit heures par nuit, quand Emmanuel Macron assure que quatre heures lui suffisent pour recharger les batteries. L’utilisation de somnifères à courte vie est donc monnaie courante dans les équipes des candidats. Avant 2007, il n’était pas rare de voir les médecins de l’Elysée distribuer du Stilnox aux ministres et aux conseillers pendant les voyages officiels de Jacques Chirac ; et Jean-Pierre Bel, président du Sénat entre 2011 et 2014, ne quittait pas la France sans ses petites fioles de mélatonine.
Petit blanc et jogging
A l'heure des réseaux sociaux, les candidats de 2017 préfèrent parfois rentrer d'un meeting en voiture plutôt qu'en train pour pouvoir piquer un somme sans retrouver leur nez en l'air sur Twitter ou Instagram. Et dans la journée, tous pratiquent les micro-siestes loin des caméras. «En dix minutes, s'ils sont bien coachés, ils retrouvent de l'énergie pour une demi-journée», explique Jean-Jacques Menuet, médecin qui conseille de nombreux sportifs (lire ci-contre). Depuis le début du quinquennat, pour tenir le rythme et les décalages horaires, François Hollande est surveillé par une équipe de quatre médecins, qui suivent aussi ses conseillers et ses gardes du corps, régulièrement traités aux corticoïdes : antidouleur et coup de boost garantis. Hollande, lui, «a été plusieurs fois malade en cinq ans, mais à chaque fois, il monte sur scène comme une rockstar», sourit une petite main de l'Elysée. Quand il était à la tête du PS, très enroué, il s'était vu tendre un verre d'aspirine effervescente avant un discours important : le rituel était né. «Passez moi un Aspro» est devenu son mantra avant de monter à la tribune. Difficile de faire plus «normal» comme dopage.
«La potion magique des politiques reste la plus franchouillarde qui soit : c'est l'alcool, le premier et le plus accessible des neuro-excitants», explique le Dr William Lowenstein, président de SOS Addictions. Pendant le débat parlementaire marathon sur le mariage pour tous, en 2013, la buvette de l'Assemblée avait inventé un cocktail «séance de nuit» : Cointreau, rhum et beaucoup de jus de citron pour la vitamine C. Benoît Hamon, lui, a pris l'habitude de siffler un petit verre de blanc, plus électrisant que le rouge, avant ses meetings. En réalité, ajoute Lowenstein, «les projecteurs, le pouvoir, être dans la lumière, prendre la parole en public, l'envie de revanche : tout ça, ce sont des drogues puissantes. Il ne faut jamais oublier que notre principal fournisseur, c'est notre cerveau».
Légal, gratuit et bon pour le sommeil, le sport est aussi devenu un argument de vente électoral. Pas un candidat digne de ce nom qui ne fait pas (officiellement) ses trois heures de jogging par semaine, le sport du siècle, parangon d'endurance et d'indépendance que Macron ou Hamon disent pratiquer régulièrement. François Fillon raconte aussi qu'il court et fait du vélo quand il rentre dans la Sarthe. Traumatisé par son mal de dos de Matignon, qui l'a martyrisé pendant une partie du quinquennat de Sarkozy, l'ex-Premier ministre consulte toujours l'ostéopathe que lui avait recommandé Bernard Kouchner. A l'heure de la transparence en politique et vu les possibilités offertes par la pharmacopée, peu s'aventurent en dehors des sentiers licites, pour se regonfler à coup d'amphétamines aujourd'hui interdites en France, voire de rails de cocaïne, dont l'effet excitant est de courte durée - entre deux et trois heures - et difficilement maîtrisable en public. Courantes dans les années 80, ces pratiques illégales sont désormais rarissimes. Mais «quand un quadra en pleine forme interrompt quatre fois sa dégustation d'œufs-mayonnaise à la buvette de l'Assemblée pour aller aux toilettes, ce n'est pas pour des problèmes de prostate», rigole un jeune député.