Une grande histoire se joue, depuis plusieurs années maintenant, entre la droite française et les pâtisseries, viennoiseries et autres cookies. Il y a eu les pains au chocolat de Jean-François Copé, donnant lieu en 2013 à des titres comme «Pains au chocolat : retour sur une polémique en cinq actes». Il y a eu les chouquettes de Nicolas Sarkozy, que l'ancien président avalait goulûment. Et voici maintenant que François Fillon, le candidat LR à l'élection présidentielle, sème le trouble dans de grandes entreprises du sucré à la française.
Il ne s'agit plus, ici, des soucis d'image que les «trublions du goût» Michel & Augustin ont rencontrés après que l'un des deux a dit, à l'occasion d'une rencontre dans l'entreprise avec celui qui était alors l'outsider de la primaire de la droite, qu'il était «le seul homme politique à formuler un horizon politique pour la France» (ils ont, par la suite, eu à se défendre d'être proches de la Manif pour tous). Cette fois, c'est au sein d'un grand groupe de l'industrie alimentaire que ça se passe, sur fond de conflit père-fils : le groupe Holder. Deux entreprises en sont les vaisseaux amiraux : les boulangeries Paul et la Maison Ladurée, acquise en 1993.
Ça commence donc samedi 8 avril, sur le compte Twitter «Fillon 2017», qui publie une vidéo de Francis Holder, le PDG du groupe Holder, à regarder ci-dessous.
Francis Holder, fondateur des boulangeries "Paul" : "J'ai décidé de voter pour Monsieur @FrancoisFillon." pic.twitter.com/EkD3DP3uno
— Force Républicaine (@ForceRep_fr) April 8, 2017
Francis Holder ne manque pas d'air (1), car il commence par dire qu'il est le «créateur des boulangeries Paul». Or, chacun peut constater en passant devant l'une de ces boulangeries qu'il y est fièrement inscrit qu'elles ont été fondées en 1889. Ce que confirme le site officiel du groupe Holder, où l'on apprend d'ailleurs que c'est Julien Holder, le père de Francis donc, qui a racheté en 1935 la boulangerie de la famille Paul (d'où le nom), à Lille. Autrement dit, Francis Holder, qui a hérité du groupe de son père, évince ce dernier de son histoire, ce qui est délicieusement ironique compte tenu de la suite de cette affaire.
Une grève dans les boulangeries Paul en 2016
Francis Holder, qui «s'ennuie» parfois dans sa résidence de Saint-Tropez estimée à plus de 20 millions d'euros, a donc décidé, en ce mois d'avril 2017, de s'engager pour François Fillon. Grand bien lui fasse, mais le problème c'est qu'il embarque avec lui toute son entreprise au passage : «Je suis ici en tant qu'ambassadeur des 14 000 personnes que forme l'entreprise», dit-il très sereinement. Et non seulement il l'affirme, mais en plus il le martèle :
«J’ai regardé le programme de Monsieur Fillon et quand Monsieur Fillon nous parle de la libération du travail, c’est la demande que font l’ensemble du personnel de pouvoir libérer le travail, de pouvoir travailler quand on a envie de travailler plus. Simplifier le code du travail, c’est évident. Je me fais moi, ici, l’ambassadeur du personnel.»
Là encore, Francis Holder ne manque pas d'air : il suffit d'une petite recherche Google pour voir qu'il y a un peu plus d'un an, en février 2016, une grève avait lieu dans les boulangeries Paul. Et ce n'était pas pour «pouvoir travailler quand on a envie de travailler plus». Des salariés s'inquiétaient plutôt d'une série de licenciements et d'un passage à une convention de travail plus sévère, à l'occasion de la franchisation de 70 succursales. «A Saint-Denis, par exemple, cela s'est traduit par l'arrivée d'une nouvelle équipe de direction qui a promis de passer de 28 à 18 salariés. Nos camarades licenciés qui ne sont plus jeunes vont se retrouver sur le carreau après plusieurs années de bons et loyaux services», expliquait alors au Parisien Henri Fakih, de la CFDT.
Le même Henri Fakih a réagi lundi, sur le site du Figaro, au ralliement filloniste du patron : «J'ai appris ça dimanche après-midi, grâce aux médias, alors que nous n'avons jamais été mis au courant de ce choix en interne. Depuis ce matin, nous avons rencontré de nombreux salariés qui se sentent frustrés de ne pas avoir été informés. Le problème n'est pas de soutenir François Fillon, mais plutôt de parler au nom de 14 000 personnes.»
«L’image de la Maison Ladurée est uniquement liée à la douceur et à la gourmandise»
Mais il n'y a pas qu'aux syndicats de Paul que la sortie du patron a posé problème. Elle a aussi gêné David Holder, fils de Francis Holder et accessoirement sosie de David Guetta, qui dirige de son côté la Maison Ladurée et ses macarons. Il s'est fendu, lundi, d'un communiqué garni de pâtisseries sur fond rose pour rappeler cette vérité essentielle : «L'image de la Maison Ladurée est uniquement liée à la douceur et à la gourmandise.» Compte tenu de quoi «le président de la Maison Ladurée, Mr [sic] David Holder, ne s'associe en aucun cas à l'annonce politique faite […] par Francis Holder».
Le Président de @MaisonLaduree, David Holder, ne s’associe en aucun cas à l’annonce politique faite ce matin par Francis Holder. #Laduree pic.twitter.com/TudtExs32y
— Ladurée (@MaisonLaduree) April 10, 2017
Si ce clash inter-pâtissier est aussi savoureux qu'une torsade aux pépites de chocolat, il ne doit pas faire oublier que derrière se joue un bon vieux conflit père-fils à l'ancienne. En 2009, un article du mensuel Capital racontait par le menu les bisbilles opposant Francis Holder à ses deux fils, qui n'attendent que de reprendre les rênes du groupe. On lit aussi, dans cet article, que Francis Holder est considéré comme un «tyran en blouse blanche».
Le résultat de l'opération, c'est que le patriarche a dû publier lundi un communiqué en mode «marche arrière toute», expliquant : «Je ne voulais pas parler au nom des collaborateurs du groupe Holder mais exprimer mon opinion personnelle […] Mon intention n'était en aucun cas de toucher les salariés des enseignes du groupe.» Le plus simple pour éviter ce malentendu aurait peut-être été de ne pas dire qu'il parlait en leur nom.
(1) Oui, ça ferait un bon titre pour une série télé des après-midi jeunesse de France 2.
Note complémentaire : comme l'ont relevé d'autres médias, un détail vient ajouter une ultime pointe de saveur à l'affaire : Françoise Holder, l'épouse de Francis Holder, est pour sa part déléguée nationale du mouvement En Marche d'Emmanuel Macron. Emmanuel Macron dont l'épouse, Brigitte Macron, est d'ailleurs issue d'une grande famille de chocolatiers, Trogneux, connue pour ses macarons.