Ne demandez pas à Michel Sapin, le ministre de l’Economie ou à Christian Eckert, son secrétaire d’Etat au Budget, ce qu’ils pensent du programme de Jean-Luc Mélenchon, ils pourraient avoir un haut-le-cœur. Il faut reconnaître que le chiffrage du programme économique du leader de La France insoumise n’est pas fait pour les âmes sensibles qui ont fait du sérieux budgétaire un principe d’action. Dans une logique très keynésienne, Mélenchon fait le pari qu’en remettant - beaucoup - d’essence dans le moteur, la voiture hexagonale devrait repartir.
Alors il ne lésine pas sur les moyens. Première cartouche : un plan d'investissement de 100 milliards d'euros, financé entièrement par l'emprunt. Une enveloppe partagée entre l'«urgence sociale» (45 milliards, dont 18 pour le logement), l'«urgence écologique» (50 milliards, dont 25 pour les énergies renouvelables) et les services publics (7 milliards d'euros). Seconde cartouche : de nouvelles dépenses publiques pour 173 milliards d'euros pour la lutte contre la pauvreté, le rétablissement de la retraite à 60 ans à taux plein, la revalorisation des salaires des fonctionnaires… En matière de pouvoir d'achat des ménages défavorisés, Mélenchon voit grand. Il promet carrément le double de Benoît Hamon : 80 milliards d'euros (dont une hausse du smic de 17 %) contre 40 milliards d'euros pour le candidat socialiste. Un programme en partie financé par une révolution fiscale qui va ponctionner les ménages aisés de 28 milliards d'euros.
Demande. Comment financer un tel choc de demande sans faire exploser les déficits publics ? Dans le chiffrage de son programme, Mélenchon assure qu'il finira son quinquennat en très bon élève, avec une dette réduite à 87 % du PIB et un déficit redescendu sous la barre des 3 %. Par quel miracle ? C'est là tout le pari keynésien : soutenir fortement la demande doit générer de l'activité et donc stimuler des recettes fiscales supplémentaires. Les économistes libéraux hurlent à l'usurpation, expliquant que cette politique mènera le pays tout droit à la ruine en répétant les mêmes erreurs qu'en 1981, où la politique de relance de Mitterrand s'était soldée par des déficits commerciaux, des dévaluations à répétition et… plusieurs années de rigueur. Economiste néokeynésien à l'OFCE, Eric Heyer tempère ce scénario catastrophiste : «Une politique de relance du pouvoir d'achat ne conduit pas nécessairement à une dégradation massive du commerce extérieur. On oublie un peu vite que sur 100 euros de budget, les Français dépensent 80 euros en services, et seulement 20 euros en produits manufacturés, dont, c'est vrai, 60 % ne sont pas fabriqués en France.»
Conditions. Pour autant, les économistes néokeynésiens posent au moins trois conditions à l'efficacité d'un tel choc de relance. D'abord, être en situation de chômage de masse avec des capacités de production sous-employées (ce qui est le cas de l'économie française). Ensuite, s'assurer que nos partenaires commerciaux (et donc l'Allemagne) mèneront la même politique de relance (ce qui est très peu probable). Enfin, que cette politique utilise le levier de l'investissement public, plutôt que la hausse des dépenses de fonctionnement (ce qui n'est que partiellement le cas). Là encore, le chiffrage de Mélenchon est pour le moins optimiste, sinon farfelu. Eric Heyer décrypte : «Ses équipes expliquent qu'en investissant un euro d'argent public, on crée deux euros d'activité supplémentaire et donc que l'Etat pourra récupérer dans ses caisses un euro de recettes fiscales… Si c'était vrai, cela en ferait une politique autofinancée.»
Voilà pourquoi l’économiste estime que, le volet recettes du chiffrage du programme étant largement surestimé, le risque de dérapage des déficits publics est bien réel. Ce qui pour Mélenchon n’est pas un franchement un problème puisqu’il souhaite renégocier les traités européens. Mais sans jamais expliquer ni comment ni avec quel partenaire. Comme, par ailleurs, il refuse de dessiner ce que serait le fameux plan B d’une France sortie de la zone euro… On comprend pourquoi une partie de la gauche européenne reste hostile à l’appel du large de cette France insoumise.
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