INTOX Lors de son discours à Lille, le 12 avril 2017, le candidat à l'élection présidentielle Jean-Luc Mélenchon s'est attaqué à «l'indifférence en béton armé à la nature» de ses adversaires de droite et, entre autres, à celle qui «concerne l'agriculture industrielle qui détruit les sols et répand les maladies». Chargeant François Fillon de vouloir supprimer «toutes les protections concernant l'environnement et l'alimentation et l'agriculture qui ne sont pas prévues par l'Europe», le tribun a averti le public nordiste, qu'ils devraient se «préparer à boire du lait aux antibiotiques des fermes des milles vaches qui sont traitées pire que des objets» en cas de victoire de la droite avant de lancer, ce qui semble être une évidence pour les «insoumis», «vous le savez vous que 80% des cancers ont une origine environnementale».
80% des cancers ont une origine environnementale. #JLMLille https://t.co/1SXqFGNelE
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) April 12, 2017
DÉSINTOX En affirmant haut et fort qu'une très grande majorité des cancers sont dus à une cause liée à l'environnement, Jean-Luc Mélenchon prend position dans un débat qui n'est toujours pas tranché dans la communauté scientifique (les cancers sont-ils causés en majorité par des facteurs environnementaux ou héréditaires, ou sont-ils le fruit du hasard ?) et commet surtout une erreur d'interprétation du terme «environnemental».
Le 2 janvier 2015, une étude publiée dans le magazine Science et menée par l'oncologue Bert Vogelstein et le biostatisticien Cristian Tomasetti de l'université Johns-Hopkins à Baltimore, conclut que 66% des mutations génétiques responsables du cancer résultent d'erreurs au moment de la division des cellules, «tandis que 29% sont dues à des facteurs environnementaux et au mode de vie et 5% à l'hérédité», détaille Bert Vogelstein, lors d'une conférence de presse. Les résultats de l'étude sont largement relayés dans la presse internationale, qui titre souvent que le cancer serait surtout dû à un «manque de chance», selon la formule du «bad luck» employée par les chercheurs. Dès sa publication, des critiques pointent du doigt que les chercheurs n'ont pas comptabilisés les cancers du sein et de la prostate dans leur analyse, alors même qu'ils font partie des plus répandus chez l'homme et la femme.
Plusieurs mois plus tard, en décembre 2015, une étude publiée dans la revue Nature, menée par le professeur Yusuf Hannun de l'université Stony Brook à New York, et réalisée avec le même jeu de données, arrive à un résultat complètement différent : seulement 10 à 30% du risque de cancer serait d'origine «intrinsèque», c'est-à-dire dû au hasard. Logiquement, on peut en déduire qu'entre 70 et 90% des tumeurs sont dues à une cause «extrinsèque», un mot souvent traduit en français par cause «environnementale» au sens large, comme dans cet article du Monde «Cancer et hasard, la polémique rebondit», publié le 16 décembre 2015. Voilà donc (probablement) d'où viennent les 80% de cancers d'origine environnementale évoqués par Jean-Luc Mélenchon.
Contexte
C'est ici que la traduction et le contexte jouent un rôle important. Quand Jean-Luc Mélenchon parle «d'origine environnementale», il le fait après avoir mentionné l'agriculture industrielle, ses pesticides auxquelles sont exposés les paysans, leurs terres et leurs vaches, et dont le lait aux antibiotiques et la production agricole seront consommés par les citoyens. On pense donc aux cancers contre lesquels les Français ne peuvent pas se prémunir. Pourtant les causes «extrinsèques» ne désignent pas que des raisons environnementales (au sens «écologiques») mais aussi des comportements et des hérédités. Ainsi dans l'étude de l'université de Sony Brook, on retrouve l'alcool, le tabac, l'obésité ou le fait de fumer parmi les «facteurs de risque extrinsèques» ; soit des raisons liées à des comportements de consommation plutôt active.
Que Jean-Luc Mélenchon fasse le choix de s'appuyer sur le travail des chercheurs de l'université de Sony Brook n'est pas une erreur en soi ; il s'agit là d'une prise de position. Mais il sème en revanche une confusion dans son acception du terme «environnemental», qui recoupe en fait des causes bien plus larges que celles qu'il suggère.