A Marseille, samedi, on trouvait un peu partout des indices des passages passés et à venir des candidats à la présidentielle 2017 ayant pris pour étape de campagne la cité phocéenne. Sur le Vieux Port, où Mélenchon a tenu meeting la semaine dernière – au grand air, dos à la mer – un provocateur a laissé pendre à sa fenêtre une énorme banderole «Je vote Fillon». Sur la Canebière, quelques affiches pro-Hamon pas encore arrachées rappellent que le candidat est passé par là aussi. Rue Sainte, des tracts à l’effigie de Le Pen, qui vient mercredi, virevoltent au gré du mistral. Mais concernant Macron, qui a pourtant lancé ici son «sprint final», parce qu’ici «on craint dégun» (malaise), rien. Pour trouver trace de la venue de l’ancien ministre de l’Economie à Marseille, il fallait en ce week-end de Pâques revenir au parc Chanot, pas pour admirer le Vélodrome mais pour assister à un meeting de… François Asselineau.
Devant les portes de l'auditorium du Palais des Congrès, où quelques centaines de sympathisants UPR patientent, on a retrouvé Ambre et Romain, deux jeunes qui ont connu leur moment de gloire il y a quelques jours sur les réseaux sociaux après la diffusion dans C à vous d'une séquence les montrant quitter le meeting d'Emmanuel Macron du 1er avril quinze minutes après le début de son discours. Dans la vidéo, Romain, blasé, balance que «c'est du vide, c'est du vent ce qu'il dit, c'est que des trucs qui jouent sur les émotions, j'attends pas ça d'un président».
Ce samedi, Romain, qui comme pour Macron et les autres candidats passés dans le coin est venu voir Asselineau avec sa bande de copains de Licence en Sciences et Humanité, est un peu moins rude avec le candidat du Frexit. Normal, c'est son préféré. «Ça fait deux ans que je le suis» à travers ses conférences sur le site de l'UPR, et «je le trouve bon orateur. Ce qu'il dit n'est pas ambigu, on sait où il veut en venir». Comprendre à la différence de Macron, donc, que tous dans le groupe – à grande majorité pro-Mélenchon – trouvent «mauvais», «flou», «vide». A ce propos, un moment d'Asselineau au débat des onze a particulièrement marqué les esprits : quand il s'est adressé à l'ancien-banquier d'affaires en ces termes : «vous êtes toujours d'accord avec tout le monde». Pourquoi tant de haine ? Parce que «les directeurs des instituts de sondages appellent à voter Macron», tente un jeune.
Macron-bashing et complotisme
Un peu plus loin, on croise Charles, Lucas et Ambroise (ici les prénoms ont été modifiés), qui ne veulent pas nous parler mais nous répondent quand même. «Libération, on a déjà payé, on va être censurés, et puis vous avez déjà votre candidat». Lequel ? «Je sais pas, ça commence par un E. Emmanuel Soros». Rires. «Moi je suis là parce que si je vote pas pour Asselineau, je vote pour personne», commence l'un d'eux. «Les autres, c'est tous les mêmes». Pourquoi lui alors ? «Il est brillant, intelligent, pas encore connu». «Il aime Bachar !», le coupe un autre. «C'est le seul à vraiment sortir de l'Europe. C'est le seul à vraiment connaître la constitution». Là on évoque le récent passage de François Asselineau chez Jean-Jacques Bourdin, où le journaliste a gentiment taquiné celui qui passe pour le premier de la classe en la matière, avec un quiz. «Bourdin, c'est un bel enculé, avec Macron, il était plus gentil !», éructe l'un d'eux.
Le sujet E.M. est lancé : «Je pourrais jamais voter pour lui, tout sauf ça» ; «moi je lui souhaite la mort» ; «c'est un VRP» ; «il veut mettre Valls Premier ministre et continuer comme avant avec les autres mongoliens de la politique». On recentre la discussion sur «Bachar». Ils en pensent quoi, les électeurs de François Asselineau, du dirigeant Syrien ? «Il y a de la désinformation des médias occidentaux. Sur les médias pas occidentaux, on dit autre chose».
Ces électeurs d'Asselineau-là s'informent sur «Egalité et Réconciliation» (le site du mouvement antisioniste d'Alain Soral) ; «RT» (Russia Today), une chaîne financée par l'Etat russe ; «Radio Courtoisie», l'antenne des droites extrêmes d'Henry de Lesquen ; et Rivarol, d'extrême droite aussi. Leurs saillies complotistes s'en ressentent. «Il y a de la désinformation, comme pour cette histoire de gaz [les morts de Khan Cheikhoun, ndlr]. C'est comme en Irak, on s'était rendu compte après coup qu'il n'y avait pas d'armes de destruction massive. Pourquoi Bachar ferait ça ? Il a gagné la guerre, pourquoi il se foutrait en l'air comme ça ?». «Et là comme par hasard, les Américains reviennent». Si ce n'est pas Bachar, qui a balancé le gaz ? «Y'a qu'à demander à Israël.» «Israël, ils commencent à acheter des maisons en Syrie, c'est toujours la même histoire, c'est comme au Liban, c'est pour le Grand Israël. Et pendant ce temps-là, les soldats de Daesh se font soigner chez eux, alors je me pose des questions». Fin de la discussion.
Proverbe chinois
Il est 17 heures et le meeting de François Asselineau va commencer. Dans la queue, une femme se presse : «hâte de voir Anthony Hopkins». «C'est vrai qu'il lui ressemble», lui répond-on.
Dans la salle, on discute avec Yazel (le prénom a été modifié), 62 ans. Il est Libanais. Ça fait 30 ans qu'il habite à Marseille, première fois qu'il se rend à un meeting. Pourquoi celui-là ? «Parce que Asselineau est contre la guerre. Illégale, immorale, c'est ça qui m'intéresse. Il parle avec le cœur». Les mots sont prononcés alors qu'un film didacticiel est projeté à l'écran, ça parle du Mali et justement, d'une guerre «illégale et immorale».
Un couple est assis au bout de la rangée. L'homme et la femme sont tous les deux habillés en blanc. Lui ancien technicien, elle ancienne secrétaire, ils ont arrêté de travailler en 2010 pour «faire une pause et rechercher la vérité à l'intérieur de nous». Verdict : «on s'est rendu compte qu'on était aspirés par des choses matérielles, qu'on n'existait qu'à travers ce qu'on possédait, qu'on était des zombies». «Les dirigeants, ils ne veulent pas qu'on soit libres, à la différence de François Asselineau».
Il est bientôt 18 heures, un proverbe chinois passe à l'écran : «Il vaut mieux avoir l'air bête 5 minutes que l'être toute sa vie». Un homme monte sur l'estrade : c'est Bertrand Le Besque, responsable UPR dans les Bouches-du-Rhône. «François Asselineau ouvre l'esprit et parle à notre intelligence !», lance-t-il. Hourras dans la salle : «Asselineau, président ! Asselineau, président».
Haro sur les sondages
Musique. Celui qui «parle à notre intelligence» entre en scène, lève les bras au ciel, fait des V avec ses doigts à la Chirac. A la différence de son grand meeting de Paris, il est venu seul, sans intervenants extérieurs ni «journalistes indépendants» étrangers travaillant pour des sites du genre à expliquer comment Hitler a en fait fui en Argentine à la fin de la Seconde Guerre mondiale (lire notre précédent reportage), pour prêcher la bonne parole. Il se poste derrière son pupitre, devant les trois drapeaux de la francophonie, des Nations unies et de la France, comme à son habitude.
«On m'a raconté une histoire à laquelle je n'ai pas cru. Puis on m'a raconté une autre histoire à laquelle je n'ai pas cru. Puis on m'a encore raconté une histoire à laquelle je n'ai pas cru. Des militants UPR ont rapporté qu'un institut de sondage les avait appelés pour savoir pour qui ils votaient. "Vous votez Fillon ? Non [dans la salle : sifflets]. Vous votez Macron ? Non [dans la salle : bouh] Vous votez Le Pen ? Non [dans la salle : noooon]. Vous votez Poutou ? Non [dans la salle : rires]. Dans ce cas je vous coche en abstentionniste". "Non, car je souhaite voter Asselineau". "Ah, mais Asselineau n'est pas dans mon panel"». L'orateur embraye, reprenant à son compte une vieille lubie de Philippe de Villiers période 2007 : «Figurez-vous qu'il faudrait payer pour faire partie du panel !». Les sympathisants – ils sont 750 – hurlent.
«Nous devons faire face à des armes de désinformation massive qu'ils nous ont imposées» ; «on a été blacklistés pendant quinze mois» ; «nous sommes le site internet le plus consulté des partis politiques français» ; «les bookmakers anglais me mettent en 5e position» ; «à Paris, les journalistes en off me disent qu'il se passe quelque chose avec ma candidature» ; «à Bruxelles, les pays ne se parlent plus entre eux, ils passent directement par Washington. Mieux vaut s'adresser au maître qu'aux domestiques». Hourras. Une nouvelle vidéo est diffusée, on y aperçoit Macron, encore : huées.
Il est 18 heures. Le vrai «discours» de François Asselineau va débuter. Il s’agira en fait d’une conférence universitaire, avec un PowerPoint de 3 heures 30 où il faut «prendre des notes» pour «avoir des arguments à répondre» aux suspicieux à qui il faudra clamer «n’ayez pas peeeeur» (du Frexit). Fin à 21h30 avec une Marseillaise. Dans les couloirs, un régisseur tire un peu la tronche : «je lui interdis de faire plus de trois heures !». Dehors, on croise un copain d’Ambre et Romain, qui tourne en rond. Le discours, c’est chiant ? «Un peu. J’ai besoin de m’aérer l’esprit».